Entre vêtements d’occasion, prix imbattables et récits de résilience, « le marché samedi » de la Sicap-Liberté 5 attire vendeurs et clients de toute la capitale, Dakar. Plus qu’un lieu de commerce, ce rendez-vous hebdomadaire est devenu un pilier social et économique pour de nombreuses personnes qui le fréquentent.
Ils font partie intégrante du marché. Chaque samedi matin, les deux voies reliant la cité Sicap-Liberté 5 jusqu’au rond-point de Sicap-Liberté 6 changent de visage. Des centaines d’étals improvisés, des montagnes de vêtements de seconde main. Toute l’allée des deux voies est brulante d’ambiance. Un ballet incessant animé par des cris de vendeurs proposant leurs marchandises et une foule compacte de clients en quête de bonnes affaires. Plus qu’un lieu de commerce, « le marché samedi » est devenu un espace social, une économie vivante et pour beaucoup, une bouée de sauvetage face à la cherté de la vie dakaroise. Dès l’aube, des charrettes chargées de ballots de friperies déferlent fréquemment sur les deux voies. Les vendeurs installent leurs bâches, étalent chemises, pantalons, robes et chaussures et la route devient en quelques heures un immense centre commercial à ciel ouvert. « Sur ces lieux, où nous sommes, chacun trouve ce qu’il veut qu’importe le budget qu’il a », lance Mamadou Sall, la quarantaine, vendeur de pantalons. « On peut s’habiller avec juste la modique somme de 2.000 FCfa, là où ailleurs c’est quasiment impossible de le faire, « caleçon sax dooko aam » ndlr : ailleurs, il ne serait même pas possible d’acheter un calçon ».
L’ambiance est électrique. Les klaxons des motos et les vrombissements des voitures se mêlent aux appels incessants des marchands. Des familles viennent ensemble, des jeunes scrutent les tas à la recherche d’une pièce « vintage » ou d’une marque prestigieuse, tandis que les femmes marchandes en profitent pour vendre du café Touba, des beignets et du « thiakry » ndlr (graines de céréales à base de mil mélangés au lait caillé). Le marché ne se résume pas uniquement à la friperie, il s’étend à toute une série de petits commerces qui gravitent autour de cette économie informelle. Derrière chaque étal se cache une histoire de débrouillard et de résistant. Moussa Guèye, étudiant en deuxième année d’économie vend des chemises le samedi pour payer ses frais d’études. « Je profite de mes vacances universitaires pour avoir un peu d’argent afin de payer mes études à la rentrée. Sans cet argent, je ne pourrais pas continuer mes études convenablement », confie-t-il les bras croisés. À quelques mètres de lui, se trouve Awa Sané, la quarantaine. Elle arrange soigneusement ses vêtements d’occasion pour attirer plus de clients. « Je suis une mère de trois enfants et j’ai commencé ce boulot, il y a quinze ans, juste après le décès de mon mari. C’est extrêmement dur pour le moment, mais c’est grâce à ce marché que je nourris ma famille », dit-elle avec un regard ferme, s’essuyant le front. Ces vendeurs incarnent une réalité. Le marché n’est pas seulement un lieu de commerce, mais une véritable école de résilience pour bon nombres de chefs de familles. Beaucoup viennent de la banlieue dakaroise éloignée, parfois même de villages pour tenter leur chance chaque samedi. Leurs revenus sont instables, mais ils préfèrent « avoir quelque chose à eux » plutôt que de rester sans activité, clame la vendeuse de sachets d’eau Fanta Seck, avec un bébé au dos. Cependant, côté clients, la motivation principale reste le prix qu’ils considèrent abordables sur le marché. Dans une capitale où le coût de la vie grimpe sans cesse, « le marché Samedi » apparaît comme un refuge. Marième, employée de maison, y vient chaque semaine avec ses deux enfants.
« Je suis une cliente régulière du marché, avec mon petit budget de 20.000 FCfa, je peux acheter des habits pour moi et toute la maison alors que dans une boutique, ça ne me suffirait même pas pour un seul pantalon », explique-t-elle le sourire aux lèvres. Pour les jeunes urbains, c’est aussi un lieu de mode. Beaucoup fouillent avec patience pour trouver des chemises de marque ou encore des sneakers rares. « Le marché, c’est notre Zara local », plaisante Cheikh Fall, étudiant en droit passionné de mode.
La friperie dépasse, ainsi, la simple nécessité de s’habiller occasionnellement. Véritable vivier d’habits qui viennent de tout bord, elle alimente l’allée de Sicap-Liberté 5 et permet à chacun d’exprimer un style malgré des moyens limités », affirme-t-il.
La puissance discrète de l’économie informelle
Derrière ce marché foisonnant se cache une économie qui échappe en grande partie aux statistiques officielles. Aucun chiffre précis n’existe, mais les observateurs estiment que plusieurs centaines de vendeurs s’y installent chaque semaine attirant dans la foulée des milliers de clients sur les lieux. Cela représente des millions de FCfa qui circulent en une seule journée. Pourtant, cette économie repose sur une précarité constante. Les vendeurs n’ont pas de protection sociale, paient rarement des taxes et dépendent des fluctuations de l’offre de friperie importée. « Les ballots de vêtements que nous recevons viennent principalement souvent d’Europe et d’Amérique via des circuits opaques. Les habits usagés collectés dans des associations caritatives et des bacs de récupération traversent les océans pour finir dans les rues de la capitale sénégalaise. Une fois arrivée ici, ils trouvent une seconde vie au bénéfice de ceux qui n’auraient pas pu se les offrir neufs », nous renseigne Layire Danfakha, travailleur depuis 40 ans dans le secteur. Cette mondialisation inversée est paradoxale. En effet, des vêtements autrefois donnés ou encore jetés dans des pays riches deviennent ici une source de revenus et un pilier de l’économie locale. « La municipalité ne tolère peut-être pas ce marché, mais nous essayons tant bien que mal de réguler son expansion. L’occupation de la chaussée pose toujours des problèmes de circulation et de sécurité pour les piétons surtout aux heures de pointe », nous informe un agent municipal de la localité. Par ailleurs, certains riverains dénoncent la saleté laissée après chaque samedi et les nuisances sonores. Mais d’autres reconnaissent aussi l’importance de cette activité pour la vie de quartier. « On ne peut pas fermer les yeux, mais on ne peut pas non plus l’interdire. Trop de familles en dépendent et le défi, c’est de trouver un équilibre », poursuit-il. Cette ambiguïté illustre la difficulté à intégrer l’économie informelle dans une vision urbaine moderne.
Au-delà de l’aspect économique, « le marché Samedi » est un lieu de sociabilité. « On y vient autant pour acheter que pour rencontrer des amis, échanger des nouvelles, sentir l’effervescence de la ville. Les vendeurs se connaissent entre eux, s’entraident pour transporter les ballots, gardent les étals les uns pour les autres. Les clients fidèles tissent des liens avec leurs commerçants », nous informe Mansour Danfakha, vétéran du milieu.
Vitrine de la créativité
Par ailleurs, le marché représente aussi une vitrine de la créativité sénégalaise. Certains vendeurs personnalisent les vêtements, les transforment et les associent à des tissus locaux, donnant naissance à une mode hybride, entre globalisation et identité africaine.
« Cette pratique de la personnalisation de certains habits permet de fidéliser les clients et ça nous permet aussi, de notre côté d’avoir de l’argent. On en est vraiment satisfait », déclare Saliou Diouf, avec le sourire aux lèvres. Le marché du samedi dépasse un simple événement hebdomadaire. Il incarne à la fois la précarité et l’ingéniosité, la pauvreté et la créativité, l’informel et la mondialisation.
En donnant accès à des vêtements abordables, il soulage les ménages en offrant une activité aux chômeurs. Pour le moment, son avenir dépendra de la capacité des autorités à reconnaître son rôle économique et social tout en trouvant des solutions pour améliorer les conditions de travail et l’organisation de l’espace, témoignent les travailleurs trouvés sur les lieux. Ainsi, à chaque samedi, de l’allée des deux voies de Sicap-Liberté 5 jusqu’au rond-point de Sicap-Liberté 6, la rue devient-elle plus qu’un espace de commerce reflétant une société qui lutte, invente et résiste face aux pressions sociales quotidiennes.
Par Mamadou Elhadji LY (Stagiaire)