La migration des enfants en Afrique de l’Ouest est complexe et peu comprise. Directeur du laboratoire Germ-Université Gaston Berger de Saint-Louis, le Professeur Aly Tandian revient sur les insuffisances épistémologiques des approches anthropologiques. Il apporte également des éclairages à la suite d’une étude faite dans plusieurs pays d’Afrique.
Quelle lecture faites-vous de la situation des enfants engagés dans les migrations de travail en Afrique de l’Ouest ?
Les migrations d’enfants en Afrique de l’Ouest sont ancrées dans des pratiques socio-culturelles et amplifiées par les inégalités structurelles. Elles restent peu comprises à cause d’une invisibilité statistique et des catégorisations réductrices. Les données quantitatives comme les recensements ignorent souvent ces enfants, les réduisant à des accompagnants familiaux ou des victimes de trafic. Leurs spécificités démographiques sont rarement désagrégées, sauf dans les contextes de migrations forcées. En plus de cette situation, il y a des limites épistémologiques qui n’aident pas à mieux comprendre ce fait. Vous savez l’anthropologie des migrations africaines reste marquée par des cadres réducteurs qui analysent les migrations des enfants comme de simples effets du système capitaliste mondial. Cela nie la diversité des logiques culturelles, la capacité d’innovation sociale des acteurs locaux, etc. La mobilité des enfants est une pratique ancestrale au sein des réseaux familiaux, elle a longtemps permis l’accès à l’éducation dans des régions dépourvues d’écoles, même si elle peut masquer des formes d’exploitation laborieuse urbaine sous couvert de socialisation.
Donc, on peut dire que la migration des enfants à travers le confiage a des fonctions sociétales ?
Effectivement la migration des enfants à travers le confiage a des aspects positifs comme l’accès à l’éducation, la solidarité intergénérationnelle ou l’adaptation climatique. Oui, le confiage des enfants a permis la scolarisation dans des zones rurales marginalisées. Il a permis le maintien des liens familiaux et la redistribution des ressources, et enfin il a facilité la survie de nombreux enfants face aux crises environnementales. Cependant, il n’y a pas que des aspects positifs car le confiage a occasionné des situations de déscolarisation avec l’utilisation des enfants comme une main-d’œuvre domestique ou agricole. Il a aussi occasionné des situations d’exploitation économique ainsi que des risques sanitaires et sécuritaires.
Quelles réponses opérationnelles et politiques faut-il alors mettre en place ?
La situation des enfants engagés dans les migrations de travail en Afrique de l’Ouest révèle une tension entre une donne socioéconomique et des vulnérabilités structurelles. Une approche équilibrée doit conjurer tant la victimisation que la banalisation des risques, en ancrant l’analyse dans les réalités endogènes et les impératifs de justice sociale.
Il y a une réelle urgence à engager des actions politiques ciblées par exemple reconnaître le confiage comme pratique culturelle à réguler (contrats familiaux supervisés, suivi scolaire), intégrer les enfants migrants dans les stratégies de développement, criminaliser le travail infantile informel, etc. sachant que seuls 35% des pays ouest-africains ont ratifié la Convention 182 de l’Organisation internationale du travail.
Quel est l’apport des études et des recherches face aux migrations des enfants ?
Il faut reconnaitre la nécessité d’engager des recherches-actions qui vont permettre de dépasser l’invisibilité et d’avoir une meilleure connaissance de la situation des enfants engagés dans les migrations de travail en Afrique de l’Ouest. Cette première étape peut être accompagnée par l’urgence de repenser les cadres théoriques et la nécessité de dé-globaliser l’analyse en privilégiant les études micro-locales pour saisir les logiques autonomes des communautés ouest-africaines. La recherche peut aider à co-produire des solutions avec les enfants en intégrant leurs voix dans la conception des politiques via des assemblées participatives, rompant avec les logiques adulto-centrées. C’est de cette manière qu’il est possible de développer des outils adaptés pour alerter sur les risques de traite en temps réel.
Propos recueillis par Amadou Maguette NDAW