Il est la définition même de la sagesse. Diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam, ancêtre de l’Ena), Mamadou Diouf Tafsir Baba a été conseiller des ambassadeurs du Sénégal dans plusieurs pays, notamment arabophones. Il a ainsi consacré toute sa vie au service de sa nation et de la Oummah. Au-delà de la diplomatie, il a aussi écrit de nombreux livres sur l’islam et les pratiques musulmanes, ainsi que sur les grandes figures religieuses en Afrique. À Bargny, Mamadou Diouf fait la fierté de sa famille et même de toute une communauté. Ici, il est un repère, une référence et un guide.
«Les diplomates ne sont utiles que par beau temps ». Cette citation de l’homme politique allemand Otto von Bismarck est tout le contraire de ce que représente Mamadou Diouf Tafsir Baba. Ancien conseiller des ambassadeurs du Sénégal dans les pays du Maghreb et aux États-Unis, et bien qu’à la retraite, il reste toujours au service de son pays, de sa communauté et de la Oummah islamique. Pour sa famille, il est un « repère », un « guide » et une « référence ». « C’est un unificateur, une personne ouverte, disponible et très humble, et il nous suffit comme guide », témoigne Youssoupha Gueye, un de ses neveux, représentant de la famille, le 12 juillet 2025 à Bargny, lors de la cérémonie de présentation de son ouvrage «La science successorale et la crise judiciaire».
Décrit comme un homme « très pieux » et « très honnête », le vieux Mamadou Diouf, aujourd’hui âgé de 84 ans, vêtu d’un grand boubou bazin blanc en trois pièces, ne cesse d’égrener son chapelet tout au long de cette cérémonie de dédicace. Face aux pluies d’éloges lancées à son égard, il est resté serein et calme. De temps en temps, il hoche la tête, jette un regard discret sur un orateur et poursuit ses invocations. Cette piété, il l’a héritée de sa famille, notamment de son père, maître coranique connu à Bargny.
Ancien disciple de Serigne Cheikh Ahmad Sakhir Lô
C’est d’ailleurs auprès de ce père qu’il a reçu ses premiers cours d’initiation à la lecture du Coran, à l’instar de beaucoup de Bargnois. Né à Gossas le 13 octobre 1941, M. Diouf a débuté ses études au Sénégal de 1946 à 1957, à Coki, où il a mémorisé le Coran auprès de son maître, Serigne Cheikh Ahmad Sakhir Lô. « J’ai appris le Coran aux côtés de mon père ici, à Bargny, avant d’aller à Coki, puis à Tivaouane, puis de partir dans les pays du Maghreb. J’ai également été à Bagdad. J’ai représenté le Sénégal dans sept pays, y compris les États-Unis, en tant que diplomate », confie-t-il d’une voix douce.
Pur produit des daaras, il est, selon l’imam Cheikh Matar Kébé, « un produit rare ». Après la mémorisation du Coran à Coky, il a poursuivi ses études à Tivaouane, chez Serigne Lamine Kébé, sous la supervision de Serigne Abdou Aziz Sy Dabakh. Ensuite, il s’est rendu dans les pays arabes. À son retour, il est entré dans l’enseignement. Il a intégré l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), section Diplomatie. « Après l’obtention de son diplôme, il a servi dans de nombreux pays : en Libye, au Maroc, en Mauritanie, et son dernier poste a été ambassadeur du Sénégal en Libye. À sa retraite, il s’est lancé dans l’écriture. C’est ainsi qu’il a écrit de nombreux ouvrages sur les figures islamiques de l’Afrique de l’Ouest, quelques livres sur l’héritage, puis sur l’évolution de l’enseignement coranique en Afrique de l’Ouest, en particulier l’enseignement arabo-islamique chez Ahmad Sakhir Lô », témoigne le président du Rassemblement Islamique du Sénégal (Ris).
En réalité, après son hifz, le jeune hafiz s’est rendu au Maroc, notamment à Fès, de 1961 à 1965, où il a obtenu son brevet d’études. Après le Royaume chérifien, Mamadou Diouf a poursuivi sa quête de savoir en Égypte, de 1965 à 1968, et y a décroché son baccalauréat en philosophie. Sachant que l’islam attache une grande importance à la connaissance et à l’apprentissage, et que le Prophète Mohammed (Psl) a dit : « la recherche de la connaissance est une obligation pour chaque musulman », Mamadou Diouf est allé en Algérie, de 1968 à 1972, pour obtenir sa licence en Droit.
Mais, trop attaché à sa patrie, l’enfant de Bargny est revenu dans sa terre natale après ses études. De retour au Sénégal, il a enseigné au lycée Gaston Berger de Kaolack, de 1973 à 1975, puis au lycée Blaise Diagne de Dakar, de 1976 à 1977. « Après la retraite, j’ai enseigné à la Faculté des sciences islamiques de Pire pendant sept ans. En 1977, je suis entré à l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam). Après l’obtention de mon brevet, section Diplomatie, j’ai servi notamment au ministère des Affaires étrangères en tant que conseiller diplomatique », rapporte-t-il. Ce poste de « conseiller », M. Diouf l’a occupé pour la première fois en 1979. Il sera ainsi premier conseiller à l’ambassade du Sénégal à Bagdad, de 1979 à 1981. Quatre ans plus tard, il sera second conseiller à l’ambassade du Sénégal à Washington, de 1985 à 1986, puis premier conseiller à l’ambassade du Sénégal à Alger entre 1987 et 1988. Après ce poste, il sera nommé premier conseiller à l’ambassade du Sénégal à Nouakchott, un poste qu’il occupera une année, avant d’être premier conseiller à l’ambassade du Sénégal à Rabat, entre 1989 et 1992. Deux ans après avoir quitté le Maroc, il sera premier conseiller à l’ambassade du Sénégal à Tunis jusqu’en 1996, et terminera sa carrière diplomatique en tant qu’ambassadeur de la République du Sénégal en Libye, de 2001 à 2004.
Toutefois, comme l’a écrit l’ouléma Shaykh Salih Al-Fawzan, membre de plusieurs organismes religieux en Arabie saoudite : « La connaissance est jointe à l’action, et l’action est le fruit de la connaissance. La connaissance sans action est donc comme un arbre sans fruit ; il n’y a aucun avantage. Et la connaissance a été envoyée pour provoquer l’action ».
Un conseiller pour le monde arabe
Pour que sa connaissance ne soit pas vaine et conscient que l’écriture est le meilleur moyen de conserver la mémoire d’un homme, M. Diouf s’est mis à écrire. Il a ainsi publié cinq ouvrages : Aʿlām al-hudā bi-gharb Ifriqiyā, un livre qui parle des grandes figures de l’islam en Afrique de l’Ouest ; ʿIlm al-farāʾiḍ fī azmatin qaḍāʾiyya, qui traite de la science successorale et de la crise judiciaire ; ʿAlāqat az-zaʿāmāt ad-dīniyya bil-idāra asnāʾ fatrat al-istiʿmār, sur les relations des guides religieux avec l’administration coloniale ; un ouvrage sur les grandes figures de Bargny et Tārīkh al-madāris al-Qurʾāniyya bi-gharb Ifriqiyā, qui relate l’histoire des écoles coraniques en Afrique de l’Ouest, encore en attente de publication.
Revenant sur son livre sur la science successorale en islam, M. Diouf affirme avec fierté, d’une voix tremblotante, que ce livre est « un plaidoyer » en faveur des filles, des veuves, des femmes divorcées, mais aussi des morts qui ont laissé derrière eux des biens. « Dans le livre, j’ai précisé que, contrairement à la croyance populaire, les femmes et les filles héritent plus que les garçons ou les hommes selon les textes coraniques. Il n’y a que quelques cas où les hommes héritent plus que les femmes. Dieu a octroyé dans ce sens beaucoup de privilèges aux femmes, contrairement à l’homme. J’attends avec fierté les critiques que les gens feront du livre, afin que l’on puisse mieux cerner la question, au service des musulmans », dit-il avec sagesse, tout souriant, avant de se retirer, aidé par ses proches.
Il quitta ainsi la cérémonie de dédicace qui avait pris fin, et se dirigea lentement vers la porte principale du centre socioculturel de Bargny, lieu qui avait abrité la présentation de son livre.
Par Mariama Diémé