À Doudoul, pionnier du « fil » à Touba Toul, Ndiolé Diouf incarne aujourd’hui la mémoire vivante de la fête. Depuis 2014, cette commerçante respectée a pris le relais à la mort de son père et veille sur les préparatifs du rituel : choix des offrandes et respect des gestes anciens. Reconnue par tous pour sa générosité, elle a reçu au jour du lancement du « fil », le samedi 21 juin, un vibrant hommage des femmes de son village à l’ombre du jujubier sacré.
Pour que vivent les traditions et que les pratiques ancestrales ne sombrent dans l’oubli, il faut des gardiennes, des sentinelles du patrimoine. Ndiolé Diouf, cette habitante du village de Doudoul à Touba Toul incarne cette vérité pour le rituel sacré du « fil ». Dans la cosmogonie africaine, les pratiques sacrées préservent une part de mystère souvent réservée aux initiés. Elles se transmettent de génération en génération par le biais de la filiation. Ainsi, le « fil » qui a pris naissance à Doudoul, est aujourd’hui entretenu par celle qui a hérité ce legs de ses ancêtres. Ndiolé Diouf, ayant observé, ces derniers depuis le bas âge, notamment son père se consacraient à ce rituel, est aujourd’hui, à côté des grands hommes de sa famille, le dépositaire des savoirs mystiques qui sous-tendent la célébration.
En ce samedi 21 juin, jour d’ouverture du « fil », Ndiolé Diouf, est déjà là, debout depuis l’aube à veiller à la bonne préparation des offrandes et de tous les artifices mystiques qui accompagnent le rite. Il ne faut surtout pas qu’il y ait d’erreurs ou d’omissions. « Il y a, quelques années, lors d’une célébration des erreurs ont été commises au moment des sacrifices ; ce qui avait causé beaucoup de morts parmi les jeunes, cette année-là, lors de l’hivernage », raconte-t-elle, visage serein. Ainsi, dans la cour sableuse de la maison familiale, Ndiolé est assise à même le sol. Ses cheveux grisonnants à découvert, brillent sous le soleil du matin. Entre ses jambes, une calebasse pleine de farine de mil ; elle y plonge les mains avec lenteur et forme des boules que d’autres femmes viennent recueillir. Plus loin, les hommes sont installés en tailleur, silencieux, comme s’ils attendaient un souffle venu d’ailleurs. Les boules de farine sont offertes à la population qui devront en gouter et en enduire le corps pour obtenir une garantie de survie jusqu’à l’année prochaine. « Une fois qu’on a fini de parler aux ancêtres et faire nos offrandes, nous sommes assurés de ne courir aucun risque lors de la célébration », dit-elle.
Gardienne d’une sagesse codée
Pourtant, à l’œil indiscret du visiteur, cette cérémonie et les actes de Ndiolé pourraient relever de l’ordinaire. Mais pour ceux qui savent, ils représentent « une sagesse codée ». À Doudoul, ce n’est pas en posant un sourire de circonstance ni en débarquant en citadin curieux que l’on pénètre les secrets du rituel. Il faut se taire, observer et mériter, peut-être, qu’une parcelle du mystère vous soit confiée. « Nous ne pouvons pas tout vous dire sur ce que l’on fait. Mais il faut savoir que c’est grâce à ce nous faisons ici que nous avons la paix. Nos ancêtres nous ont laissé cet héritage que nous perpétuons », souffle Ndiolé, doyenne des femmes. « Mon père dirigeait les festivités à Doudoul, car il faut savoir que le ‘’fil’’ est né ici. Ce sont nos ancêtres Bouré Thiandé Naarou et Sagar Ganak Diakhar qui ont amené le rituel à Doudoul. L’un d’eux repose sous le jujubier sacré où tous les villages qui célèbrent le rituel se retrouvent le premier jour », préconise-t-elle.
Âgée de 68 ans, Ndiolé Diouf ne vit que pour le « fil ». Après les activités de la matinée, elle s’est retrouvée, dans l’après-midi, sous le mythique jujubier. Le bienfait ne fut jamais perdu ! En raison de ses longues années de bienfaisance envers les populations, les femmes de Doudoul ont prévu de lui rendre hommage en ce jour sacré. Vêtues de leurs grands boubous rouge vif, couleur emblématique de la fête, elles se sont toutes regroupées autour de leur doyenne, qu’elles estiment profondément. En plus des marques de reconnaissance et des témoignages élogieux, un grand tableau à son effigie lui a été remis. « C’est une grande dame, avec un grand cœur. Le « fil » est important pour nous et pour Ndiolé, c’est pourquoi nous avons choisi ce jour pour lui rendre hommage. Je suis sa sœur, mais elle fait beaucoup pour moi. À chaque fin de mois, elle tient à me fournir mon ravitaillement », confie sa petite sœur, Fatou Diouf.
Âme généreuse
Après avoir pris sa retraite en 2012, à l’âge de 55 ans, alors qu’elle était femme de ménage à la société Alizé, Ndiolé s’est lancée dans le commerce. Une activité qui lui réussit bien et qui lui permet de financer le « fil ». « Dès que la célébration se termine, je commence à me préparer pour l’année suivante. J’ai ouvert un compte dans une institution de microfinance où je dépose toutes mes économies pour la fête. Le ‘’fil’’ est très importante pour moi », dit-elle. À un mois du ‘’fil’’, elle confie mobiliser toutes ses économies pour financer les festivités, avec le soutien de ses enfants. « Cette année, j’ai dépensé plus de 300 000 FCfa en habillement pour les hôtesses, les griots et la confection des tenues pour mes petits-enfants. Le ‘’fil’’, c’est notre héritage, nous ne lésinons pas sur les moyens pour sa réussite », ajoute-t-elle. Pour Nogoye Diouf, amie de Ndiolé, cette dernière mérite tout le respect qui lui est donné, car c’est une âme généreuse qui donne sans compter.
Mais, dans le vacarme de la célébration et des danses rythmées des jeunes filles et des garçons, Ndiolé Diouf reste assise sous le jujubier sacré, entourée des femmes de Doudoul. Tout ce qui importe pour elle, c’est une réussite du « fil », signe qu’elle a bien accompli sa mission. Dans cette position, la sentinelle du « fil » regarde imperturbable le souffle de la terre monter dans le ciel crépusculaire, comme pour s’assurer que les ancêtres ont bien reçu l’appel.
Par Souleymane WANE