Symbole de richesse, de prestige et d’identité, le bétail occupe une place centrale dans la vie économique et sociale des Peuls éleveurs de Linguère. Au cœur de cette tradition, la vache incarne bien plus qu’un simple animal : elle structure l’organisation du marché, l’économie locale et les relations communautaires.
L’élevage est au cœur de la vie peule à Linguère. Pour eux, posséder du bétail ; vaches, chèvres, moutons ou ânes, est un signe évident de richesse. Mais au-delà de la valeur économique, le troupeau incarne une fierté sociale, un prestige transmis de génération en génération. Mamadou Sow, éleveur à Dahra Djolof, en témoigne : « Quand on a un grand troupeau, c’est qu’on a gardé beaucoup de sous ».
Parmi toutes les espèces, la vache occupe une place à part. Elle symbolise à la fois l’abondance, l’honneur et la sécurité face aux aléas de la vie. Sa présence dans les récits, les chants et les représentations sociales témoigne de son importance. Le lait, le beurre et les autres produits dérivés de la vache sont omniprésents dans le quotidien peul. Même si certains éleveurs, influencés par les Maures, se tournent vers les chèvres, les bovins restent les animaux les plus valorisés. Ils représentent la richesse durable, celle qui protège de la misère et de la dépendance.
À Dahra et dans d’autres localités du département de Linguère, les marchés hebdomadaires rythment la vie économique. Les éleveurs y vendent leur bétail à des grossistes ou des chevillards (acheteurs-revendeurs de viande), au terme de longues négociations souvent très animées. Ces transactions sont orchestrées par des courtiers appelés « Teefankoobe », spécialisés dans le « Teefankaagal » ; une technique de négociation visant à « arracher » le meilleur prix. Selon Demba Sow, éleveur à Barkédji, chaque éleveur essaie de montrer ses talents de négociateur. Ces tractations donnent lieu à de véritables joutes verbales où les prix sont discutés sous l’œil attentif des vendeurs et acheteurs.
Deux groupes d’intermédiaires structurent les échanges. Le premier travaille avec les grossistes, souvent d’anciens courtiers devenus commerçants, qui achètent directement aux éleveurs. Le second groupe est lié aux chevillards, pour la revente de viande aux bouchers détaillants (Tonoobe), généralement Maures ou Wolofs. Les courtiers perçoivent une commission de 5 à 10 % sur chaque transaction. Cet argent est mis en commun, puis redistribué selon des critères tels que l’âge, la compétence, les charges familiales ou les besoins urgents. Un système fondé sur la solidarité, auquel nul ne peut déroger. Une organisation bien huilée Les grossistes font souvent appel à de jeunes bergers peuls pour convoyer les animaux au marché.
Une fois sur place, des bergers plus âgés aident à gérer les troupeaux pendant les négociations. Chaque bête vendue donne droit à une rémunération versée au berger, en signe de reconnaissance pour son rôle dans la transaction. À la tête de chaque marché se trouve un « mawdo daral », littéralement « le vieux du marché ». Il est élu par ses pairs, révocable si nécessaire, et chargé de faire respecter les règles coutumières. Garant de la morale et de l’éthique commerciale, il veille à la bonne conduite des opérations. Ce système bien rôdé assure un équilibre entre tradition, commerce et régulation sociale. Il perpétue une organisation communautaire dans laquelle chaque acteur, du plus jeune berger au plus expérimenté des courtiers, joue un rôle essentiel dans la préservation de l’identité peule.
Abdoulaye SADIO (Correspondant)