Le marché d’armement d’un montant de 45,3 milliards de FCFA, signé sous la présidence de Macky Sall, est désormais au cœur d’une enquête judiciaire.
Le parquet financier a confié le dossier à la Division des investigations criminelles (DIC), avec pour objectif de faire toute la lumière sur les conditions d’attribution de ce contrat controversé, entaché de soupçons de détournement de deniers publics et de blanchiment de capitaux.
La décision du procureur Alioune Abdoulaye Sylla de saisir la DIC s’inscrit dans une volonté affichée de transparence. Le dossier avait déjà suscité une vive polémique à la suite de sa révélation, notamment en raison des nombreuses zones d’ombre entourant le prestataire choisi et les conditions d’exécution du marché.
Selon le quotidien Libération, plusieurs éléments jugés préoccupants sont venus renforcer les soupçons. Un audit avait déjà pointé du doigt la qualité du matériel livré et les quantités non conformes. Mais surtout, un rapport de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) a été transmis au parquet. Ce document détaille de nombreuses irrégularités sur le contrat signé le 30 décembre 2021 avec la société Lavie Commercial Brokers-SUARL.
Créée à Dakar le 16 novembre 2021, soit à peine six semaines avant la signature du marché, cette entreprise était représentée par David Benzaquen, ancien proche du marchand d’armes israélien Gaby Peretz. Plus troublant encore, le numéro de téléphone indiqué dans le dossier de création de Lavie renvoie à Aboubacar Hima, alias « Petit Boubé », un courtier nigérien réputé, déjà cité dans d’autres affaires sensibles.
Toujours selon nos confrères, la Centif a établi que « Petit Boubé » avait également ouvert deux autres comptes bancaires au Sénégal, au nom de ses sociétés Technologie Service International (TSI) et Eurocockpit. D’importants mouvements de fonds ont ensuite été enregistrés : 3,09 milliards de FCFA transférés par Lavie et Eurocockpit vers TSI, puis redistribués à l’étranger sous forme de virements, retraits en espèces et transferts en devises.
Le rapport mentionne également des retraits suspects. Le 27 février 2023, 85 millions et 150 millions de FCFA ont été mis à disposition de deux individus, D.A.A. Jacques et A. Loum, qui ont retiré les sommes en liquide. Le lendemain, A. Loum a retiré à nouveau 185 millions. Aucune de ces opérations n’a été justifiée, selon la Centif.
En outre, « Petit Boubé » aurait personnellement encaissé des chèques totalisant 565,5 millions de FCFA, avant d’opérer des transferts de fonds vers l’étranger, prétendument pour le dédouanement de conteneurs destinés au ministère de l’Environnement. Or, ces déclarations se sont révélées fausses, d’après les vérifications menées par la Centif.
L’élément le plus troublant reste peut-être l’avance de 34 milliards de FCFA que Lavie Commercial Brokers-SUARL a perçue avant même d’avoir exécuté le marché. Pour la Centif, ce flux massif de liquidités, les retraits en espèces non justifiés et les transferts internationaux pourraient traduire une opération de versement de pots-de-vin déguisée.
L’enquête ouverte par la DIC devra désormais déterminer les responsabilités exactes dans cette affaire qui met en lumière les fragilités de la passation de certains marchés sensibles sous le sceau du secret défense.