Cinq ans après l’apparition de la maladie de peau dite mystérieuse qui a frappé 1.300 pêcheurs sénégalais entre novembre 2020 et décembre 2021, des scientifiques ont évoqué les causes dans une revue parue le 13 février dernier.
L’énigme a été résolue par un consortium scientifique international réunissant une quinzaine de laboratoires sénégalais, français, espagnol et singapourien. Même si des interrogations persistent.
À côté de la psychose née de la pandémie de Covid-19 avec son lot de morts, le Sénégal a été frappé, en novembre 2020, par une maladie de peau affectant des dizaines de pêcheurs. Il aura fallu cinq années d’investigations en mer et de recherches pour trouver l’origine de ces « dermatoses aiguës » : une microalgue marine, qui produit une biotoxine à des « niveaux élevés », selon les conclusions publiées le 13 février dans la revue scientifique Embo Molecular Medicine consultée par « Le Monde Afrique ». En effet, l’énigme a été résolue par un consortium scientifique international réunissant une quinzaine de laboratoires sénégalais, français, espagnol et singapourien. À l’époque, les premières analyses se concentraient sur des polluants chimiques, mais la piste est vite écartée. Des nappes brunâtres ont été aperçues au large de l’île de Gorée. Fausse alerte encore, rien d’anormal n’est détecté dans les eaux. Dans un pays où la pêche emploie 17% de la population, d’aucuns prennent l’extrême décision de ne plus acheter le poisson. « Des niveaux importants de phtalate (un groupe de produits chimiques) provenant de dérivés pétroliers étaient notés dans les filets de pêcheurs. Mais, dans la littérature scientifique, il n’y avait aucune concordance entre ces symptômes observés et les perturbateurs endocriniens liés aux phtalates », explique Patrice Brehmer de l’Institut de recherche pour le développement (Ird) contacté par « Le Monde Afrique ».
Si la « maladie mystérieuse des pêcheurs sénégalais » s’évapore à partir de janvier 2021, le mal revient, un an plus tard, « dans la même zone géographique, et à la même période », précise M. Brehmer. 1.300 pêcheurs sénégalais touchés Sans que les scientifiques parviennent à l’expliquer, la crise baisse en intensité. « Elle a touché, au total, 1.300 personnes au Sénégal entre novembre 2020 et décembre 2021 », souligne le journal français. De semaine en semaine, l’énigme suscite davantage l’intérêt des scientifiques. Ces derniers pointent le rôle clé joué par la toxine émise par la microalgue « Vulcanodinium rugosum en raison « d’un faisceau de présomptions fiables ».
Mais il reste à savoir « pourquoi ces toxines [sont] responsables de ces lésions cutanées », poursuit Philippe Hess, responsable de l’unité Physiologie et toxines des microalgues toxiques. De plus, des dermatologues de Toulouse, des scientifiques de Murcie en Espagne et de Singapour se joignent au jeu de piste autour de « Vulcanodinium rugosum ». En laboratoire, ils travaillent sur des cellules primaires pour comprendre la chaîne immunitaire ayant conduit à ces nécroses cutanées. C’est ainsi qu’ils dévoilent le rôle primordial d’un « capteur immunitaire, l’inflammasome Nlrp1 », à l’origine « d’un mécanisme de défense (…) provoquant ainsi les symptômes sévères constatés chez les pêcheurs », selon la revue. Cependant, les scientifiques n’ont pas trouvé de réponse à certaines interrogations. Pourquoi et comment cette microalgue s’est-elle développée en pleine mer au large de Dakar et Conakry, alors qu’elle était observée dans des baies comme à Cuba ? Est-ce la faute à l’intensification du transport maritime, notamment aux bateaux de pêche chinois observés à Cuba et le long du littoral ouest-africain ? L’enquête n’est pas encore tout à fait bouclée.
Babacar Guèye DIOP