À Ndiaffate, dans le département de Kaolack, une maison attire chaque jour des dizaines de malades venus des quatre coins du Sénégal et même de l’étranger. Ici, vit et officie Ousmane Fofana, un tradi-praticien hors du commun, connu pour soigner les fractures comme par miracle. Sans jamais demander d’argent, il met son don au service des autres, transformant son domicile en hôpital improvisé et en refuge pour les âmes blessées.
À l’entrée de Ndiaffate, à quelques pas de la nouvelle route, un attroupement trahit la présence d’un lieu particulier. Des voitures stationnées, des vendeuses ambulantes proposant du café Touba, des fruits, des biscuits… et, sous un grand arbre, des familles patientant dans un silence chargé d’espérance. Derrière la façade d’une maison simple s’ouvre une cour vaste, dominée par un grand hangar où des nattes sont disposées à même le sol. Ici, hommes, femmes et enfants, certains avec des plâtres, d’autres avec des béquilles, attendent leur tour.
Un hôpital qui ne dit pas son nom
Bienvenue chez Ousmane Fofana, guérisseur respecté et admiré, dont les mains et les incantations redonnent espoir à ceux que les hôpitaux n’ont pas su soulager. « C’est un hôpital qui ne dit pas son nom », souffle Mor Sy venu de Kaolack, le bras encore immobilisé par une attelle. Le destin d’Ousmane Fofana s’est dessiné dans la souffrance. Il y a plusieurs décennies, un accident grave l’a cloué au lit, brisant ses os et son quotidien. « J’ai passé 7 ans à chercher la guérison. J’ai parcouru le Sénégal, la Gambie, la Guinée-Bissau… Je sais ce que ressent un homme qui souffre d’une fracture, je sais la douleur de l’attente et du désespoir. C’est pourquoi quand j’ai reçu ce don, j’ai décidé de ne jamais demander d’argent », se souvient-il.
Cet accident, loin de l’anéantir, l’a poussé à la quête du savoir. Formé auprès de grands marabouts et tradi-praticiens, il a sillonné l’Afrique pour apprendre et perfectionner ses connaissances. Mais c’est à Ndiaffate, son terroir, qu’il a choisi de poser ses bagages en 1981. Le rituel de la guérison À Ndiaffate, le nom d’Ousmane Fofana est associé à un mot : miracle. Pourtant, lui refuse ce terme. « Je ne fais que prier et utiliser le savoir que Dieu m’a donné. C’est Lui qui guérit, pas moi », dit-il humblement. Le protocole est toujours le même. Le patient s’allonge, et le guérisseur saisit un bâton mystique, héritage de ses recherches et de ses invocations. Il mesure la fracture, murmure des incantations et pose délicatement l’objet sur la blessure. Souvent, le malade ressent immédiatement un soulagement. « Ensuite, je laisse partir la personne. Le reste du travail, je le poursuis à distance. Tant que je prie sur le bâton, la guérison se fait, que le patient soit ici, à Dakar, ou même en Europe », explique Fofana. Dans certains cas, le bâton est envoyé au malade à l’étranger. Il suffit de le poser sur la fracture et de le renvoyer après. « Le lien spirituel reste, la guérison continue », dit-il.
Le guérisseur ne connaît pas de repos. Sa journée commence à six heures du matin et s’achève souvent au-delà de minuit. Entre temps, il soigne, écoute, conseille et prie. Le vendredi seulement, jour sacré de la prière, il s’accorde une pause relative. La maison, elle, ne désemplit jamais. « Chaque jour, je soigne une centaine de personnes », affirme-t-il. Dans la cour, les témoignages affluent. Mais Ousmane Fofana ne se contente pas de soigner. Sa maison est aussi un lieu d’accueil pour les malades sans ressources. « Si quelqu’un vient de loin, je lui trouve une chambre, de quoi manger et se reposer. Tout est gratuit. Le plus important, c’est la guérison », assure-t-il. Ainsi, des familles entières trouvent refuge sous son toit, parfois pendant des semaines. Les repas sont partagés, les chambres ouvertes. « Ici, personne ne dort dehors. Quand on est blessé, on a besoin de chaleur humaine, pas seulement de médicaments », dit-il. Cette générosité s’étend aux plus fragiles : enfants des rues, personnes possédées, malades mentaux… « On me connaît pour les fractures, mais je traite aussi ceux qui souffrent d’esprits ou de maladies invisibles. Ce n’est pas un travail facile, mais c’est ma mission », soutient-il.
Le savoir d’Ousmane Fofana ne lui est pas seulement personnel ; il est l’héritier d’une longue tradition familiale. Son père, marabout respecté, lui a transmis des bases solides. Mais c’est son propre parcours, notamment son enfance comme talibé à Ndiassane, qui a forgé sa discipline et son endurance. « J’ai passé quinze ans dans un daara. Un refuge pour les démunis C’était difficile, mais cela m’a appris l’humilité, la patience et la force intérieure. Tout cela m’aide, aujourd’hui, dans mon travail », raconte-t-il. Aujourd’hui, conscient de la valeur de ce savoir, il initie certains de ses enfants et disciples. « Un jour, je ne serai plus là. Mais ce don doit rester dans la famille. Les gens auront toujours besoin de soulagement », affirme-t-il.
Dans une époque où la médecine moderne domine, l’action d’Ousmane Fofana interroge. Comment expliquer ces guérisons rapides, parfois spectaculaires ? Pour lui, la réponse est simple : « La médecine moderne et la médecine traditionnelle sont complémentaires. Chacun a son domaine. Moi, je soigne avec ce que Dieu m’a donné. Les médecins font leur travail avec les moyens scientifiques. L’essentiel, c’est que les malades guérissent », recadre-t-il. Des médecins eux-mêmes reconnaissent parfois l’efficacité de son approche. « Quand on est confronté à des fractures compliquées, certains envoient discrètement les patients ici. Et beaucoup reviennent guéris », fait savoir Fofana. À 70 ans passés, Ousmane Fofana ne montre aucun signe de fatigue. Chaque jour, il reçoit, soigne et console, fidèle à sa mission.
Sa réputation dépasse désormais les frontières du Sénégal. Des patients viennent de Gambie, de Mauritanie, de Guinée, parfois même d’Europe. Pourtant, lui reste humble : « Je suis juste un serviteur. Si Dieu a voulu que je soulage, c’est mon devoir de le faire ». Dans la cour, un jeune garçon joue avec un ballon, le bras encore bandé, mais déjà alerte. À Ndiaffate, les habitants n’ont plus besoin de légende pour croire aux miracles : ils vivent chaque jour ceux de Ousmane Fofana. Dans un monde où tout s’achète, ce guérisseur a choisi de donner sans compter, offrant son temps, son savoir et son cœur à ceux que la vie a brisés. Sa maison est devenue plus qu’un lieu de soin : un symbole d’humanité. Et tant que ses mains continueront de prier et de soulager, les routes du Sénégal mèneront toujours vers Ndiaffate.
Là où les fractures se réparent
Entre cris de douleur, soupirs de soulagement et récits de guérison, la maison de Ousmane Fofana est devenue une véritable clinique populaire où l’espoir se conjugue à chaque instant.
La cour de Ousmane Fofana ressemble à une petite salle d’attente à ciel ouvert. Le soleil tape fort, mais l’ombre d’un grand manguier offre un répit aux malades et à leurs familles. Autour, les nattes sont disposées en cercle, les visages expriment une fatigue mêlée d’espérance. Sous le grand hangar, un homme âgé, le pied immobilisé par un plâtre grossier, ferme les yeux et murmure des prières. À côté de lui, une jeune femme berce son bébé tout en tenant son bras bandé. Plus loin, deux adolescents, béquilles à la main, discutent à voix basse. L’ambiance est singulière : à la fois pesante et pleine de vie. Chacun attend son tour avec patience.
Parfois, un cri de douleur se fait entendre lorsqu’un patient bouge maladroitement sa blessure. Mais aussitôt, d’autres l’entourent, lui apportent de l’eau, un mot rassurant. « Ici, on est tous dans la même galère », lâche Ousmane Fall, originaire de Diourbel, venu avec son frère accidenté de moto. « Mais on sait qu’on repartira mieux qu’on est arrivé », ajoute-t-il, optimiste. Soudain, une porte s’ouvre. À l’intérieur, la pièce est simple. Un tapis, un siège en bois, quelques objets mystiques posés dans un coin. Le guérisseur demande au malade de s’allonger, puis saisit son fameux bâton. D’un geste précis, il mesure la fracture, ferme les yeux, murmure des prières. La scène dure quelques minutes, sans brutalité. Le patient ressort, soutenu par ses proches, parfois avec un sourire soulagé, parfois encore hésitant, mais confiant. Chaque sortie est scrutée par ceux qui attendent. « Alors ?», demande une voix. « Ça va mieux », répond souvent l’heureux traité.
Fatou, 35 ans, Kaolack témoigne : « Mon fils est tombé d’un arbre. On nous a dit d’attendre trois mois à l’hôpital, mais ici, en une semaine, il a déjà retrouvé l’usage de sa jambe. Je n’y croyais pas au départ, mais maintenant je témoigne. » Amadou, 50 ans, venu de Thiès renchérit : « J’ai cassé mon bras en travaillant sur un chantier. Je ne pouvais plus travailler, ni nourrir ma famille. Ici, j’ai retrouvé l’espoir. Ousmane Fofana, c’est un don de Dieu ». Enfin, Mariama, 22 ans, a quitté Dakar : « J’étais sceptique, mais ma tante m’a convaincue. Après deux séances, ma douleur a disparu. Ce n’est pas seulement un guérisseur, c’est aussi un père : il écoute, il console, il prie pour nous ». Ce qui frappe dans la maison des Fofana, ce n’est pas seulement le nombre de malades, mais aussi l’organisation. Les enfants d’Ousmane participent, guidant les patients, aidant à installer les blessés. Sa femme prépare des repas pour ceux qui restent plusieurs jours.
Des voisins viennent prêter main-forte. « On n’a pas d’infirmiers, mais on a le cœur. Nous avons grandi avec cette mission : soulager les gens », explique l’un des fils du guérisseur. La cour devient ainsi un hôpital communautaire où chacun trouve sa place. Une cour comme un hôpital, une famille comme des infirmiers Des malades partagent leurs histoires, des familles se soutiennent mutuellement, des prières s’élèvent. Le temps semble suspendu, rythmé par les passages du guérisseur et les soupirs des patients. En quittant la cour d’Ousmane Fofana, on a l’impression de laisser derrière soi un autre monde : celui de la douleur apprivoisée et de l’espérance retrouvée. À Ndiaffate, les fractures ne sont pas seulement physiques, elles sont aussi sociales et spirituelles. Et le guérisseur, par son don et sa générosité, réussit chaque jour à recoller les morceaux, redonnant à chacun la possibilité de marcher de nouveau… dans tous les sens du terme.
Par Babacar Guèye DIOP et Marie Bernadette SENE (textes) et Ndèye Seyni SAMB (photos)