Nommé, en février dernier, Archevêque de Dakar, Mgr André Guèye sera officiellement installé, ce samedi à la tête de l’archidiocèse de Dakar. La cérémonie est prévue à la cathédrale Notre Dame des Victoires. Mgr Guèye, arrive à Dakar, après un parcours riche de trois décennies au service de l’Église. Véridique dans ses prêches, il est connu pour son engagement dans le dialogue islamo-chrétien car ayant dirigé, pendant 12 ans, un diocèse ceinturé par des foyers religieux musulmans. Dans cet entretien, le cinquième archevêque de Dakar promet d’être à l’écoute des fidèles de son nouveau diocèse et compte sur le soutien et les prières des uns et des autres pour réussir sa mission.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours personnel et de ce qui vous a conduit à embrasser la vocation sacerdotale ?
J’ai beaucoup de réticences à parler de moi-même, car le risque est grand de tomber dans la subjectivité et dans l’auto-référentialité. Or, en matière de vocation, comme le mot l’indique, il s’agit de se décentrer et de n’avoir comme référence que la voix intérieure que l’on croit être celle de Dieu qui nous appelle à un choix de vie particulier, plus précisément, au don de soi dans le sacerdoce, comme prêtre. Très tôt, à l’école primaire de Mont-Rolland, j’ai senti cet appel par la médiation, entre autres, de l’abbé Christian Mbaye, à partir de 1977, alors qu’il était Curé du village. L’exemplarité de sa vie, sa joie de se mettre au service des chrétiens et son sens de l’accueil et surtout l’amour de l’Office divin ont exercé, sans nul doute, une influence positive sur la première décision d’entrer au Petit Séminaire de Ngazobil, alors que d’autres perspectives intéressantes s’offraient à moi et des difficultés objectives n’encourageaient pas un tel choix.
Ces débuts sont les plus marquants de mon parcours car, pour le reste, j’ai suivi le cheminement prévu, en approfondissant mon choix par la prière, les conseils des accompagnateurs spirituels et les études d’une part, et en intégrant toutes les exigences d’une telle formation, d’autre part. Un autre moment déterminant a été le choix d’entrer au Grand Séminaire après l’obtention du baccalauréat.
Ce qui représente une conscience claire de ce qu’on veut faire de sa vie, avec une certaine certitude de l’appel du Seigneur, une certitude toujours à asseoir, notamment à travers les exercices spirituels et l’élan personnel de configuration au Christ à la suite de qui j’ai choisi de marcher.
Quels ont été les moments marquants de votre formation et de votre ministère jusqu’à votre nomination comme évêque de Thiès, puis maintenant comme Archevêque de Dakar ?
La formation immédiate s’est ouverte avec l’entrée au Grand séminaire, avec les études ecclésiastiques à proprement parler. Au cours de celle-ci, il m’a été offert la grâce d’un séjour à Rome où j’ai découvert la dimension universelle de l’Église et son histoire. L’ordination sacerdotale (presbytérale) a eu lieu le 27 juin 1992, des mains de Monseigneur Jacques Sarr, ensuite, ce fut l’immersion dans le ministère pastoral en paroisses, d’abord à la paroisse Sainte Croix de Bambey, jusqu’en septembre 1997, puis à la Cathédrale Sainte Anne où j’ai quitté en octobre 2000. Par la suite, il m’a été demandé de m’inscrire en philosophie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Je garde encore en mémoire les vaillants et compétents professeurs que j’ai eus, de même que les collègues étudiants, parmi lesquels je compte encore de nombreux amis. Après l’obtention du Dea (Diplôme d’Études approfondies) en 2005, je suis retourné brièvement en paroisse, à Bambey, avant d’aller exercer comme professeur au Grand Séminaire Saint Jean-Marie Vianney de Brin à Ziguinchor. Après 6 ans de service, j’ai demandé à m’inscrire en doctorat à l’Ucad en 2012. Après mon admission, le Seigneur a décidé que les études s’en arrêtent là, puisque le Pape Benoît XVI m’a nommé Evêque du diocèse de Thiès le 18 janvier 2013. Mon ordination épiscopale a eu lieu le 25 mai de la même année. Depuis lors, j’accomplis ma mission à Thiès comme Évêque, jusqu’en ce jour du 22 février 2025 où j’ai été nommé Archevêque de Dakar, devant être installé ce 3 mai 2025.
Comment avez-vous accueilli la nouvelle de votre nomination à la tête de l’archidiocèse de Dakar?
Tout d’abord, avec l’action de grâce à Dieu qui, par la confiance de l’Église, m’assigne cette mission. Cette action de grâce présuppose l’humilité, étant donné que cela ne provient pas d’un mérite de ma part, et l’engagement, avec toutes mes forces, à m’investir pour l’accomplissement d’une telle mission. C’est aussi avec la conscience de la lourdeur de la mission que j’ai accueilli cette responsabilité. Cette conscience fait naître en moi une certaine certitude que Dieu me fournira toutes les grâces requises, puisque lorsqu’il appelle, il ne manque pas d’assister son élu. La nouvelle de ma nomination n’a pas manqué de m’affecter profondément, car j’aime le diocèse de Thiès où je me sais aimé. Vous comprenez la tristesse, voire le déchirement qui m’ont habité et dont je ressens encore des effets. Le Synode inachevé et les autres chantiers en participent également. Cependant, le travail continuera et même avec plus de réussite. Le prochain Évêque de Thiès saura consolider les acquis et indiquer de nouvelles perspectives. Enfin, j’ai conscience qu’il s’agit d’un honneur lourd à porter, eu égard au travail exceptionnel et apprécié de mes illustres prédécesseurs. Devoir en assumer la continuité représente, à coup sûr, un défi énorme.
Vous avez dirigé le diocèse de Thiès pendant 12 ans. Quelles réalisations de cette période vous tiennent particulièrement à cœur ?
Il est évident qu’il ne s’agit pas de réalisations personnelles. La condition en est la collaboration de tous. C’est pourquoi je magnifie l’apport des prêtres et de mes proches collaborateurs en particulier, sans compter l’adhésion toute entière des fidèles et leur participation très appréciable, notamment à travers les différents conseils. Je mentionne les grandes initiatives prises dans la pastorale dite sociale : le renforcement des mutuelles de santé pour lesquelles le diocèse de Thiès est précurseur, l’amélioration du plateau technique de l’Hôpital Saint Jean de Dieu et la construction du Service d’Accueil des Urgences (Sau), la création de l’Institut supérieur d’administration des entreprises, relié à l’Uuz/Ucao, les nouvelles écoles construites, l’action efficace de Caritas, entre autres. Sur le plan de la vie de la communauté diocésaine, le Synode que nous avions commencé a suscité beaucoup d’engouement et d’attente. Une meilleure organisation a permis d’améliorer les conditions de vie et de travail des prêtres. Nous avons maintenu la dynamique de la formation des prêtres, y compris dans les matières profanes. Quant au bilan spirituel, seul l’Esprit Saint peut l’établir, mais il y a des signes qui ne trompent pas : la participation massive et priante aux différents pèlerinages, la vitalité des groupes de prière, la stabilité des vocations, la création de nouvelles paroisses…Il faut également mentionner l’apport des deux monastères qui offrent aux fidèles un cadre et des moments de ressourcement spirituel.
Après ces réalisations, quelles leçons en tirez-vous pour votre nouvelle mission à Dakar ?
Leçons pour Dakar, j’attends d’arriver, de regarder, d’écouter, d’apprendre et de discerner.
En tant que responsable du dialogue islamo-chrétien au sein de la conférence épiscopale, quels sont les défis actuels du dialogue islamo-chrétien au Sénégal et comment les aborder ?
À mon avis, il faut renforcer sans cesse ce dialogue, pour préserver les acquis. Pour ce faire, il faut, entre autres, insister sur la connaissance et le respect mutuel, favoriser la formation, surtout des nouvelles générations, créer des cadres de rencontre et de concertation où, régulièrement, on pourra apprécier la qualité du dialogue, surmonter les obstacles et inventer de nouvelles pistes. La création d’un observatoire du Dialogue a été déjà proposée par plusieurs instances. Cependant, le plus important, ce ne sont pas les discours et les déclarations d’intentions ; c’est plutôt la disposition et l’engagement à cultiver des relations quotidiennes de convivialité et de solidarité, dans la ligne de ce que le défunt Pape François et le Grand Imam d’Al-Azhar ont défini dans le document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune. Enfin, il faut rester vigilants pour endiguer toutes les influences et les tendances « radicalisantes » de part et d’autre, car le dialogue islamo-chrétien, même s’il est bien ancré chez nous, reste toujours fragile. Il est à préserver à tout prix, pour la survie et la stabilité de notre nation.
En tant que responsable du Clergé et des Séminaires à la conférence épiscopale, comment former aujourd’hui un clergé adapté aux défis actuels du Sénégal ?
Sur le plan ecclésiastique, nous avons un bon niveau de formation des prêtres, confirmé par la création de l’Institut supérieur François Libermann (Isfl) qui se trouve au Grand Séminaire de Sébikhotane, avec l’objectif d’une reconnaissance immédiate du diplôme de Théologie. Des efforts sont à fournir pour que, à côté des compétences théologiques, les prêtres acquièrent aussi des compétences profanes, pour mieux être présents dans la société et mieux servir nos populations, dans tous les secteurs de la vie. C’est aussi une exigence de prise en main de la vie matérielle et financière de notre Église qui a dépendu longuement de l’aide des églises d’Europe ou d’ailleurs. La formation coûte cher. Les fidèles laïcs devraient participer à son coût. Nous comptons aussi sur l’appui de l’État, puisqu’il s’agit de participer au développement de notre pays, malgré le caractère confessionnel de ce lieu de formation, à l’instar des « daaras ».
Avez-vous déjà identifié quelques priorités pastorales pour l’archidiocèse de Dakar ?
J’attends d’arriver, de regarder, d’écouter, d’apprendre et de discerner. J’attends aussi ma lettre de mission du Saint-Siège.
Comment envisagez-vous votre rôle dans la continuité de l’œuvre de votre prédécesseur, Mgr Benjamin Ndiaye ?
Permettez-moi tout d’abord de magnifier cette œuvre à tous points de vue. Le rôle de l’Évêque s’inscrit dans la succession apostolique : on reçoit l’héritage, on le préserve, on le fructifie et on le cède à son successeur.
Nous savons que les réalités pastorales de Dakar diffèrent de celles de Thiès, alors comment comptez-vous adapter votre approche ?
Même si les réalités de Dakar diffèrent de celles de Thiès, la fonction de l’évêque est toujours la même. Ce sont ces réalités qui m’obligeront à épouser une certaine posture. Mais j’attends de les découvrir.
Quels sont les domaines d’action sociale où vous souhaitez voir l’Église s’investir davantage sous votre direction à Dakar ?
L’engagement social de l’Église est incontestable. Vous en connaissez les œuvres (écoles, dispensaires, hôpitaux, Caritas, etc.). Cependant, il faut préciser que l’Église ne fait qu’apporter sa contribution : elle ne remplace pas l’État ni ne le concurrence. L’État devrait en retour accompagner l’Église dans la mise en œuvre de ses initiatives. L’assistance aux populations ou le « service de la charité » selon le terme approprié, fait partie de la nature profonde de l’Église (« intima Ecclesiae natura ») : le service de la charité « est (…) une dimension constitutive de la mission de l’Église et il constitue une expression de son essence-même, à laquelle elle ne peut renoncer », avait dit le Pape Benoît XVI.
Quel message spécifique souhaitez-vous adresser à la jeunesse dakaroise, catholique et non-catholique ?
C’est le dialogue, la fraternité et l’engagement à travailler pour notre pays et renoncer au mirage de la migration, ainsi qu’à la violence dans l’engagement politique et les réseaux sociaux. Comment comptez-vous encourager l’engagement des jeunes dans l’Église et dans la société ? Il faudra que les conclusions du Synode sur la jeunesse soient connues et appliquées. (« Cf. Le document Christus vivit »). Les Évêques du Sénégal ont sorti une lettre pastorale sur le rôle et l’engagement des laïcs qu’il faudrait également mettre en œuvre. La condition reste le vécu de la foi et de ses implications.
Comment envisagez-vous les relations entre l’archidiocèse de Dakar et les autorités gouvernementales ?
Les relations s’inscrivent dans le respect des prérogatives et dans la collaboration.
Quel rôle l’Église peut-elle jouer dans la consolidation de la démocratie sénégalaise ?
Il appartient à l’État de former les citoyens à la démocratie en insistant sur le civisme et sur le respect de ses institutions. L’Église apporte sa contribution dans cette éducation en insistant sur les valeurs de l’Évangile sur lesquelles cette éducation peut se reposer. Elle éduque aussi les consciences et ne manquera pas de s’exprimer pour aider au dépassement de tous les obstacles et pour promouvoir le jeu d’une démocratie apaisée qui ne faillira jamais au respect des personnes et de leur dignité.
Pouvez-vous nous parler de la préparation de votre cérémonie d’installation prévue ce 3 mai ?
Il est plus indiqué de s’en référer aux organisateurs de la liturgie en particulier et de ce qu’en dit le Droit canonique. C’est une messe riche en symboles dont l’installation sur la cathèdre et la présentation des obédiences de la part des différentes entités du diocèse.
Cette cérémonie reflètera-t-elle d’une manière particulière votre engagement dans le dialogue interreligieux ?
Les organisateurs ont certainement prévu d’inviter les représentants de l’Islam en signe de solidarité. Mais la célébration à proprement parler est liturgique.
Pour conclure, quel message souhaitez-vous adresser aux fidèles de Thiès que vous quittez et à ceux de Dakar que vous rejoignez ?
Pour les fidèles de Thiès, nous avons eu plusieurs occasions où j’ai remercié tout le monde. J’ai aussi tenu un discours de encouragements à ces derniers. À ceux de Dakar, la confiance en Dieu qui me confie cette nouvelle mission pour l’accomplissement duquel je sollicite, évidemment, la collaboration de tous en comptant sur la prière de chaque fidèle.
Entretien réalisé par Eugène KALY