Dans une logique de désencombrement de l’espace public à Dakar, le ministre de l’Intérieur a ordonné plusieurs opérations de déguerpissement dans les zones anarchiquement occupées. Parmi les déguerpis, les mendiants étrangers restent les plus ciblés. Après Colobane, c’est au tour des Mamelles d’être «nettoyées».
Un bidonville construit en moins d’une semaine. C’est ici, aux Mamelles, qu’ils ont trouvé refuge. Installés dans des cabanes rustiques faites de paille et de toile, ils ont recréé un décor familier. Certains dorment dans ces abris de paille et de plastique, d’autres à même le sol, couverts de draps crasseux ou de pagnes élimés. Des ustensiles de cuisine encore mouillés d’une récente vaisselle reposent dans un coin. Ce sont des couples, des individus isolés ou des familles toutes entières. Tout récemment déguerpis de la célèbre cité des mendiants à Colobane, sur la route des Hlm, ces immigrés clandestins nigériens se sont retrouvés à la cité Mbackiyou Faye, aux Mamelles, où ils ont rétabli leur quartier général. En quelques jours, une nouvelle cité a émergé : insalubre, nauséabonde. L’insalubrité de cet endroit égale celle d’une décharge. Ces sans-domicile-fixe reprennent le cours normal de leurs activités. Les femmes vont mendier le jour pour rentrer à la tombée de la nuit. Les jeunes circulent dans les lieux populaires, répétant inlassablement «mayma 100 francs» à toute personne qui croise leur chemin. Telle une communauté ordinaire autochtone, ils ont reconstruit ce qu’ils avaient perdu : les mêmes matériaux, les mêmes gestes, les mêmes habitudes, le même désordre, la même résistance. Dans un wolof approximatif, une jeune femme portant un bébé au dos tente d’expliquer qu’elle est au Sénégal depuis deux ans. Elle affirme qu’elle est vendeuse ambulante de fruits et qu’elle vit avec son mari qui travaille comme maçon. «Nous ne faisons que travailler au Sénégal, rien d’autre», déclare-t-elle avec ferveur, comme pour se défendre d’une accusation muette, appuyée sur une portière de réfrigérateur qui fait office de porte d’entrée pour sa case de fortune.
Un peu plus loin, un groupe d’adolescents vit en aparté, moins réceptif aux contacts et visiblement sur la défensive. Ils répondent à peine à une première tentative d’approche.
Insécurité croissante
Après moult essais, ils expliquent, par le biais d’un passant qui a accepté de jouer le rôle de traducteur, qu’ils sont venus du Niger pour travailler en tant que podologues de rue. Ils refusent de donner des renseignements sur les conditions dans lesquelles ils ont rallié le Sénégal.
Pour les habitants de la cité Mbackiyou Faye, il est hors de question de laisser cette situation perdurer. Ils dénoncent une occupation illégale, une insécurité croissante et une insalubrité envahissante. Certains accusent même le ministre de l’Intérieur d’avoir simplement déplacé le problème, croyant l’avoir résolu. «Ce qui mettrait fin à ce phénomène, c’est de rapatrier ces gens chez eux», affirme un riverain du nom de Samba. «Ils occupent tous les terrains nus de Dakar, et leur communauté s’agrandit à une vitesse express», se désole-t-il.
Avant les Mamelles, la cité des mendiants de Colobane était un espace saturé, désordonné, où les enfants haoussas s’accrochaient aux passants au risque de salir leurs habits. Les jeunes travaillant dans le marché et aux alentours s’adonnaient souvent à de violentes bagarres ; les mères étendaient leurs nattes sur les trottoirs et s’entassaient anarchiquement. L’odeur y était âcre, persistante : un mélange de sueur, de fumée et de déchets.
On les retrouve partout dans Dakar : à Sandaga, à Tilène, à Petersen, dans les marchés, les gares, les carrefours. Ils sont partout, discrets mais nombreux. Deux jours après notre passage aux Mamelles, le vendredi 3 octobre, la nouvelle cité des mendiants a subi le même sort de déguerpissement, forçant ses habitants à migrer vers d’autres horizons.
Fuite en course
Cette fois, l’opération de déguerpissement a été menée plus rapidement, plus fermement. Madjiguène, une gargotière installée derrière le siège de l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp), décrit une fuite en course. «Ils fuyaient avec leurs enfants sur le dos et leurs ballots sur la tête. Je ne comprends pas pourquoi ils se donnent autant de mal pour rester ici comme des mendiants au lieu de rentrer chez eux», s’interroge-t-elle. Leurs habitations sont détruites et les terrains remis à nu. Pourtant, un petit groupe installé près d’un canal a échappé à la vigilance des autorités. Dans un creux difficile d’accès, invisible depuis la route, ils mènent une vie tranquille, loin de la menace des opérations de désencombrement. Certains affirment même avoir reçu l’autorisation du chef de quartier de loger sur ce site jusqu’à ce que les propriétaires de ces terrains émettent le besoin de construire. Pour le moment, ils continuent leur exode, jouant au chat et à la souris avec les autorités.
L’errance urbaine des mendiants haoussas rend compte d’une absence de politique de l’État : entre mesures d’expulsion et construction de sites d’accueil.
Reportage de Ndèye Ndiémé TOURÉ (Stagiaire)