Longtemps marginalisée, la coiffure au naturel séduit de plus en plus de sénégalaises. Entre fierté culturelle, soins adaptés et partagés sur les réseaux sociaux, le mouvement nappy s’impose comme une véritable tendance.
Assumer ses cheveux crépus au naturel, avec ses boucles, ses frisottis et son volume parfois un peu fou, c’est la tendance qui s’impose de plus en plus au Sénégal. Elle découle du mouvement nappy (natural and happy) né aux Etats-Unis dans les années 1960. Ce n’est qu’en 2010 que le mouvement s’est implanté au Sénégal grâce à l’influence des réseaux sociaux et de la diaspora sénégalaise.
Depuis, beaucoup de femmes ont adopté ce retour au naturel. En témoignent les nombreux comptes Instagram, X ou même YouTube portant sur le sujet. Ces comptes sont souvent tenus par des influenceuses qui n’hésitent pas à donner des conseils de soins et de routines pour cheveux. Parmi ces comptes, figure nappy_nko tenu par une femme du nom de Moussou. Sur sa page, on peut lire de nombreux conseils pour hydrater les cheveux ou encore assouplir les boucles.
Le ton est léger, familier et typique d’Instagram. Par écrit, elle a répondu aux questions sur les raisons qui l’ont poussé à adopter le style nappy. « J’ai décidé de revenir au naturel vers 2010, car après des années de défrisage, certaines zones de mes cheveux étaient fragiles et commençaient à se casser. J’ai donc entamé une transition d’environ un an, avant de faire ce qu’on appelle un big chop. J’ai été agréablement surprise de découvrir ma texture naturelle et de voir toute sa beauté. » Un voyage aux Etats Unis a aussi permis à la jeune femme d’assumer ce retour au naturel. « En 2012, j’ai eu la chance d’effectuer un stage aux États-Unis, et cela a été un véritable déclic pour moi. Là-bas, les femmes arboraient leur afro avec fierté, chacune avec sa texture et son style unique. » a-t-elle affirmé.
Quand on lui demande ce que représente pour elle le mouvement nappy, elle répond comme une évidence. « La culture nappy symbolise pour moi la valorisation du cheveu afro et l’acceptation de soi, de sa beauté et de sa carnation, sans complexe. »
Le nappy pour lutter contre les préjugés
Pour Moussou, le mouvement nappy dépasse une simple question de boucles et de cheveux crépus. « C’est un message fort : vous êtes belle au naturel, vous êtes belles telle que vous êtes.
Il incarne également une revendication pour l’accès à des produits capillaires respectueux et adaptés, tout en contribuant à démocratiser le cheveu afro comme un cheveu beau et professionnel », indique-t-elle. C’est un discours similaire que tient Patricia Bong, responsable du salon hairspa qui se trouve au deuxième étage d’un immeuble situé à Sacré-Cœur 2. Ce lundi, trois clientes sont assises dans une salle aux couleurs vives. Leurs cheveux sont étirés à coups de peignes tandis que des doigts rapides parcourent leur chevelure brune. Marpessa Koné, l’assistante, se charge de la réception et propose du thé ou du café à chaque cliente.
L’ambiance est chaleureuse, même dans la salle de repos. Un canapé et un fauteuil ornent la pièce. La responsable du salon et son assistante, assises côte à côte sur le canapé, arborent chacune des coiffures différentes. Tandis que Patricia a le visage encadré de boucles châtains qui lui arrivent aux épaules,
Marpessa a des dreadlocks attachées en un chignon. Sourire aux lèvres, Patricia explique : « Le déclic m’est venu à la naissance de mon enfant en 2002. Je ne lui ai jamais lisser ses cheveux. » Si pour Patricia, il n’a jamais été question de défriser les cheveux de sa fille, elle confie avoir souvent eu recours à des techniques de lissage pour dompter ses propres cheveux. « Avec toutes les techniques de défrisage et les soins à la kératine que j’aimais bien appliquer, j’avais les cheveux très abîmés, limite brûlés. Je n’avais pas les boucles que j’ai aujourd’hui. Mes cheveux étaient devenus des espèces de baguettes sans volume », fait-elle remarquer.
Même en ayant tiré une mauvaise expérience du défrisage, Patricia reste convaincue que le vrai problème réside dans la façon de prendre soin des cheveux. « Le défrisage n’est pas un problème en soi. Le problème c’est qu’on ne nous apprenait pas à prendre soin de nos cheveux après défrisage. On défrisait et on laissait comme ça jusqu’au prochain défrisage », confie Patricia avant d’affirmer avoir tirer des leçons de cette mauvaise expérience. «
Maintenant je sais que si je fais un défrisage, je dois ensuite faire un soin protéiné pour réparer et aider mes cheveux à reprendre de la force. » L’envie de rompre avec les idées reçues et les jugements de valeurs en milieu professionnel, est également une des raisons pour laquelle Patricia a adopté le style nappy. « Il faut souligner que dans le milieu professionnel, on n’est souvent pas pris au sérieux quand on a une coupe afro. Les employeurs pensent souvent qu’une personne avec une coupe afro est négligée et qu’elle ne sait pas prendre soin d’elle. En adoptant ce style, je voulais aussi rompre avec ces idées reçues et ne pas apprendre à mes enfants à avoir honte de leurs cheveux comme nous avons eu honte de nos touffes. »
Elle confie ensuite en haussant les épaules mais un brin nostalgique, « Moi, je me rappelle de ma mère me disant : tu ne vas pas sortir comme ça, peigne toi les cheveux ! Alors qu’ils étaient déjà peignés. » Quand on leur demande les moyens qu’elles utilisent pour prendre soin des cheveux crépus, Marpessa lève les mains en remuant les doigts. « Eh bien, les doigts avant tout », répond-elle avec un sourire espiègle. Patricia renchérit « les mains, car elles doivent être douces. On démêle beaucoup aux doigts. C’est très important pour les cheveux crépus. On va aussi utiliser des brosses adaptées à notre type de cheveux ».
Un mouvement qui dépasse la simple mode
Ainsi, ce n’est pas uniquement le matériel qui est adapté aux cheveux crépus. Les produits le sont aussi. « Ils sont conformes à la texture des cheveux crépus. On met un point d’honneur à utiliser des produits sans silicone. Ils sont souvent faits à base d’aloe vera, d’avocats, de beurre de karité », explique Patricia qui affirme avoir investi dans un matériel de qualité pour garantir le confort de sa clientèle. « On utilise aussi un fer steampod, car c’est une technologie à base de vapeur qui ne dénature pas les cheveux. Nous avons aussi une nouvelle technologie qui est le head spa. Il nous vient du Japon et permet de nettoyer le cuir chevelu en profondeur », renseigne-t-elle. De plus, fait-elle savoir, la trichoscopie leur permet de voir les plaques, les pellicules et maladies qu’on ne peut voir pas à l’œil nu.
Pour Patricia, même les femmes qui portent des perruques ou font des tissages sont naturelles. « Les greffages ne sont pas une mauvaise chose, ce sont des coiffures protectrices. Il faut juste veiller à ne pas les garder trop longtemps. Le fait de mettre des greffages ne veut pas dire que vous n’êtes pas quelqu’un de naturel. Je vois sous les voiles, les tissages ou les perruques, des cheveux qui sont vraiment magnifiques », affirme-t-elle avec conviction. Patricia dit être bien placée pour comprendre les femmes qui utilisent les greffages.
Souvent, c’est par manque de temps, explique-t-elle. « Les cheveux crépus demandent du travail. Par exemple, en me regardant, quelqu’un pourrait se dire que je ne suis pas coiffée et pourtant c’est le cas. Faire cette coiffure m’a pris dix minutes. Donc, je peux comprendre qu’il y ait des femmes qui n’ont pas le temps et qui pour être tranquille trois semaines, font des tissages », dit-elle d’un ton compréhensif.
Dégageant de son front sa chevelure, Patricia dévoile une partie clairsemée de ses cheveux et rassure. « Il y a des gens qui ont de super cheveux et d’autres pour qui c’est plus compliqué. Celles-ci peuvent parfois se sentir mal à l’aise. Moi-même, j’ai des problèmes de cheveux. On en a toutes. Donc il ne faut pas se sentir gêné », affirme-t-elle. Hors de ce salon et loin de ce discours décomplexant, Astou, une femme rencontrée près à la Sicap Sacré-Coeur, nourrit, quant à elle, des complexes. Foulard, noué autour de sa tête couverte d’une perruque, elle affirme ne pas avoir les cheveux qu’il faut pour oser le style nappy. « Ils sont trop courts. Ça serait ridicule. Bien sûr que je préférerai laisser mes cheveux à l’air libre et ne plus les défriser mais je ne peux pas. Il faut avoir les cheveux longs pour se le permettre. », confie la jeune femme en tenue traditionnelle. Qu’on l’adopte ou pas, le mouvement nappy dépasse la simple mode : il symbolise la fierté des cheveux naturels, l’acceptation de soi et le soin conscient de sa chevelure.
Par Yaye Bilo NDIAYE