Ils ont leur langage propre pour communiquer entre eux. De l’anglais au français, ils ne perdent pas leurs mots pour communiquer dans leur « langue locale » en apportant leur touche d’originalité.
Mamadou Ndiaye a tout un lexique pour discuter avec son cercle d’amis. ‘Show bi’, ‘typsé’ ou encore ‘boy bi’ sont des termes qui reviennent souvent dans ses discussions. Il faut être un initié ou un bon ‘nandité’ (connaisseur) pour comprendre leur vocable. Le jeune de 23 ans connait la plupart des mots habituellement usités. « J’utilise avec mes potes des termes comme ‘boy bi choco choco’ pour notifier que la fille aime se comporter comme une occidentale, ‘boy bi dafay xan ju rek’ pour dire que la fille aime faire genre ou encore ‘xaley bi kanfori’ pour signifier que la jeune femme est à la pointe », a détaillé ce dernier. Ce langage courant est une manière pour l’étudiant en marketing d’être dans l’ère du temps, à la mode et cool. « C’est un impératif d’user de ce vocabulaire. C’est une façon d’avoir plus de considération de ses potes et cela facilite l’intégration dans un groupe d’amis », a fait savoir le jeune longiligne.
« J’utilise beaucoup les termes du langage courant qu’on a l’habitude de se dire entre copines », avoue Khady Traoré sans détour. Ces termes n’ont plus de secrets pour elle tant ils sont présents dans sa vie de tous les jours. « Je peux dire par exemple ‘hi boy cas amna’ pour dire à la personne à qui je parle que j’ai une nouvelle à lui dire ou encore ‘kay ñu pello ’pour dire ‘j’ai à te parler ou allons discuter. J’utilise aussi ‘rek fofu todj’ quand quelqu’un me dit quelque chose ou fait un acte étonnant », a expliqué la jeune étudiante. Pour Khady, l’usage de ces termes est devenu une habitude difficile à s’en départir. « C’est des mots que l’on entend souvent à travers les séries ou encore via les réseaux sociaux », déclare-t-elle. La femme de 23 ans soutient que ce langage est une façon entre elle et ses amies de ne pas être formel et de se laisser aller entre elles.
Influence de la musique et des séries
Marième Pouye reproduit des termes tirés le plus souvent des séries sénégalaises ou encore des réseaux sociaux. « J’entends souvent ces mots dans des séries et des influenceurs », a expliqué la jeune femme. Ces termes permettent à l’étudiante de « diversifier son vocabulaire » lors de conversation avec ses amies tout en étant à la page. Cette dernière use aussi de ce langage comme un code. « Je peux parler d’une autre personne en feignant de m’adresser à une copine pour passer inaperçue. J’utilise alors des termes du langage populaire pour mieux me faire comprendre sans problème », dit-elle amusée.
Le langage populaire a longtemps fait office de codes entre Aliou Badara Diop et ses copains dans sa jeunesse. Ils ont pris l’habitude d’user des mots en anglais à l’époque. « C’était plus pour être dans l’ère du temps », se souvient le sexagénaire. Le commerçant affirme que cette manière de parler est tirée de la musique américaine. « Nous écoutions beaucoup du rap et du reggae. Cela a fortement marqué notre jeunesse », dit-il. Une influence musicale qui s’est reflétée même dans la manière de parler entre eux. Mais avec le temps et quelques rides en plus, l’homme de 67 ans estime que le langage se doit être soigné et respectueux.
Les langues locales denaturées
Le doctorant en analyse du discours affirme que ce langage répond à un besoin pour les jeunes d’être tendance : « je pense qu’il y a un réel souci chez eux de se conformer à la mode ». Ce langage est d’après Sidy Mockhtar Ndao en déphasage avec la langue wolof. « Cette façon de parler dénature considérablement la langue qui commence à perdre de son vocabulaire », estime-t-il. Le langage peut être un mélange de diverses langues. « La provenance des termes peut varier. Par exemple, show bi est emprunté de l’anglais. Le wolof y rajoute le classificateur. Il y a alors plusieurs exemples comme cela qui sont empruntés dans les langues étrangères telles que le français, l’anglais, l’arabe, etc. », a expliqué le doctorant.
Sidy Mockhtar Ndao explique qu’avec la jeunesse, on assiste à l’insertion ou plutôt l’introduction de nouveaux termes facilités par l’influence des réseaux sociaux. « On peut dire au premier abord qu’ils sont utilisés en milieu urbain mais avec l’émergence des réseaux sociaux, les termes migrent rapidement vers les autres zones », soutient-il.
Une tranche, mille langages
Le langage populaire est de plus en plus usité dans la publicité et dans les autres supports de communication. Ce choix n’est pas anodin d’après Fatoumata Gaye. Elle fait savoir que le but premier est de marquer l’esprit du consommateur en attirant son attention. La publicité peut donc passer par un langage classique, traditionnel ou un langage plus populaire selon les publics cibles. « Pour un public jeune exposé à une panoplie d’informations et présent dans presque tous les réseaux de communication, il est important de se rapprocher le plus possible ainsi utiliser ce langage afin que le jeune qui regarde la publicité se sente concerné et visé », déclare la doctorante en marketing stratégique. La spécialiste va plus loin en affirmant que le langage de jeunes est considéré ici comme un caractère identitaire qui rassemble tous ceux qui l’utilisent en une « tribu ». « Les spécialistes de la publicité en ont eu ainsi conscience et utilisent ce langage pour faire intégrer leur produit ou service grâce au langage spécifique de ce « tribu » de jeunes », dit-elle.
« Le langage des jeunes est un aspect identitaire qui permet donc à tous ceux qui l’utilisent de se sentir membre d’un groupe, d’une communauté », renseigne Fatoumata Gaye. « En prenant le cas de la publicité des opérateurs de téléphonie, on se rend compte que ce sont des termes bien utilisés et bien ancrés dans la « tribu » de jeunes qui sont repris et ceci facilite l’appropriation du produit par ces derniers », soutient-elle. Cependant, la doctorante en marketing stratégique explique que ce n’est pas adapté à toutes les tranches : « chaque tranche a son propre langage et un autre caractère identitaire qui le spécialise ». Elle précise que même pour la même tranche d’âge, c’est-à-dire les jeunes, il peut y avoir une exception qui n’utilise pas le même langage et qui peut alors se sentir « exclue ». Bien que l’approche soit bien originale et très efficace, la doctorante affirme que ce n’est pas une méthode passe partout.
Arame NDIAYE