Facebook, X (ex-Twitter) etc., ne sont plus de simples espaces d’expression personnelle. Pour de nombreuses Sénégalaises, ils sont devenus des tribunes de lutte, de solidarité et de plaidoyer. Des figures comme Jaly Badiane et Ndéye Fatou Kane y incarnent un féminisme connecté, ancré dans les réalités sociales et déterminé à bousculer les lignes d’une société encore marquée par des rapports de genre inégalitaires.
Les réseaux sociaux ont profondément bouleversé les formes d’engagement citoyen. Ils ont offert aux femmes notamment un espace inédit d’expression, « longtemps verrouillé dans les médias traditionnels ». Au Sénégal, un nombre croissant de militantes investissent les plateformes comme Facebook ou X (ex-Twitter) pour porter leurs revendications, dénoncer les injustices et promouvoir une parole féminine libérée : d’où le phénomène du e-militantisme ou l’affranchissement de la parole féminine en ligne. Pour Jaly Badiane, journaliste et communicante, cette mutation s’est imposée comme une évidence : « L’engagement que nous portons dans nos communautés, nous l’avons simplement transposé dans un monde nouveau : celui du numérique. Les réseaux sont devenus des plateformes de plaidoyer, de sensibilisation et d’action », relève la féministe. De fait, avec la connectivité qui ne cesse de croître, le numérique s’impose comme un levier puissant d’émancipation et de visibilité pour de nombreuses Sénégalaises en quête d’émancipation.
Les militantes féministes partagent témoignages, campagnes et mobilisations autour des violences basées sur le genre (Vbg), des inégalités économiques et du respect des droits fondamentaux.
« Nous nous sommes dit, en tant que militants, si l’on arrive à toucher les personnes à travers les moyens de communication off-line, c’est-à-dire traditionnels que nous avons, la télé, la radio et les journaux de la presse écrite, nous pourrons toucher encore beaucoup plus de monde à travers le numérique qui fait du monde, un gros village », analyse Jaly Badiane.
L’affranchissement de la parole féminine en ligne
De son côté, Ndéye Fatou Kane, auteure de « Vous avez dit féministe ? » voit dans le numérique un prolongement logique des luttes entamées par les pionnières du féminisme sénégalais. « Aujourd’hui, être féministe sans présence en ligne limite la portée de l’action. Notre génération est hyperconnectée. C’est sur les réseaux que les débats se construisent, que les mentalités évoluent », justifie-t-elle. En conjuguant engagement intellectuel, écriture et présence numérique, Ndéye Fatou Kane incarne une génération de militantes qui investissent simultanément la toile et l’espace public. Son parcours, entre littérature et activisme digital, témoigne d’un féminisme à la fois réfléchi et populaire, ancré dans la culture sénégalaise tout en dialoguant avec le monde. Pour elle, loin d’être symbolique, cet activisme en ligne permet de « construire des espaces de liberté pour les femmes sénégalaises, notamment les féministes », souligne l’écrivaine. Abondant dans le même sens, Jaly Badiane estime que les plateformes numériques rassemblent toutes les couches de la société sénégalaise, de la personne illettrée au diplômé, de la victime au professionnel de la justice, jusqu’au citoyen lambda. « Puisque ces espaces regroupent l’ensemble des Sénégalais, il est essentiel de les utiliser comme outils de plaidoyer et de sensibilisation. Les réseaux peuvent et doivent devenir des leviers de changement social et de défense de nos droits », affirme-t-elle.
« Attaques sexistes, cyberharcèlement »
Dès lors, avec les campagnes sur les réseaux de ces femmes comme celles contre les violences conjugales, les mariages précoces ou pour la révision du Code de la famille s’illustrent de plus en plus la montée en puissance d’un féminisme numérique sénégalais. Si les résistances demeurent fortes, les résultats sont réels : la parole se libère, les débats s’intensifient, et la société évolue, parfois à petits pas, mais sûrement ». Pendant longtemps, les femmes ont été censurées ou marginalisées dans les médias traditionnels, où il reste difficile de se faire entendre ou de donner son avis. Les réseaux sociaux ont permis de briser ces cloisons. Ils font tomber les stéréotypes et les barrières qui limitaient notre accès à la parole médiatique », se félicite la communicante. Partant loin d’être symbolique, l’e-militantisme féminin au Sénégal s’est traduit par des avancées tangibles. Jaly Badiane cite en exemple la criminalisation du viol, adoptée en 2020 à la suite d’une intense mobilisation née sur les réseaux après le meurtre de Bineta Camara à Tambacounda. « C’est sur le numérique que la colère s’est exprimée, avant de se transformer en marches et en plaidoyer politique. C’est la preuve que le militantisme digital peut avoir un véritable impact sur les politiques publiques », explique Jaly Badiane. L’engagement féminin sur les réseaux s’est illustré également à travers les campagnes en ligne pour médiatiser les cas de violences conjugales ou de maltraitances jusque-là passées sous silence. En un clic, des hashtags deviennent des cris collectifs, des vidéos virales des preuves irréfutables, et des tweets des appels à la justice. « Lorsque des victimes, souvent sous couvert d’anonymat, viennent vers nous pour se plaindre ou solliciter de l’aide, il nous arrive d’alerter les autorités compétentes, notamment le ministère de la Femme, de la Famille, les services de protection de l’enfance ou encore les structures juridiques », explique Ndéye Fatou Kane. Mais le plus souvent, ajoute-t-elle : « Nous publions parfois des communiqués ou des lettres ouvertes pour susciter une réaction. Aujourd’hui, grâce à la « viralité » des réseaux sociaux, ces démarches trouvent un écho beaucoup plus rapide », se réjouit-elle.
De plus, l’e-militantisme féminin facilite davantage la coopération entre des militantes du continent et de la diaspora autour d’un idéal commun : une Afrique où les femmes prennent la parole et façonnent leur destin. Toujours selon Ndéye Fatou Kane, l’e-militantisme féminin a favorisé l’émergence d’« une sororité féministe panafricaine ». Elle évoque, par exemple, la campagne de solidarité menée par les militantes sénégalaises en soutien à leurs sœurs gambiennes lorsque la loi interdisant les mutilations génitales féminines a été menacée dans ce pays. « Nous avons organisé des espaces de discussion en wolof, des affiches numériques et des tribunes pour dire notre solidarité. C’est une nouvelle forme de mobilisation africaine née sur les réseaux », se rappelle-t-elle.
Des résultats concrets
Mais si les réseaux sociaux constituent un espace d’expression inédit, ils reproduisent aussi les rapports de domination existants dans la sphère publique. Les militantes féministes y sont fréquemment la cible d’attaques sexistes et de cyber-harcèlement. « C’est mon quotidien », confie Jaly Badiane. « Ces attaques cherchent à faire taire les femmes et à verrouiller l’espace numérique. Mais il faut tenir bon, car les victoires obtenues en valent la peine. » Ndéye Fatou Kane, écrivaine et sociologue du genre, abonde dans le même sens. « J’ai subi plusieurs vagues de harcèlement en ligne, avec nos photos diffusées sur les réseaux sociaux, accompagnées d’insultes et de menaces. Il s’agissait d’une forme de cyber-harcèlement qui ne dit pas son nom, mais qui persiste encore aujourd’hui. », remarque-t-elle.
Ainsi analysant le phénomène lucidement le phénomène, Ndéye Fatou Kane apprécie le numérique comme « un champ de lutte à double tranchant » : « Les réseaux permettent de vulgariser nos combats, mais aussi de subir l’hostilité d’une partie de la société. Parler de viol, de féminisme ou de politique, c’est s’exposer. », dit-elle.
Partant, Jaly Badiane, tout comme Ndéye Fatou Kane ont souligné que cette réalité rappelle que le cyberespace, loin d’être neutre, reste traversé par les mêmes hiérarchies sociales et de genre que le monde réel. Mais pour Jaly Badiane, l’essentiel c’est de profiter des plateformes pour faire passer leur message et faire avancer la cause féminine. « Les réseaux sociaux sont devenus des outils de transformation sociale. À nous de continuer à les utiliser pour faire bouger les lignes. », plaide la militante féministe.
Par Souleymane WANE

