Quand le soleil disparaît, Soumbédioune, situé sur la Corniche ouest de Dakar, se métamorphose. Dans ce décor mêlant odeurs de poissons grillés et chants des « bongomen » (batteurs de calebasse), la plage offre chaque soir un condensé unique de la vie dakaroise.
Le soleil projette ses dernières lueurs sur la plage de Soumbédioune, sur la Corniche ouest, tandis que les premiers convives s’installent aux nombreuses tables disposées un peu partout. Entre le coucher du soleil et le bruit des vagues, le moment est unique. Le temps semble suspendu. Les lanternes suspendues aux cantines, les flammes des fourneaux et les lumières colorées de la grande roue de Magic Land, visible au loin, constituent les seules sources lumineuses. Cela en rajoute à la beauté de la plage, qui semble toujours produire le même effet sur ses habitués.
Que ce soit pour une sortie entre amis, en famille ou en couple, l’atmosphère conviviale de Soumbédioune en fait une destination incontournable en cette période de grandes vacances, coïncidant avec la forte canicule. Sa plage est une belle occasion de combiner retrouvailles nocturnes et moment de détente face à l’océan ; une occasion également pour découvrir les saveurs locales, notamment les produits de la mer tels que les fruits de mer et les poissons fraîchement pêchés. À la nuit tombée, elle accueille de nombreuses personnes venues de tous les coins de la capitale pour des dégustations, baignades et rencontres amoureuses. Regards tournés vers la mer, ils semblent comme subjugués par le spectacle. La vue des vagues qui s’échouent sur les rochers a ravi la palme aux plats de poissons frits ou de fruits de mer. Deux jeunes femmes se baignent dans l’eau, tandis que leurs amis les prennent en photo. Quatre adolescentes attablées ont aussi succombé à l’appel du selfie. Indifférentes au décor, elles sont occupées à chercher la pose idéale. Doigts formant un V, tête légèrement penchée ou encore accolades, tout est fait pour se mettre en avant. Fatima, âgée de 17 ans, confie d’ailleurs venir ici pour le cadre. « J’ai l’habitude de venir ici parce que c’est un bel endroit, idéal pour les photos. Tout est vraiment beau », confesse-t-elle. Elle rajoute, avec un sourire, qu’elle essaie aussi de profiter au maximum du reste des vacances. « Avec les cours, on n’aura plus le temps de venir et, sûrement, que nos parents vont refuser. Donc, c’est le moment ou jamais », indique-t-elle.
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Ambiance garantie
Si ces jeunes filles sont trop occupées par les selfies pour manger, ce n’est pas le cas d’un trio installé quelques tables plus loin. Un homme, en compagnie de deux femmes, savoure un plat constitué d’un grand poisson accompagné d’attiéké et de frites. Les trois convives plantent leur fourchette dans le poisson en échangeant de temps à autre des commentaires appréciateurs. Ils semblent ravis, du moins jusqu’à l’arrivée tonitruante des « bongo man ».
Comme surgis de nulle part, ces derniers se postent devant les convives qui cessent aussitôt de manger. « Hé wa yeen, baa xam ngeen kan lay weyaal ! » (Hé, est-ce que vous savez celui que je vais chanter ?), lance le leader du groupe en désignant l’homme, visiblement mécontent. Quatre autres « bongo man » (batteurs de calebasses) reprennent en chœur, frappant leurs doigts chargés de bagues sur leurs instruments de musique, « Wa yeen, baa xam ngeen kan la nuy weyal ! » (Mais vous, est-ce que vous savez celui que nous allons chanter ?). Tandis que les deux femmes gênées s’enfoncent dans leur chaise, l’homme, les sourcils froncés, baisse la tête sur l’écran de son téléphone. « Monsieur Gaïndé laay weyal » (C’est Monsieur Lion que je vais chanter), continue le chef d’orchestre, loin d’être décontenancé par cette froideur. « Mais ki xaana Trump mo ko diangal gooré » (Mais celui-là, on dirait que c’est Trump qui lui a appris à être homme), poursuit la petite troupe après que l’homme ait porté à ses lèvres un gobelet d’eau. Cette tirade ne fait qu’accentuer le froncement de sourcils de l’homme, dont les yeux restent fixés sur son téléphone. Sentant sans doute qu’ils ne tireront rien de ces trois convives, les « bongo man » abrègent leur chanson. Une dernière pique retentissante : « Bi du bu baax bi, ki da fa ney ! » (Celui-là n’est pas le bon -client-, il est pingre !), vient clore leur prestation, avant qu’ils ne repartent à la recherche de nouvelles victimes. Quelques tables plus loin, Pape, l’un des « bongo man », se confie sur son métier. « Ce n’est pas facile tous les jours, vous savez. Le plus important dans ce métier, c’est de savoir flatter et faire rire », fait-il savoir.
Quête de magie
Quand on lui demande d’où vient son inspiration, Pape répond qu’il improvise souvent. « Parfois, il y a des phrases qu’on répète, mais le plus souvent, on se fie à notre inspiration du moment. C’est souvent une fois qu’on a vu la tête des gens qu’on sait ce qu’on va dire », explique le « bongo man ». Pape insiste également sur l’importance de maîtriser l’art du « bongo ». « Souvent, les gens s’improvisent “bongo man” alors qu’ils n’ont pas appris les ficelles du métier. Nous, nous maîtrisons parfaitement ce que nous faisons », conclut-il. À mesure que le temps passe, les tables blanches en plastique sont prises d’assaut. Des serveurs et vendeurs circulent entre elles pour installer les différents convives. Ils les dirigent vers les tables, tirent les chaises et s’informent du plat à commander. « Hé yow, do ma doublél ñaari chaises. Seen chaises yi dëggërul daara ! » (Hé toi, mets les chaises par deux. Les vôtres ne sont pas très solides !), lance une femme corpulente, tandis que le serveur, nommé Amadou, s’affaire autour d’elle et de ses accompagnants. Une fois assise sur les deux chaises superposées, la dame répond d’un ton las à Amadou qui lui demande ce qu’elle désire : « Yow tamit, do nu meeye ñu togg ak sunu sago ! » (Toi aussi, laisse-nous nous installer sereinement !).
Loin de se laisser décontenancer, Amadou se contente de reculer de quelques pas. Il confie être habitué à ce genre de choses. « Parfois, les gens sont difficiles et compliquent volontairement les choses. Il ne faut juste pas être susceptible », laisse-t-il entendre. Son expérience, Amadou l’a acquise au fil de cinq années. « Je travaille dans la cantine bleue. Je loue des tables et en même temps, j’aide la patronne à la cuisine. La table coûte 1.000 FCfa et le prix du repas varie en fonction de la taille du poisson », renseigne-t-il. D’un air affairé, Amadou se rapproche de nouveau pour prendre les commandes. À Soumbédioune, chaque soir apporte son lot d’images et de sons : des tables bondées, des voix qui fusent, des vagues qui bercent. Entre le spectacle de la mer et celui des hommes, la plage reste un lieu où Dakar vient chercher, le temps d’une nuit, un peu de magie et beaucoup de vie.
Par Yaye Bilo NDIAYE (stagiaire)