Pour une nouvelle fois, le centre culturel Malango de Fatick a vibré au rythme du « Xoy » ou « Hoy » (séance divinatoire). Comme il est de coutume, la cérémonie célébrée en juillet dernier a permis à de jeunes Saltigui (devins sérères) de prédire l’avenir. Dans une nuit électrique, chacun d’eux, bombant le torse, a partagé ses visions devant un public témoin. Des figures emblématiques de la culture du « Xoy » ont pris part à l’événement. Sans oublier les invités de marque comme la reine-mère d’un bois sacré de Casamance et la communauté léboue. Comme pour dire, la cérémonie du « Xoy » est, au-delà de son aspect culturel et mystique, un symbole de paix et de cohésion nationale.
FATICK – Une nuit sans doute inoubliable ! À 23h, le « Xoy » (science divinatoire) battait déjà son plein au centre culturel Malango de Fatick. Les 26 et 27 juillet derniers, la culture s’est encore illustrée de la plus belle des manières dans le Sine. Au loin, à l’extrême-est de la ville, au bord du Mindiss (bras de mer, fief du totem portant le même nom), le tam-tam traditionnel semblait défier les esprits de la nuit par son rythme confus et dense.
Malgré l’obscurité, véhicules et motos Jakarta ont rallié le site de Malango où les « Saltigui » (terme sérère renvoyant à ceux qui prédisent l’avenir) sont appelés à montrer leur talent de devin. Ainsi est célébré le « Xoy », cette fameuse cérémonie culturelle autour de l’art divinatoire.
Activité très ancienne, elle plonge ses racines au temps des aïeuls et se tient à tour de rôle dans beaucoup de villages sérères. Depuis lors, il demeure un legs se transmettant de génération en génération.
Ainsi, pour perpétuer un héritage culturel aussi riche, des guérisseurs traditionnels ont initié cet événement à Malango : le « Xoy » de Malango. Ce, en collaboration avec la Promotion des médecines et traditions africaines (Prometra), organisation dirigée par le Dr Erick Gbodossou, personnalité reconnue dans le plaidoyer pour la valorisation des soins par les plantes.
Au fond de l’obscurité électrique
Comme à l’accoutumée, le «Xoy » de Malango a vibré au rythme de prestations culturelles riches et variées. Les Saltigui ont attiré l’attention du public sur des sujets nombreux et divers. Au beau milieu de la nuit, leurs voix retentissent jusque dans les profondeurs de l’obscurité.
Sagement assis, les spectateurs regardent avec beaucoup de passion le cérémonial des mystérieux acteurs. Sous une lumière d’une moindre intensité, les Saltigui font parler leur talent. Galvanisés par le son du tam-tam nocturne, ils se lèvent les uns après les autres et parfois en même temps. Une fois dans le cercle, ils lisent l’avenir à tour de rôle.
À travers un langage codé, ces déchiffreurs du mystère voyagent dans le futur en prédisant avec beaucoup d’assurance des événements à venir. Leur accoutrement laisse une apparence non moins originale. Chaque Saltigui a son style vestimentaire. Certains enrôlent des gris-gris autour du buste, d’autres s’emmitouflent dans des tissus parés de cauris. Sinon, plus extravagant encore, comme la tenue du jeune Saltigui Adama Gakou dit Adama Ndiaye djinné qui a solidement attaché une grosse corne sur l’abdomen.
Comme dans une compétition, les jeunes devins se lancent de temps en temps des défis sous les cris électrisants du public. Chaque Saltigui qui prend le micro pour raconter sa vision se fait accompagner du tam-tam. Quand l’un d’eux s’exprime, les autres Saltigui, impatients de prendre le micro, tournent comme des lions en cage dans le cercle en esquissant des pas de danse. Et le cafouillage devient souvent même inévitable. Chacun des prédicteurs voulant se faire entendre et se faire apprécier à sa juste valeur.
Toutefois, cette scène qui semble plutôt drôle ne fait que suivre la logique des choses : le « Xoy » est une affaire d’hommes et de femmes qui bombent le torse. D’ailleurs, c’est cette rivalité même qui cristallise la nuit. En témoignent les vivats du public pour savourer de tels agissements.
Durant cette nuit du « Xoy », des Saltigui ont laissé sans voix le public. Le jeune Adama Gakou, par exemple, qui a ébloui plus d’un avec des prédictions nettes et précises. Très agité, il n’a pu rester sur place durant presque toute la veillée. Il se dandinait au milieu du cercle avec une assurance inouïe. Il fut sans doute la star de cette nuit de Malango.
Les innombrables gris-gris autour de la taille ainsi que le gros chapelet porté au cou renforçaient son aura. « Je vais exploser le Xoy-là », crie-t-il, comme pour lancer les hostilités. Chose promise, chose due. Le jeune homme s’est attiré les projecteurs grâce à son immense talent de prédicteur. Entre révélations et preuves, il a épaté la foule très enthousiaste d’où s’élèvent ces mots sérères : « O kor tigui ! » (un vrai guerrier, un véritable homme…).
Poussé par les exaltations du public, Adama brandit le micro et déclame ses visions dont l’une des plus fameuses reste cette crise au sommet de l’État qui se profilerait à l’horizon. « Ces tensions vont se réaliser. Il y aura un problème entre les hautes autorités du pays », prévient-il.
Aussitôt, un autre Saltigui prend son contre-pied pour rassurer l’assistance. En faisant le tour du cercle à la hâte, il déclare: « Je m’engage à calmer les ardeurs. Nous allons protéger le Sénégal de telles tensions, c’est notre mission ».
Et c’est ainsi que les devins sérères ont animé la veillée nocturne qui est allée jusqu’au dernier tiers de la nuit. Cependant, ce ne sont pas que les prédictions qui ont fait cette veillée. Au-delà, le « Xoy» a été riche en démonstrations culturelles, avec surtout la présence de la communauté léboue qui a fièrement répondu à l’invitation du parent sérère. Le « Ndawrabine » s’est ainsi invité dans le cercle nocturne de Malango.
La bonne relève
Celui qui aura été le plus tonitruant fut sans nul doute Adama Gackou alias Adama Ndiaye djinné. Un surnom qui en dit long sur le rapport étroit du jeune Saltigui avec les djinns (les esprits ou êtres surhumains). À chaque prise de parole, le natif de Thiolaye (Joal-Fadiouth), impressionne et secoue le public.
Né jumeau, ses performances sont normales et sans surprise aux yeux de la tradition. En effet, la société traditionnelle perçoit les jumeaux et les jumelles comme détenteurs d’un certain pouvoir ésotérique. En plus, Adama collabore avec des êtres surnaturels. Ce sont ces esprits ou djinns qui l’aident souvent à lire l’avenir. Du moins, si on s’en tient à ses dires.
« En tant que jumeau, je suis censé avoir accès au mystique. Mieux, en plus de l’avoir hérité de mes parents, j’ai appris ce pouvoir auprès des anciens et je communique aussi avec les djinns », se livre-t-il, sous une fierté et une confiance achevées.
À l’instar de ce dernier, bon nombre de jeunes Saltigui ont été intraitables à Malango. Baye Diouf de Diadiakh, Serigne Senghor de Niakhar…Les performances de ces jeunes devins sérères ont même interpellé la reine-mère d’un bois sacré de Casamance, Apoye Étame. Marie Rosalie Coly, de son vrai nom, s’est dit rassurée par la prestation des Saltigui.
L’invitée d’honneur a ainsi donné une note positive à ces derniers en affirmant qu’ils ont bien exhibé les connaissances comme le faisaient leurs ancêtres. Les témoignages de l’autorité coutumière trouvent leur sens dans le spectacle offert par les jeunes devins Adama Gakou et Baye Diouf de Diadiakh.
Un duo explosif qui a tenu le public en haleine pendant un long moment. Face à face, les deux hommes ont, pour ainsi dire, fait un exposé de faits surnaturels dépassant l’entendement du public. Tous les deux sont rentrés dans un monde invisible en évoquant des choses ou situations souvent même terrifiantes.
Seuls, au milieu du cercle, les deux jeunes devins s’envoient des questions et des réponses sur tel ou tel événement à venir, tels ou tels actes de sorcellerie…
Par El hadji Fodé SARR (Correspondant)