Podor, 10 septembre 1890, le soleil se lève à peine sur le fleuve Sénégal quand on les amène sur la place. Sept hommes, les mains liées dans le dos. Au centre, Baïdy Kathié Pam, 26 ans, né en 1864, regarde la foule massée devant l’ancien fort. Il ne baisse pas les yeux. Dans quelques instants, le sabre du bourreau tranchera l’air chaud du matin. Mais ce qui va mourir ici, ce jour-là, ce n’est pas seulement un homme , c’est la soumission.
L’histoire de Baïdy commence par une humiliation ordonnée. Nous sommes début septembre 1890. L’administrateur colonial Abel Jeandet traverse le Fouta avec son escorte. Il a pour mission de préparer l’arrestation de l’Almamy Abdoul Bocar Kane, chef respecté du Bosséya. Dans les rangs de ceux qui l’accompagnent, un jeune soldat du Lam Toro, Baïdy Kathié Pam, originaire de Guia, près de Podor.
Ce que Jeandet ignore, c’est que Baïdy n’est plus dupe. Il a compris le jeu colonial. La nuit, il parle aux villages, aux guerriers, aux anciens : « Comment aider un étranger mécréant à tuer un parent foutanké ? » La question, simple, fait son chemin.
Quand Jeandet l’apprend, sa réaction est calculée : une amende de deux bœufs, et surtout, la punition qui brise, transporter les bagages de l’administrateur, comme un porteur, sous le regard de son propre village. Pour un Torodo, c’est pire qu’un coup de fouet. L’honneur n’est pas une vertu, c’est un souffle.
Le 2 septembre, à Aéré Lao, tout bascule. Jeandet, agacé par le regard insoumis de Baïdy, l’interpelle, l’injurie, puis le gifle en public. La gifle résonne comme un défi. Baïdy ne baisse pas la tête. Il répond : « Personne ne verra ce jour. » Puis il tire. Jeandet s’écroule. « Reçois cette balle que tu mérites, toi homme de l’enfer. »
La suite est écrite d’avance. Baïdy fuit, se cache à Mbantou. Mais la trahison veille. Le chef de canton Ardo Mbantou, Abdoul Sidi, le livre aux Français avec six autres hommes. Huit jours plus tard, le procès n’est qu’une mise en scène. La sentence : la décapitation publique.
Sur l’échafaud, Baïdy se tient droit. Il lance, d’une voix qui porte loin : « Je meurs très jeune, mais la tête haute ici-bas et dans l’au-delà. »
Les colons veulent aller plus loin : interdire l’inhumation, jeter le corps aux crocodiles, planter la tête sur une pique à l’entrée de Podor. Message clair : voici le prix de la révolte.
Mais la mémoire est plus forte que la peur. Des pêcheurs repêchent le corps de nuit. La tête, exposée plusieurs jours, finit par être enterrée en secret au cimetière de Thioffi, après que les habitants aient fait pression.
Aujourd’hui, le ravin à l’entrée de Podor porte son nom : Thiatngol Baïdy. Les anciens racontent encore son histoire aux enfants. Une maxime en pulaar lui survit, murmurée comme un code d’honneur :
« Torodo yida gasthié, poulo hoynétaké. »
« Le Torodo hait l’humiliation, le déshonneur. »
Baïdy Kathié Pam n’est pas un héros de manuel. C’est un jeune homme qui, un jour, a refusé de porter le poids de l’oppression. Et dont le sacrifice, loin de s’effacer, continue d’habiter les rives du fleuve et la conscience des hommes.
P. A. SY

