Il y a eu le drame de Boffa-Bayotte, mais celui de la forêt de Bissine est tout aussi célèbre. Le 12 novembre 2011, la forêt de Bissine s’est transformée en théâtre de sang : des rebelles y ont abattu froidement dix jeunes du village de Diagnon, accusés d’exploiter les arbres sans leur accord. Treize ans après, la douleur reste vive et la déforestation continue de menacer un patrimoine forestier déjà meurtri.
Après un long périple, quittant Kolda et traversant Goudomp, on arrive à Diagnon. Jeunes et vieux se reposent à l’ombre de manguiers centenaires, tandis que les femmes s’affairent dans les cuisines pour préparer le déjeuner. Au rond-point qui fait office de marché, l’évocation de la funeste journée du lundi 12 novembre 2011 suffit à plonger les habitants dans la douleur. Beaucoup portent encore le deuil de cette date qui aurait pu être ordinaire, mais qui restera comme l’une des pages les plus sombres du village, marquée par le massacre de ses fils.
La trentaine, de taille moyenne, Omar Mané, représentant actuel du chef de village, confie que personne à Diagnon ne pourra jamais expliquer cette tuerie insensée où des jeunes furent abattus comme des lapins. Ce qui le désole le plus, c’est que personne dans le village ne détient de prérogatives pour exploiter la forêt. « Les coupeurs de bois vont en brousse sans l’autorisation du chef de village. Les agents des Eaux et forêts sont peut-être ceux qui délivrent les permis, car il y a un service à Bissine. Chaque année, nous sensibilisons sur les dangers de la coupe des arbres. Avant le massacre de 2011, les trafiquants abattaient déjà les arbres de manière anarchique et sauvage », révèle-t-il. Il ajoute que ces derniers avaient installé un peu partout dans le village des machines et des scieries. « Ils venaient par groupes. Mais aujourd’hui, la pression a nettement diminué, même si l’on continue à couper du bois malgré le traumatisme de cette tragédie. Les rares exploitants qui subsistent sont des menuisiers titulaires de permis délivrés par les services des Eaux et forêts de Bissine. »
Plan Diomaye
Omar Mané se souvient encore : « J’étais en classe de 3e cette année-là. Personne n’a pris le déjeuner ce jour-là au village. La consternation était totale. J’étais dépassé, car je n’avais jamais vécu pareille chose. J’étais stupéfait en voyant les corps de mes parents et voisins étalés au sol. » Présent lui aussi ce jour-là, Saloum Faty rapporte que beaucoup parlent d’un règlement de comptes. À l’en croire, les rebelles passaient des accords avec les trafiquants et ceux qui respectaient le deal étaient épargnés. Malheureusement, ces jeunes de Diagnon ont été surpris en pleine forêt par les rebelles, qui les ont exécutés sans pitié. « Ils se considèrent comme les propriétaires de la forêt casamançaise », se désole-t-il.
Assise à côté de voisines, Awa Dramé, quadragénaire, a perdu son époux lors du massacre. Les larmes aux yeux, elle confie son chagrin. À l’époque, jeune mariée, elle se trouvait à Djibanar, à une vingtaine de kilomètres de Diagnon. « Je suis restée traumatisée toutes ces années. Tellement que j’ai interdit à mes enfants de mettre les pieds en brousse », dit-elle. Elle ajoute avoir entendu parler du programme du Chef de l’État, baptisé « Plan Diomaye pour la Casamance », qu’elle espère voir apporter une solution durable à la déforestation. Sous un grand manguier, vieux et jeunes discutent. Cheveux poivre et sel, Bacary Sonko, 60 ans, estime que la forêt ne sera véritablement protégée que lorsque les jeunes auront du travail. Le jour du drame, il se trouvait à Ziguinchor, où il a appris la mort des jeunes. « Les autorités actuelles connaissent les enjeux en Casamance. Des massacres pareils peuvent être évités. La plupart des exploitants de la forêt sont des chômeurs. Le Plan Diomaye Président peut être un début de solution », soutient-il.
Daouda Sonko, frère d’une des victimes, pense lui aussi que la solution réside dans l’emploi des jeunes. « Nos parents, victimes de cette tragédie, n’étaient sûrement pas ceux que les rebelles recherchaient. Ils étaient simplement au mauvais endroit, au mauvais moment », dit-il avec tristesse. Le patriarche Bacary Djigaly, la voix tremblante, peine à parler de cette journée noire. « Ce sont nos fils qui ont été tués. C’était dur », lâche-t-il, appelant les autorités à soutenir les jeunes de Casamance pour éviter qu’ils ne s’associent aux étrangers qui exploitent la forêt. Le président de la jeunesse de Diagnon, Famara Mané, est convaincu que ce massacre est avant tout lié au chômage des jeunes. « S’ils avaient d’autres métiers, ils n’iraient pas en brousse au risque de se faire tuer par les rebelles », souligne-t-il. Selon lui, malgré les efforts de sensibilisation, l’appât du gain reste un problème : « En période de coupe massive de bois, l’argent circule beaucoup dans le village. Les gens ont du mal à y résister. » Famara regrette que la forêt ait perdu son charme et sa diversité. « Beaucoup d’espèces ont disparu », dit-il. Mais il veut croire que le Plan Diomaye pour la Casamance redonnera à la forêt son lustre d’antan.
Samba DIAMANKA