Au village de Ngor, la pêche rythme le quotidien de la communauté qui y vit. Dans cette localité, la pirogue est ancrée dans leur culture, leur mode de vie et leur économie. Issu d’une famille de pêcheurs et de transporteurs, Mbaye Seck, fasciné par la mer, s’est trouvé depuis sa jeunesse une passion dans la fabrication d’embarcations. Au départ, cet art n’était pas sa vocation première, mais qu’il a su le maîtriser avec le temps au point d’en faire un sacerdoce. Même si la reconnaissance tarde à tomber.
Dans la baie de Ngor, de nombreuses embarcations sont amarrées, formant ainsi un kaléidoscope de couleurs. Bateaux de plaisance, voiliers, catamarans, pirogues de différentes tailles et formes voguent dans ce plan d’eau considéré comme un bien inestimable pour l’humanité et témoignent de la vitalité de l’activité nautique dans cet espace. Ils font partie de l’histoire de la baie depuis des décennies et leur présence ajoute une infinie beauté à cet endroit déjà enchanteur, captive les visiteurs. Assis sur la plage, le jeune Mbaye Seck contemple le paysage qui s’offre à ses yeux. Une douzaine de ses embarcations voguent sur la mer dorée par les rayons du soleil de cette belle matinée, délicatement secouée par les vagues. Il apprécie la vue, esquisse un sourire, avant de nous conter l’histoire magique et majestueuse que ses mains ont créée au fil des années. Et quand Mbaye s’exprime, c’est la passion qui parle.
Au village de Ngor, la pêche rythme le quotidien des pêcheurs. La pirogue leur permet de subvenir aux besoins de leur famille. Elle constitue également le moyen de locomotion le plus sollicité pour rejoindre l’île. Ici, l’activité de construction des embarcations, que ce soit pour la pêche ou la traversée entre le village et l’île, est profondément enracinée dans la culture locale. Depuis son enfance, Mbaye Seck est fasciné par les pirogues. Très tôt, il s’est découvert une affinité pour la sculpture ; une vocation qu’il entretient toujours. Sa passion inconditionnelle pour les pirogues l’a amené à connaître les caractéristiques des bois adaptés et à maîtriser l’art de sculpter avec précision pour créer des embarcations résistantes pour les vendre. Mbaye n’a pas fait des études poussées. Il n’avait pas la tête à l’école et n’est pas allé au-delà de la classe de troisième. Il aimait la mer, la pêche et il passait son temps à dessiner des pirogues, des bateaux. Mbaye Seck est issu d’une famille de pêcheurs et de transporteurs. Son homonyme, El Hadji Mbaye Seck, fut le premier à effectuer la traversée du village à l’île en pirogue. C’était en 1912, précise-t-il. « À l’époque, il n’y avait pas de moteur. Mon grand-père a pagayé jusqu’à l’île où il amenait ses moutons brouter. C’est par la suite, avec la construction de l’hôtel et l’arrivée des touristes que la traversée s’est développée et modernisée », renseigne-t-il. Bien des années plus tard, son père, Libasse Seck, fondateur de la « pirogue bleue », a pris le relais et a innové la traversée en amenant de grandes embarcations. « J’ai travaillé sous son aile. Il m’a encadré et m’a transmis cette passion, cet amour du métier. Au fil des années, j’ai acquis de l’expérience et quand il a su que j’excellais dans les techniques de construction, il a prié pour moi et m’a accordé sa bénédiction », affirme-t-il.
Fabriquer des pirogues en fibres de verre
Mbaye Seck ne s’est pas levé pour fabriquer, d’un coup de baguette magique, une pirogue. Il l’a appris sur le tas. À force de côtoyer des artisans et autres charpentiers spécialisés qui travaillaient pour son père, il a maîtrisé l’art de la fabrication des pirogues, ce savoir-faire. « Ma famille ne connaissait que la traversée et la pêche. Un jour, j’ai demandé à mon père de ne plus jeter son argent par la fenêtre en payant pour la réparation de ses pirogues et bateaux. Ainsi, chaque fois que l’été annonçait la couleur, je me mettais au travail. Je retapais les embarcations et faisais les décorations », indique-t-il. À force d’exercice, Mbaye Seck a eu la main et a maitrisé les secrets de construction de pirogues.
Artisan aux doigts d’or, Mbaye Seck reproduisait ce qu’il avait appris de ses « maîtres ». Et le jour où il a dit qu’il allait fabriquer un bateau, tout le monde l’a pris pour un fou. « C’était un pari risqué parce que je n’avais jamais étudié cet art, mais il me fallait donc relever le défi ». Pendant des jours, il s’est mis à l’ouvrage. « Le premier bateau que j’ai fabriqué faisait 7 mètres de long et avait une capacité de 10 places. Je l’ai vendue au port 3 millions de francs. Il était équipé d’un moteur et était insubmersible. Il fallait que je le vende pour disposer d’un fonds qui me permettrait de continuer », justifie-t-il. Aujourd’hui, la spécialité de Mbaye Seck, c’est de fabriquer des pirogues en fibres de verre et des bateaux. Depuis plus de quinze ans, il s’illustre et excelle dans cette activité. Sa première pirogue, il l’a construite à l’âge de 12 ans. « C’était une pirogue en bois et je l’avais sculptée à l’aide d’un coupe-coupe. Je n’avais pas l’équipement nécessaire, mais j’ai réussi à relever ce défi. C’est ce jour-là que j’ai vraiment compris que je pouvais y aller ». Le déclic a eu lieu quand le président Abdoulaye Wade, dans son programme de lutte contre la coupe de bois et de préservation des ressources naturelles de notre pays, avait décidé de changer les pirogues artisanales par des embarcations en fibres de verre. « Quand j’ai eu écho de ce projet, j’ai pris les devants pour réaliser ma première pirogue en fibres de verre, mais je n’ai pas réussi à avoir ce link nécessaire pour dévoiler aux autorités mon projet ». Avec l’arrivée au pouvoir de Macky Sall, l’État du Sénégal avait également initié un programme de modernisation et de renouvellement du parc piroguier consistant à introduire, de manière progressive, des pirogues en fibres de verre en vue de remplacer les pirogues en bois. L’espoir de Mbaye Seck de concrétiser son rêve était resté intact. « J’ai continué sur ma lancée et j’ai essayé de me rapprocher autant que possible du gouvernement pour leur présenter mon projet. Je suis allé à la Sirn, j’ai écrit des correspondances, présenté une pirogue au ministre de la Pêche.
Des promesses, mais pas encore de retour
Mais il n’y avait que des promesses, puis rien », déplore le jeune entrepreneur dont le seul souhait est d’être accompagné dans la mise en place de son chantier et d’avoir la reconnaissance des autorités. Avec le nouveau régime, Mbaye n’a pas démordu. « Je continue toujours de faire les démarches. J’ai participé au dernier forum de l’Adpeme et j’ai même eu à présenter une pirogue de 12 m destinée à la pêche. J’ai eu beaucoup de promesses, mais pas encore de retour », laisse-t-il entendre. Loin de se décourager, il continue de travailler en espérant que la chance viendra un jour toquer à sa porte. « Avec mon équipe, on a les compétences et les pêcheurs aiment ce que nous faisons. Il ne nous reste qu’un coup de pouce pour aller de l’avant, passer à l’échelle de la production », précise-t-il. Actuellement, Mbaye Seck a produit une centaine de pirogues en fibres de verre qui allient sécurité, durabilité et respect de l’environnement ; elles sont beaucoup plus résistantes et ont une durée de 40 ans contre 10 pour la pirogue en bois, assure-t-il. « Une pirogue nous prend une semaine. Ça demande savoir-faire, maîtrise, technique et un peu de patience… Le prix varie selon sa taille, et donc de sa capacité de transport », indique Mbaye Seck qui estime que la relève est bien assurée. « Mon père avait une vision. Il allait acheter des bateaux pour satisfaire les besoins de la clientèle. Aujourd’hui, si son fils excelle dans l’art de fabriquer des embarcations et reçoit sa bénédiction, on peut dire avec fierté que la relève est bien assurée », confesse Mbaye qui a, dans sa folie innovante, conçu un bateau aux couleurs du Brt. « Avec mon équipe, j’ai fabriqué ce bateau en m’inspirant d’un bus. C’est une innovation appréciée par la clientèle sénégalaise qui fréquente l’île de Ngor. Je suis parti du fait que certains ont peur de la mer et ne font pas confiance aux pirogues. C’est pourquoi, j’ai équipé le bateau de chaises pour leur offrir commodité, confort et sécurité et qu’ils n’aient pas l’impression qu’ils sont en mer », fait remarquer Mbaye Seck qui aime profondément son métier et qui n’a plus envie de changer. Son rêve, c’est de confectionner des bateaux de 20 ou 25 mètres, beaucoup plus sophistiqués avec des places assises pour assurer une traversée en toute sécurité en espérant que le gouvernement s’intéressera à ce qu’il fait. Avec l’adhésion de la Baie de Ngor au club des plus belles baies du monde, il estime que les défis sont costauds. Il s’agira, selon lui, d’améliorer les conditions de traversée en innovant davantage.
Par Samba Oumar FALL