Au cœur du tumulte incessant du marché de Thiaroye, les charretiers font partie du décor. Ils assurent le transport de presque tout, des denrées alimentaires aux matériaux de construction, en passant par les marchandises, des grossistes aux détaillants. Si certains sont passionnés par leur métier, d’autres pensent à la reconversion, trouvant le travail harassant.
Dans le bourdonnant marché Thiaroye, à Dakar, les charretiers sont au cœur de l’effervescence, véritables chevilles ouvrières d’une symphonie quotidienne de labeur. Dès les premières lueurs de l’aube, avant que le soleil ne darde ses ardents rayons, les charrettes investissent chaque coin et recoin, leurs silhouettes familières dessinant le paysage du marché. Traînées par des chevaux robustes et endurants, elles se frayent un chemin avec une étonnante agilité dans le dédale des étals et de la foule. Vingt ans (20) ans d’expérience dans ce métier, Ousmane Diagne, la carrure imposante est le chef de garage. Trouvé au milieu de ses jeunes frères, l’ancien dégage une grande énergie pour enchaîner des courses dans différents coins du marché. Pour lui, ce métier est noble comme tous les métiers du monde. Toutefois, il souligne que des personnes mal intentionnées sont en train de transformer le visage de ce métier en un espace de malfaiteurs, de banditisme, affirmant que cela n’est qu’un aspect. « Il y a des personnes responsables qui travaillent pour subvenir aux besoins de leurs familles. Au marché Thiaroye, nous sommes le poumon de la vie économique », confie-t-il, regrettant cependant que leur métier soit investi par des individus mal intentionnés.
Reconversion
Ses déclarations suscitent l’intérêt de ses camarades charretiers qui, de temps à autre, glissent de mots pour confirmer les propos du chef de garage. D’après lui, la relation avec les commerçants est fluide ; leur situation se stabilise et ils travaillent dans de bonnes conditions. « Il fut un temps, se souvient-il, les charretiers étaient sommés de déguerpir le marché à cause d’une occupation illégale et anarchique de la voie publique. » Aujourd’hui, ils témoignent que cet acharnement a connu son épilogue et chaque fin du mois ils s’acquittent d’une taxe de 3.000 FCfa à la municipalité de Thiaroye.
Le métier est transversal car la plupart des charretiers combinent ce travail avec d’autres occupations telles que la conduite des «Tiak », de voitures ; les costauds et les téméraires s’adonnent à la lutte et au commerce.
Mor Ndiaye pense à sa reconversion. Assis confortablement, le regard fixé sur sa charrette, le jeune homme garde l’espoir de devenir chauffeur. En dehors de son travail actuel, ce natif de Ngoundiane prépare déjà une phase transitoire. « J’ai déjà obtenu mon permis de conduire. Je pense quitter ce métier, car on ne peut pas être charretier éternellement. À un certain âge, on n’aura plus la force de soulever des dizaines de kilos de bagages par jour et c’est un travail qui demande énormément de force et de résistance », argumente-t-il, la mine heureuse.
Au marché Thiaroye, l’ambiance est à la fois chaotique et organisée. Des cris de vendeurs, des appels de clients, parfois de la musique qui tympanise. Les charretiers, souvent vêtus de tuniques amples, manient leurs montures avec une dextérité impressionnante, se faufilant entre les piétons, les étals improvisés, les véhicules et les motos. Le rythme est soutenu, dicté par l’urgence des livraisons et la nécessité de maximiser ses journées. Il n’y a pas de place à la lenteur dans ce ballet incessant. Les bagages qu’ils transportent sont d’une diversité étonnante, reflétant la richesse et la variété des produits vendus au marché de Thiaroye. Des sacs de céréales (riz, mil, maïs) côtoient des paniers débordant de légumes frais (oignons, tomates, pommes de terre), de fruits comme les mangues ou les bananes. Moins fréquemment, mais tout aussi essentiels, des matériaux de construction légers ou des marchandises diverses destinées aux petites boutiques sont également transportés.
Ces charretiers sont bien plus que de simples transporteurs ; ils sont le pouls du marché, des figures emblématiques sans lesquelles le flux incessant des marchandises et des transactions serait ralenti, voire interrompu. Leur travail, exigeant physiquement, est un témoignage vivant de la résilience et de l’ingéniosité qui animent le commerce local à Thiaroye. Cependant, dans ce local où plusieurs charretiers trouvent siège, des gens proches de l’âge de la retraite complètent cette identité remarquable qui témoigne la variété d’un secteur qui regroupe des jeunes, des adultes et parfois certains âgés de moins de 18 ans.
Soutiens de familles
Mama Lamine Niass est de la dernière catégorie. Âgé de 16 ans, le jeune au teint clair et au visage enfantin, totalise déjà deux ans d’expérience dans ce domaine. Il exprime avec fierté son attachement à ce métier qu’il chérit et qui lui permet d’aider ses parents. « Souvent les gens nous traitent de voleurs ou de bandits et c’est une mauvaise étiquette que l’on nous colle. J’exerce ce métier par passion et je travaille sérieusement. Grâce à ce travail, je subviens à mes dépenses. Je ne compte pas faire autre chose et ce travail constitue mon cheval de bataille par lequel je veux gagner ma vie », dit le jeune débordant de fierté.
À la différence du petit Mama Lamine, Khadim Talla, un des charretiers vétérans, songe à sa reconversion. Il est obnubilé par la conduite. D’ailleurs, il dispose d’un permis. « Il me manque les moyens pour acheter une voiture et mettre un terme à ce travail épuisant », confie Khadim Talla, affirmant que ce métier ne nourrit pas toujours son homme. D’après lui, après avoir calculé toutes ses dépenses, il se retrouve avec 2.000 ou 3.000 F CFA comme bénéfice. Toutefois, il reconnait qu’il y a des jours fastes notamment durant l’hivernage. Au marché Thiaroye, plus le temps passe, plus les charretiers se surpassent et fournissent d’énormes efforts dans l’enchaînement des courses. Ils sont sur pied jusqu’au coucher du soleil. Le lendemain, tôt le matin, ils sont à pied d’œuvre, travaillant sans répit.
Bada MBATHIE