Face à la flambée des prix des produits de base, le gouvernement, par la voix du ministre du Commerce et de l’Industrie, Serigne Guèye Diop, a annoncé la création de 2000 boutiques témoins sous la bannière de la Société nationale de distribution (Sonadis). Cette initiative, saluée par les consommateurs et les acteurs économiques, soulève cependant des questions sur sa mise en œuvre et son impact sur le long terme.
La décision du ministre du Commerce et de l’Industrie, Serigne Guèye Diop, de créer 2000 boutiques témoins sous l’enseigne de la Société nationale de distribution (Sonadis) résonne comme un écho du passé, rappelant une époque où les mécanismes de régulation étatique permettaient une stabilité des prix et une accessibilité des produits de base à tous. Cette initiative, qui semble puiser dans les leçons de l’histoire, trouve un accueil favorable auprès des consommateurs, des commerçants, mais aussi des acteurs clés du secteur économique. Le vice-président de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen), Momath Cissé, qualifie l’initiative « d’excellente ». Il rappelle que l’Ascosen avait, en 1999, lancé un projet similaire sous le nom de Coopérative de centrales d’achat et de magasins de référence (Carma).
Toutefois, M. Cissé invite à tirer les leçons du passé. Pour lui, il est essentiel de privilégier des structures de grande envergure, comme des supermarchés de référence, plutôt que les petites boutiques de quartier, souvent peu rentables et confrontées à des conditions précaires. Cette approche, affirme-t-il, permettra de mieux réguler les prix et d’offrir des produits de meilleure qualité. Actuellement, seuls quelques produits de première nécessité, tels que le pain, le sucre et l’huile, sont administrés par l’État. La majorité des prix restent libres ; ce qui favorise la spéculation. « Avec des magasins de référence, les consommateurs auront le choix et pourront éviter les prix abusifs », déclare Momath Cissé.
Transparence et confiance
À en croire le vice-président de l’Ascosen, le succès de cette initiative repose, en grande partie, sur la maîtrise de la distribution. Il soutient que sans un contrôle de la distribution, il est impossible de réguler les prix. « Tant qu’on ne maîtrise pas la distribution, on ne peut pas contrôler les prix », insiste M. Cissé, donnant l’exemple des boutiques de quartier où ils fluctuent souvent sans justification. Pour éviter cela, il soutient qu’il est crucial que les magasins Sonadis soient approvisionnés directement par les producteurs locaux ; ce qui permettrait de stabiliser les prix et de réduire les intermédiaires. En outre, une transparence dans la gestion de ces boutiques sera essentielle pour gagner la confiance des consommateurs. Momath Cissé insiste sur un suivi rigoureux pour s’assurer du respect des normes. « Sans transparence, le projet risque de perdre en crédibilité », confie-t-il, proposant que les prix des produits de première nécessité soient administrés par l’État tout en laissant une certaine liberté pour les autres produits. À long terme, cette initiative pourrait renforcer la souveraineté économique du Sénégal par une meilleure maîtrise de la distribution.
Le vice-président de l’Ascosen y voit également une opportunité de création d’emplois, avec au moins 2.000 postes directs générés par les boutiques Sonadis, sans compter les effets induits. « Si nous maîtrisons notre distribution, nous pourrons mieux contrôler notre économie », affirme-t-il. Enfin, il espère une amélioration de la qualité des produits, notamment grâce à un respect des chaînes de froid, souvent négligées dans les boutiques de quartier.
Réactions mitigées des commerçants
Néanmoins, M. Cissé met en garde contre les risques liés à ce projet : « 2.000 boutiques, c’est un bon début, mais c’est insuffisant à l’échelle nationale. Il faudrait, au moins, deux magasins par quartier pour avoir un impact réel sur la concurrence ». Sur ce, il en appelle à « une communication claire et à une implication des associations de consommateurs » pour sensibiliser la population. « Si tout le monde joue son rôle, cette initiative pourrait faire baisser les prix et améliorer le quotidien des Sénégalais », confie-t-il. Ousmane Sy Ndiaye, secrétaire exécutif de l’Union nationale des commerçants industriels du Sénégal (Unacois), se montre optimiste quant à l’impact de cette initiative sur les commerçants locaux.
Il explique que les boutiques Sonadis seront approvisionnées par les Agropoles et les zones industrielles locales ; ce qui ne menace pas les chaînes d’approvisionnement existantes et offre plutôt une opportunité de valorisation et de repositionnement des professionnels sénégalais. « Cette initiative modernisera la distribution de proximité et renforcera la compétitivité des commerçants locaux », déclare-t-il. M. Ndiaye souligne la pertinence de cette initiative inspirée des anciens modèles de régulation, mais adaptée au contexte économique actuel du Sénégal. Il salue l’expertise du ministre du Commerce et de l’Industrie qui, à son avis, comprend les réalités du marché mondial et propose des solutions originales, soutenues par tous les Sénégalais. « Cette initiative est adaptée à notre contexte et pourrait faire baisser les prix », ajoute-t-il.
Du côté des commerçants, les réactions sont mitigées. Ibra Fall, gérant d’une petite échoppe, craint que les boutiques Sonadis ne viennent concurrencer leur activité. « Si l’État ouvre des magasins avec des prix plus bas, comment voulez-vous que nous survivions ? Nous n’avons pas les mêmes moyens pour nous approvisionner », s’inquiète-t-il. D’autres, en revanche, voient cette initiative comme une opportunité. « Si ces boutiques sont approvisionnées localement, cela pourrait nous aider à écouler nos produits plus facilement », explique une vendeuse sous le couvert de l’anonymat. Les clients quant à eux accueillent majoritairement la nouvelle avec enthousiasme. « Les prix ne cessent de grimper, surtout sur les produits de base. Si ces boutiques peuvent nous offrir des alternatives moins chères, ce serait une bonne chose », se réjouit Aïda Fall, une mère de famille.
Pathé NIANG