Le bégaiement reste un trouble de la parole méconnu et souvent stigmatisé. Derrière les mots hésitants, des hommes et des femmes se battent chaque jour pour faire entendre leur voix.
« J’ai toujours été bègue et ceci par imitation d’un oncle paternel bègue, donc tout ce qui est prise de parole, réponses aux questions en classe et récitation de leçons étaient de vrais calvaires », affirme Fatoumata Gaye. La jeune femme garde encore quelques fâcheux souvenirs. « J’avais du mal avec le mot fournisseur. Un jour, j’ai tellement bégayé sur le f que j’avais mal au ventre en voulant le faire sortir de force », se rappelle-t-elle avec amertume. Cependant, la doctorante en Marketing Stratégique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis a pu compter à l’époque sur le soutien de ses instituteurs. Ces derniers ont su mettre à l’aise la jeune femme.
Fatoumata Gaye doit faire face à certains écueils dans la vie de tous les jours. « Les gens peuvent penser que je suis asociale, surtout en comité inconnu, car je ne parle pas beaucoup pour éviter de me faire remarquer ou de subir des moqueries en public », a expliqué la trentenaire. Le plus grand défi, selon Fatoumata, est de vaincre la timidité que peut engendrer le bégaiement et la frustration de ne pas pouvoir prononcer correctement un mot. L’enseignante-chercheur dispense des cours et c’est souvent source de stress à l’idée de faire découvrir son bégaiement à un public nouveau. Elle a donc trouvé une parade. « La première chose que je dis en me présentant est que je suis bègue afin de préparer psychologiquement mes étudiants », a fait savoir la jeune femme. Une manière de briser la glace.
Manque de confiance
Irène Charlotte Diouf a toujours été bègue. Mais cela ne l’a pas empêché de bien s’exprimer en classe. « Je m’exprimais correctement sans calculer et j’arrivais même à oublier mon trouble du langage », a fait savoir l’étudiante en espagnole. Avec l’âge adulte, elle a commencé à prêter attention à ses faits et gestes : « je me suis renfermée sur moi-même et je suis devenue peu bavarde. Tout ce qui est formel réduit mon courage de prise de parole en public », confie-t-elle.
La femme de 29 ans a même dû refuser un poste de travail à cause de son trouble. « J’ai eu récemment une opportunité d’emploi comme professeure d’espagnole dans un lycée. J’ai décliné à cause de mon manque de confiance côté verbal», affirme-t-elle. Cependant, l’étudiante en espagnole veut se lancer avec plus d’assurance tout en gérant son bégaiement.
Vie sociale compliquée
« Mon histoire avec le bégaiement date depuis l’enfance, car mon père est bègue », avoue Abdou Ahad Doumouya. Le développeur web a bien vécu cela. Mais c’est au lycée que tout va changer dans sa vie de jeune insouciant. « J’avais les qualités requises au collège, mais je ne les exploitais pas à cause du bégaiement. J’ai dû reprendre plusieurs classes », dit-il avec une pointe d’amertume.
Abdou Ahad Doumouya est devenu casanier du fait de son trouble. « Je fuis souvent les appels téléphoniques et je trouve toujours des excuses pour rater les réunions familiales », a fait savoir le trentenaire. Le sieur limite aussi ses fréquentations. Mais il a plus de mal avec l’autre. « Les gens pensent que tu es hautain et que tu ne t’intéresses à personne alors que tu ne peux pas aller leur dire que c’est dû à ton bégaiement », affirme-t-il. Ce dernier propose de faire comprendre aux sénégalais le bégaiement afin qu’ils comprennent ce trouble.
Des astuces pour faire face
Fatoumata Gaye utilise des techniques de respiration et de prononciation. « La respiration est capitale et il faut également savoir les mots sur lesquels on bloque, et les facteurs externes qui aggravent le bégaiement comme le stress et les émotions », a fait savoir la trentenaire.
Irène Charlotte Diouf use d’une autre méthode pour pouvoir atténuer son bégaiement. « Je m’exprime en free style tout en prenant mon temps et d’articuler aussi », a fait savoir l’étudiante.
Arame NDIAYE
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