Le viol ne se limite pas à un honneur perdu ou une dignité bafouée. C’est une épreuve qui bouleverse toute une existence, nourrit l’angoisse des survivantes et révèle les fractures d’une société accusatrice. Entre détresse psychologique et silence collectif, le viol laisse des ecchymoses empreintes de peur, de douleur et de jugements sans fin.
À Guédiawaye, au quartier Fith Mith, Saly (nom d’emprunt), une jeune femme âgée de 24 ans, partage son quotidien avec ses tantes et cousines. Élancée, de teint clair, vêtue d’une tenue blanche, un chapelet enroulé autour de sa main droite, Saly garde la tête baissée lors de ses discussions avec les autres. Mais son sourire ne la quitte pas : c’est ce qu’on remarque en premier chez elle.
Sourire au monde est une manière pour Saly de canaliser toute la douleur coincée entre sa gorge et son cœur. Assise sur un tapis de prière, la chambre fermée hermétiquement, elle se confie après de longues hésitations. « En l’espace de quelques mois seulement, j’ai perdu mes deux parents », lâche-t-elle, les larmes aux yeux.
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé », disait Lamartine. Saly essuie ses larmes avec un mouchoir et continue : « Aujourd’hui je traîne avec cette douleur et un poids sur la conscience. Ce poids, c’est celui du silence », dit-elle, les yeux rouges. Et d’ajouter : « J’ai été violée à plusieurs reprises par le boutiquier du quartier dans lequel nous habitions avant de déménager ici. C’était une zone un peu reculée et j’y vivais avec mes deux parents seulement. À chaque fois que ma mère m’envoyait acheter quelque chose, il en profitait pour m’entraîner derrière le comptoir afin d’abuser de moi ou parfois toucher certaines parties de mon corps. Puis, il m’interdisait d’en parler à qui que ce soit, sinon il me ferait du mal », confie-t-elle en pleurant à chaudes larmes.
Le silence s’impose alors. Saly prend quelques minutes pour reprendre ses esprits avant de continuer. « À l’époque, j’avais environ 10 ans et mes parents ne remarquaient rien du tout. Par peur, je l’ai gardé pour moi. J’ai grandi avec ce secret qui me ronge quotidiennement. Quand on a déménagé, j’ai soufflé un peu mais les souvenirs persistent toujours. Chaque jour je repoussais l’idée d’en parler à mes parents car, pour moi, ce n’était pas le bon moment. Finalement, ils sont partis à jamais sans rien savoir. Et c’est ce qui me fait le plus mal », dit-elle en hoquetant.
Les survivantes de viol traînent un lourd fardeau que la société alourdit très souvent par une complicité tacite avec cette injustice.
La perception du viol dans la société sénégalaise
Après avoir accompagné plusieurs survivantes de viol sur le chemin de la guérison, Aminata Lingère Ndiaye se prononce sur le regard porté par la société sur le statut de ces dernières. « Le viol est perçu comme un sujet tabou, voire honteux dans notre société. C’est pourquoi les victimes ont souvent du mal à exprimer leur souffrance », dit-elle dès l’entame de son propos.
Elle insiste sur le fait que « l’entourage fait parfois tout pour enterrer l’affaire, surtout s’il s’agit d’un cas d’inceste. Ils ne pensent pas à la victime, mais à la réputation de la famille au sein de la société », explique-t-elle avec regret.
Au-delà de l’entourage, les réactions sociales pèsent lourd. « La société juge sans comprendre et elle est plus clémente envers les coupables qu’envers les victimes. La preuve, récemment, j’ai été confrontée à un cas pareil : une fille de 12 ans, violée à plusieurs reprises par un voisin proche de sa famille. Elle l’a gardé pour elle pendant très longtemps et, quand sa mère a réussi à la faire parler, d’autres voisins du quartier se sont rangés du côté de l’autre, allant jusqu’à douter des propos de la fille. Et cela, malgré l’avis médical qui a prouvé qu’il y avait eu un viol répété. Ce qui est très déplorable », confie-t-elle.
De plus, « le rejet social accentue la souffrance des survivantes. J’en ai vu certaines qui ont été expulsées de leur famille. J’en ai vu d’autres qui ont encaissé beaucoup de jugements. Le chemin de la reconstruction est long. Mais avec un bon accompagnement, c’est possible », dit-elle.
Cet accompagnement inclut également l’aspect psychologique, qui est un facteur clé dans le processus de guérison.
La prise en charge psychologique des cas de viol
Le temps ne suffit pas toujours pour soigner certaines blessures. Une prise en charge psychologique devient nécessaire afin de suivre l’état mental des survivantes de viol. Ismahan Soukeyna Diop, psychologue et active sur des cas de viols ou d’agressions, explique les manifestations post-viol chez une victime. « Principalement, les symptômes les plus courants qui restent chez les victimes concernent un impact sur l’humeur, avec des épisodes de repli sur soi, de tristesse pouvant aller jusqu’à des pensées pessimistes, voire morbides. On observe aussi des réminiscences du viol sous la forme de flashbacks, de cauchemars, un état de stress permanent et un impact sur le sommeil (insomnies) », explique-t-elle.
En outre, « des manifestations somatiques sous la forme de douleurs ou de troubles physiques peuvent être des signes du traumatisme. En effet, l’attaque physique perturbe le schéma corporel et la violence ressentie laisse des traces dans le corps. La douleur physique exprime donc la part corporelle du traumatisme », développe-t-elle.
La psychologue confie que « lors de la prise en charge, on se concentre en premier sur l’expérience traumatique afin de déconstruire l’idée de culpabilité. Le viol peut entraîner la précarisation d’une personne, suite à un rejet de la famille ou à une grossesse non désirée ». Pour finir, « en ce qui concerne les cas de suicide, ils peuvent survenir lorsqu’un état dépressif s’installe, suite au choc émotionnel causé par le viol. Dans les deux cas, l’isolement et le manque de soutien que rencontrent les victimes sont des facteurs aggravants », dit-elle.
Une violence physique qui, parfois, dure quelques minutes seulement, mais dont les conséquences peuvent provoquer plusieurs ravages. Le viol est une épreuve qui nécessite un accompagnement à la fois social et psychologique. En cas de rejet social et de non-suivi psychothérapeutique, les conséquences chez la survivante de viol peuvent être terribles.
Fatou NDIAYE