Alors que les Assises de la Justice ont récemment suscité espoir et attentes au sein de la communauté judiciaire, une inquiétude grandissante persiste : si rien n’est fait de manière concrète et urgente, les conditions de vie et de travail des greffiers resteront inchangées, voire se dégraderont davantage. Le greffe, pourtant pilier fondamental du service public de la justice, continue de souffrir d’un problème structurel de reconnaissance, de statut et de valorisation.
Le fonctionnement de la Justice repose sur trois composantes essentielles : le siège, le parquet et le greffe. Pourtant, les réformes ne semblent considérer que deux piliers. Le greffe étant invisibilisé, souvent réduit à un rôle d’appoint, alors même qu’il incarne la mémoire procédurale, la rigueur administrative et l’exécution des décisions judiciaires.
Une invisibilisation inquiétante
Dans les textes législatifs et réglementaires, la place des greffiers est à peine mentionnée, notamment dans les juridictions spécialisées comme le Pool Judiciaire Financier, la Cour suprême, la Cour des comptes, ou encore dans des institutions ou établissements publics comme l’ONRAC ou le CFJ, sans oublier les directions de l’administration centrale. Cette omission traduit un déséquilibre profond dans la vision de notre système judiciaire.
Les budgets alloués aux greffes sont dérisoires comparés à ceux d’autres services. Les bureaux des greffiers manquent cruellement d’équipements adéquats, les outils de travail sont souvent vétustes, voire inexistants, et les conditions d’accueil du public loin des standards minimaux. Lors de l’inauguration récente du Palais de justice de Saint-Louis, cette situation a été tristement illustrée : alors que les bureaux des sièges et parquets étaient déjà équipés, ceux des chefs de greffes et greffiers étaient laissés vides. Les greffiers, eux, attendent, incertains, de savoir si leurs espaces de travail seront dotés de mobilier, peut-être de seconde main, ou s’ils devront se débrouiller seuls pour trouver le minimum de confort.
Absence de plan de carrière, rémunérations inadaptées
Les greffiers, pourtant recrutés et formés avec rigueur par le Centre de Formation Judiciaire, font face à une absence criante de plan de carrière. Le processus de reclassement initié depuis 2018 n’a toujours pas abouti, et l’indemnité de logement, pourtant essentielle en raison de l’obligation de résidence imposée aux greffiers, reste à l’état de promesse lointaine.
Les salaires et indemnités ne sont ni adaptés au niveau de responsabilité, ni à la charge de travail. La répartition des fonds communs est opaque, inégalitaire, et peu prévisible, tant dans la détermination des bénéficiaires que dans le calendrier des paiements. À cela s’ajoute une concurrence injustifiée avec d’autres agents du ministère, dont l’effectif n’est pas toujours bien défini.
Un rôle oublié dans les réformes
Les réformes juridiques et judiciaires sont quasi exclusivement pilotées sans aucune concertation avec les greffiers. Les lois instituant de nouvelles juridictions ne définissent presque jamais le rôle, les conditions de recrutement ni les prérogatives des greffiers. Un article, au mieux, mentionne le greffe — comme pour s’acquitter d’une obligation formelle, sans réelle reconnaissance.
Ce manque de considération nuit à l’efficacité de notre Justice. Une réforme véritablement équitable et durable du système judiciaire ne saurait faire l’impasse sur le rôle stratégique des greffiers. Il est temps de dépasser les discours symboliques et d’adopter une approche structurelle, courageuse et inclusive.
Justice pour les greffiers
La qualité du service public de la justice repose sur l’ensemble de ses acteurs. Les greffiers, professionnels de l’ombre, méritent reconnaissance, respect et moyens adéquats pour remplir leurs missions. L’État doit prendre ses responsabilités, en inscrivant clairement le greffe dans toutes les réformes à venir, en dotant cette profession d’un statut clair, valorisant, et équitable, à la hauteur de son rôle fondamental.
Les assises de la Justice ont ouvert une fenêtre d’opportunité. Ne la laissons pas se refermer sur les oubliés de la Justice.
La justice ne peut se contenter de symboles. Elle doit être juste, y compris pour ceux qui la rendent possible au quotidien.
Me Hamidou SALL, greffier !