Chaque matin, il y a encore quelques années, un ballet discret s’opérait dans les rues de Dakar. Les talibés déambulaient de maison en maison. Leur quête n’était pas seulement celle de l’argent mais d’une relation presque ritualisée avec des donateurs réguliers. Une pratique où la mendicité et l’aumône se transformaient en un échange quasi-sacré, un lien invisible qui, aujourd’hui, semble s’effacer du paysage urbain.
Ces offrandes (Sadaqa), souvent symboliques par leur nombre ou leur couleur, sont perçues comme un moyen de se prémunir contre la malchance, d’obtenir une protection divine ou d’éloigner les mauvais rêves. Le riz, le sucre, le lait, le sel, le pain ou même les bougies ne sont pas choisies au hasard. En retour de ces dons, les talibés offrent des prières, scellant ainsi un contrat tacite entre le bienfaiteur et l’enfant.
Pour ces donateurs, le talibé est un facilitateur d’un acte nécessaire, presque obligatoire, inscrit dans les croyances populaires. Un devoir moral et spirituel qu’il faut accomplir pour s’assurer la chance et la réussite. Le talibé, en se présentant directement sur le pas de la porte, rend cet acte d’une simplicité désarmante.
Mais le temps passe et les pratiques évoluent. Si les talibés sont toujours présents dans les rues de la capitale, la figure du donateur « abonné » semble de moins en moins visible. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène. L’évolution des modes de vie ont sans doute érodé ces rituels quotidiens. L’urbanisation a dilué la proximité qui existait dans des quartiers plus traditionnels, et le rythme effréné de la vie moderne laisse moins de place à ces moments d’échange.
La sensibilisation croissante sur les conditions de vie des talibés, souvent victimes d’abus, a également pu modifier la perception de cette pratique. La mendicité est désormais perçue comme un problème social à part entière, et non plus uniquement comme une tradition.
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Aujourd’hui, l’interaction entre la société et les talibés se résume plus à un don de passage, rapide et anonyme, qu’à une relation quotidienne. Le lien d’interdépendance symbolique entre le donateur et l’enfant s’est effiloché. Le rituel de l’aumône, autrefois ancré dans le quotidien, laisse place à des dons sporadiques, marquant peut-être la fin d’une forme de solidarité qui était, pour beaucoup, le véritable fil rouge de leur foi et de leurs espoirs.
Djibril DIAO