À Pikine, le marché Sandika vit au rythme des fruits de saison. Après les mangues, pastèques, « madd » et melons, c’est l’orange qui domine sur les étals depuis le mois de novembre. Des camions en provenance de la Casamance déversent chaque semaine des tonnes de ces agrumes juteux. Fournisseurs, détaillants, manœuvres et transporteurs s’activent sans relâche pour approvisionner Dakar et profitent pleinement des retombées de ce fruit saisonnier.
Il est à peine 10 heures du matin, en ce mercredi du 26 février, au marché Sandika de Pikine. Au moment où le soleil diffuse ses premiers rayons sur le marché et chasse peu à peu l’air toujours frais de la matinée, toutes les allées de Sandika sont déjà prises d’assaut. L’endroit grouillant de personnes et de machines ingurgite son beau monde venu s’approvisionner en fruits et légumes. Devant l’entrée principale du marché, c’est le branle-bas. Alignées en rangs, des motos tricycles, des charrettes et de nombreux clients attendent leur chargement d’oranges, tandis que des camions gros porteurs déchargeant leurs marchandises convoitées, obstruent les moindres espaces. L’ambiance est électrique. L’air frais matinal qui titille la peau est cependant insupportable pour les narines et les yeux.
En effet, une poussière insupportable de piments remués quelque part dans le marché pique ces sens et empêche aux visiteurs de profiter pleinement du parfum de ces agrumes juteux et frais qui s’étalent à perte de vue. Sur les étals, devant les cantines et cagibi propres au marché sénégalais, l’orange a la cote. Les saletés et les ordures même, caractéristiques de ces lieux de commerce sont coloriées et étoffées ici par les oranges pourris. De fait, tout le monde ou presque s’active autour de l’orange à l’image de Boucounta Diallo, «coxeur » (rabatteur) dans le marché depuis plus d’une décennie. Il est là dès l’aube, selon lui pour superviser les entrées et les sorties des chauffeurs de camions et les conducteurs de moto- tricycle qui rechargent et déchargent des sacs d’oranges. Avec sa mine joviale, il assiste Mouhamed Diop dont le chargement de sac d’orange est fin prêt. Ce jeune homme dégourdi s’empresse de partir pour Diamniadio.
Le tricycle qu’il conduit est totalement rempli d’oranges mises dans des cartons et des sacs cousus à l’artisanal. Selon le sieur Diop, les sacs coutent 30.000 FCfa l’unité et les cartons d’oranges sont à 5.000 FCfa l’unité. « Ce sont des commandes qui doivent partir un peu partout aux alentours de Diamniadio. Chaque client doit payer 2000 FCfa pour recevoir sa commande, c’est une période faste pour nous », se contente-t-il de témoigner. Pour le rabatteur, les oranges viennent de la Basse Casamance et font le bonheur de tous en cette période. « Tous ces camions nous viennent de Casamance, je ne connais pas un autre lieu », dit-il. Selon lui, la saison même tire à sa fin avec l’arrivée des premières vagues de mangues. En effet, quelques vendeurs à coté, étalent les paniers de mangues qui attirent quelques curieux. « Depuis le mois de novembre, les camions viennent et font le bonheur de tout un monde. Ce sont les fournisseurs, communément appelé « Baana-baana » qui approvisionnent le marché en orange », témoigne-t-il. Il ajoute, guilleret : « Il y a ensuite, les revendeurs qui achètent selon leur moyen, les manœuvres qui déchargent et remplissent les sacs ainsi que les transporteurs qui acheminent la marchandise partout dans Dakar qui en profitent », dit-il la mine sérieuse.
« C’est tout une économie »
Un peu plus loin dans le marché, à côté des vendeurs de cure dents, une dizaine de camions gros porteurs se désemplissent de leur agrume. Plusieurs gros bras sont regroupés là. Assis sur des nattes ou debout tenant des sacs à moitié rempli, ils se comptent par dizaines de personnes préposés pour décharger les camions d’oranges. Baye Laye est l’un deux. Il tient un sac déjà rempli d’orange qu’il tisse pour le refermer en attendant de le porter à son propriétaire. Il informe que son travail en cette période d’orange est bien rémunéré. « Je gagne 500 FCfa sur chaque sac rempli. Si je porte le sac pour le propriétaire jusqu’à sa voiture, je peux me retrouver avec 1.000 FCfa », informe-t-il. Ainsi Baye Laye peut empocher une belle somme à la fin de sa journée. Il en est ainsi pour Ngagne Thiaw, un autre rabatteur qui travaille sur l’orange dans le marché.
Trouvé devant un camion à moitié déchargé par les manœuvres, il compte les liasses de billets et donne des instructeurs à quelques revendeurs. Il remarque cependant que la saison est moins abondante en comparaison aux années précédentes. Abordant la quantité d’oranges déversées dans le marché, Ngagne Thiaw relève d’abord que le nombre a diminué depuis quelques semaines. «La saison a commencé depuis novembre et chaque jour les camions arrivent», dit-il. A la question de savoir combien de sac peut-on tirer d’un camion, il avance le nombre de 250 sacs. « Nous pouvons avoir 250 sacs sur chaque camion. Le sac est vendu entre 27 et 30.000 FCfa. Ce qui fait que chaque camion peut nous revenir entre 6 et 7 millions francs Cfa », analyse-t-il. Selon lui, c’est toute une économie puisque chaque acteur y trouve sa part. « Par exemple, le camionneur qui achemine l’orange de la Casamance à Dakar, empoche 650.000 FCfa pour le trajet », explique Ngagne Thiaw.
Par Souleymane WANE