Au début du mois du ramadan, les fidèles musulmans se sont rués, comme à l’accoutumée, vers les mosquées pour les prières de la nafila (prières surérogatoires). Mais alors que le mois béni tire à sa fin, l’effervescence diminue avec des espaces vides de plus en plus grands entre les fidèles lors des prières. À Dieuppeul et à Castor, les prieurs nocturnes rattrapés soit par la fatigue, soit par les habitudes désertent peu à peu les lieux de culte.
« Au début du ramadan, il y a une grande ferveur, les gens viennent en masse. C’est comme une émulation mystique entre fidèles, chacun se donne au maximum pour se rapprocher d’Allah », témoigne Ibrahima Niang, fidèle de la mosquée de Dieuppeul-Derklé. Malgré son jeune âge, son allure ascétique trahit une âme contemplative, absorbée dans une dévotion où seule compte la quête de la face du Très-Haut. À peine une heure après l’Iftar, il est déjà là, devançant l’appel à la prière. Le visage encore perlé des dernières ablutions, les mains humides, il frissonne sous la caresse de l’air de la soirée et se hâte d’entrer dans la mosquée. Il est 20h 30 en ce samedi 15 mars 2025. Après deux semaines de ramadan, l’affluence est retombée, les fidèles ne viennent que par compte-gouttes, contrairement aux premières nuits du ramadan où les mosquées, partout à Dakar, débordent d’âmes en quête de piété. Dans les quartiers, les lieux de prières peinent à contenir les vagues de fidèles qui affluent quelques instants après la rupture du jeûne pour la nafila. Hommes, femmes et enfants accourent, en effet, dans l’espoir d’accumuler les mérites spirituels dans une ambiance empreinte de ferveur religieuse.
Mais, pour l’instant, dans la mosquée de Dieuppeul, il n’y a seulement Ibrahima, en véritable ascète, qui s’affaire à prendre de l’avance avec quelques rakkas (des unités de prières) tout comme quelques fidèles assis dispersement. Non loin de lui, le muezzin, assis en tailleur devant un micro sur le tapis rouge vif, attend patiemment l’arrivée des enfants du quartier pour entonner les fameux zikr (invocations du nom de Dieu) avant la prière d’Icha (la 5e prière de la journée chez les musulmans). D’habitude, en début de ramadan, les plus jeunes sont pleins d’enthousiasme et envahissent les mosquées, s’amusant à entendre leur voix résonner dans les haut-parleurs : « Laa ilaha illallah ». Pourtant, ce soir, ils sont rares. Seuls quelques gamins turbulents courent et jouent aux abords du lieu de culte, créant une cacophonie par leurs allées et venues. Un tableau qui contraste un peu à celui du début du mois. « Les gens venaient en famille, la mosquée débordait. Certains priaient même à l’extérieur, faute de place », ajoute Ibrahima. Mais toujours est-il que, selon lui, les gens viennent quand même. « Actuellement, beaucoup de gens viennent notamment pour la prière d’Icha, mais ils n’attendent pas la nafila », précise-t-il.
Du monde toujours quand même !
Ainsi, au fur et à mesure que la prière approche, la mosquée se remplit avec les hommes devant et les femmes assises derrière dans un espace aménagé. Alors que la mosquée est à moitié remplie, l’imam dirige la prière, ses récitations de versets coraniques s’élevant dans l’air nocturne rendent compte de la dévotion extatique. Après la prière, place au recueillement. Le muezzin relaie les invocations dictées par l’imam. Dans un murmure fervent, l’assemblée récite silencieusement, puis, dans un même geste empreint de foi, chacun souffle sur ses mains avant de se frotter le visage et la tête. Certains prolongent le rituel en passant leurs mains bénies sur tout leur corps, dans un mouvement cadencé plein d’espoir. Vient ensuite le rappel des obligations des fidèles envers la mosquée. « Financez la maison de Dieu, vous ne le regretterez jamais », exhorte la voix du muezzin.
Pourtant, la mosquée, à moitié pleine, laisse apparaître de larges espaces vides à l’arrière, avec près d’une dizaine de rangées inoccupées. Alors que l’heure du nafila approche, certains fidèles se relèvent et quittent discrètement les lieux. « Nous allons accomplir la nafila de la 16 ᵉ nuit du ramadan », annonce l’imam. « Il comportera six rakkas et dans chaque rakkas, nous réciterons successivement la sourate Al-Ikhlas et la sourate An-Nasr plusieurs fois », renseigne-t-il. C’est ainsi que le nafila démarre après que les fidèles assis derrière se rapprochent devant pour remplir les espaces vides laissés par ceux qui sont rentrés, créant plus d’aires inoccupées dans la mosquée à moitié vide désormais.
De fait, ce qui se passe à la mosquée de Dieuppeul reflète fidèlement la scène observée à la mosquée de la « Cité Marine », située à quelques pas de là. Selon Mouhamed Diop, un fidèle dont la villa fait face à la mosquée, « la foule a diminué ». « La mosquée faisait le plein et les gens priaient dehors mais là, vous pouvez observer par vous-mêmes, personne n’est dehors et la mosquée elle-même n’est pas remplie », renchérit-il, guilleret. Pourquoi ? L’imam de la mosquée nous donne la réponse. Selon imam Ibrahima Ndiaye, c’est lié au fait que les gens se lassent après quelques jours de ramadan. « Le jeûne, il faut le reconnaître, est un peu fatigant et les actes de dévotion exigent d’être endurants alors qu’il y a des gens qui se lassent vite », explique-t-il.
Poursuivant, Imam Ndiaye considère que certains fidèles rusent aussi. « Ils cherchent les mosquées où les prières sont moins longues avec moins de rakkas », fait-il savoir. Pour sa part, El hadj Modou Kâ, l’imam de la mosquée de Castor considère que les gens qui arrêtent de venir après quelques jours de jeûne ne sont pas souvent des habitués des lieux. Trouvé devant sa mosquée après la fin de la « nafila », le vieux, causant et affable, comprend bien le fait. Mais pour lui : « La mosquée a ses hommes. Ceux qui sont là en dehors du ramadan restent assidus et ne ratent pas les nafilas », commente-t-il, serein. Le ramadan révèle ainsi deux catégories de fidèles : ceux qui tiennent le cap du début à la fin et ceux dont l’élan s’émousse au fil des jours. Mais tous, d’une manière ou d’une autre, vivent ces prières surérogatoires comme une occasion de renforcement spirituel.
Souleymane WANE