Le recrutement de bonne, nounou, femme de ménage, cuisinière ou encore lingère n’échappe pas aux secousses de la modernité. Si aller dans les points de rassemblement a encore le vent en poupe, ce secteur informel tend de plus en plus à connaître un coup de neuf grâce à l’émergence d’agences de placement.
Le rond-point Liberté 6 est célèbre pour être un lieu de commerce, mais il est aussi un point de convergence des bonnes, lingères, nounous ou encore cuisinières. Chaque jour, elles s’y rendent avec l’espoir de repartir avec un travail. Assises sur des bancs non loin de la station-service, elles attendent leur futur employeur. Dix, vingt ou peut-être cinquante : il est difficile de faire le compte exact de ces âmes besogneuses en quête de mieux-être. Ces femmes venues des quatre coins du Sénégal sont regroupées en plusieurs groupes. Certaines ont même leurs bagages à côté, prêtes pour l’emploi.
Daba Sène vient de Fissel Mbadane, dans le département de Mbour. Le corps frêle, le regard hagard, la jeune femme semble être perdue devant tout ce monde pour une raison bien particulière. « Je viens ici pour la première fois », dit-elle, jouant nerveusement avec ses doigts. La femme de 19 ans a rejoint ce site grâce à sa cousine. « Je suis venue avec elle dans l’espoir de trouver du travail pour subvenir aux besoins de ma famille », ajoute-t-elle.
Elle n’en rajoutera pas plus. Ici, il n’est pas question de papoter en toute quiétude avec ces filles sans passer par Seydou Samaké. Le quadragénaire veille au grain. Muni d’un stylo et d’un cahier, il gère son business d’une main de maître. Il ne tarde pas à venir se mêler à la discussion. Ce dernier s’occupe du placement des filles pour des postes de femmes de ménage, de nounous, de lingères ou encore de cuisinières. Dans le métier depuis une dizaine d’années, il est difficile de tenir une conversation avec le sieur. Les appels fusent de partout. Le téléphone ne cesse de sonner.
Une organisation précaire
Seydou accepte de parler de sa profession après quelques minutes de négociations. « Je suis établi à Liberté 6 depuis plus de dix ans. Mais nous n’avons pas d’aide de la part des autorités », se désole-t-il. Ce dernier a hérité de ce travail de son père. Le business fonctionne à cent à l’heure. Tous les jours, elles font appel à lui pour un emploi. « La jeune femme fournit quelques renseignements sur ses parents ou son tuteur et nous présente sa pièce d’identité. Faute de cela, elle nous donne le contact de ses proches comme garantie », renseigne-t-il.
Ce dernier se charge ensuite de discuter avec l’employeur, qui donne 5 000 FCFA ou plus, ainsi que son adresse. « Nous plaçons plus de 500 filles par mois. Mais nous ne sommes pas dans les meilleures conditions. Ce n’est pas normal de devoir entasser les filles ici, cependant, nous n’avons pas beaucoup de choix », regrette-t-il.
« Ce n’est vraiment pas présentable comme lieu », renchérit Soda Thiam, tout en relevant que ces femmes peuvent être exposées à de nombreux risques. La quinquagénaire gère une boutique de vente de tissus et a pris l’habitude de venir à Liberté 6 pour trouver une bonne. La résidente de Sacré-Cœur 3 a établi un rapport de confiance avec Seydou Samaké et fait appel à lui. Aujourd’hui, elle sollicite ce dernier pour deux lingères. Cependant, la commerçante affirme ne pas aimer venir dans ce lieu et juge qu’il doit être mieux organisé.
Des agences de placement pour une structuration
Safy Sène et Abdou Thiam ont tous les deux ouvert une agence de placement de personnels de maison. Comme Seydou Samaké, ils proposent les mêmes services, mais à quelques différences près. Les deux entrepreneurs apportent une nouvelle donne à ce secteur informel. Ils reçoivent les demandeurs dans leurs agences et servent d’intermédiaires entre employé et employeur.
« L’agence fait l’entretien téléphonique avec la candidate, puis l’entretien physique avant de proposer le profil à l’employeur », a fait savoir Safy Sène. « Nous veillons à ce qu’elles soient respectueuses, dignes de confiance et munies de leur pièce d’identité nationale », informe la propriétaire de l’agence « Gneweul job ». Il en est de même pour Abdou Thiam, qui demande aux employées une pièce d’identité, le numéro de leur tuteur et effectue des entretiens téléphoniques.
Safy Sène et Abdou Thiam tiennent à la « réglementation » et proposent des contrats. « Le recrutement se fait sous contrat, aussi bien pour l’employeur que l’employé. La mise en placement est une prestation de services pécuniaire », renseignent-ils. « L’employeur verse 10 000 FCFA, et à l’employée, dont à fin du mois 5 000 FCFA une seule fois », informe Safy Sène. À l’agence Thiamemploi de Abdou Thiam, l’employeur donne 10 000 FCFA et la femme de ménage donne 10 % de son premier salaire », a fait savoir M. Thiam.
Ces agences veulent « apporter une nouvelle donne » au recrutement de personnels de maison. « Nous voulons que ces travailleuses puissent un jour avoir, elles aussi, des contrats avec leurs employeurs, avec des prises en charge médicales », espère Safy Sène, tout en plaidant pour plus de soutien. Abdou Thiam embouche la même trompette. Il estime que ce système de placement de personnels de maison est beaucoup plus moderne, plus sûr et plus rapide, et mérite l’appui des autorités pour plus de contrôle, une meilleure structuration et une meilleure régularisation. « Nous avons même une association, mais il nous faut plus de soutien », regrette-t-il.
El hadji Mamadou Fall est le fondateur de l’association nationale des agences de placement et de recrutement du Sénégal (Anaprs). Leur objectif est qu’il n’y ait plus de travailleuses dans les rues. L’Association est née en 2023. Elle est le fruit de notre volonté de faire entendre nos voix et faire valoir nos droits avec la volonté de ne plus avoir de travailleuses dans les rues », a expliqué El Hadji Mamadou Fall. L’association milite pour le respect de leurs droits. « Nous apportons un soutien et un accompagnement à ces travailleuses. Nous organisons également des formations sur nos droits et faisons appel à des juristes pour les défendre au mieux », a fait savoir le propriétaire d’une agence de placement.
« Anaprs a la possibilité de partager des profils de femmes de ménage qui nécessiteraient une formation préalable avant leur insertion », renchérit M. Fall. Cette collaboration permet d’assurer « la qualité des services » offerts, tout en offrant des opportunités d’emploi à ces femmes.
Une nouvelle donne avantageuse
« J’allais à Liberté 6 pour trouver du travail. Une amie m’a ensuite parlé d’une agence de placement de personnel. C’est très bénéfique, car je collabore avec une personne de confiance depuis plus d’un an », confie Diarra Diouf. La femme de 22 ans a pu trouver un emploi sûr. À l’en croire, l’agence l’a toujours mise en lien avec des employeurs de confiance. « Ils sont à l’écoute et veillent sur moi. Une fois par mois, ils m’appellent pour s’enquérir de ma situation là où je travaille », dit-elle, guillerette.
La satisfaction est aussi au rendez-vous du côté de Ndoumbé Faye. Cette directrice d’école a fait appel à une agence de placement. « C’est une connaissance qui m’a mise en rapport avec la fondatrice d’une agence. Elle m’a mise en rapport avec trois filles. Elles sont toujours avec moi. L’une s’occupe de la maison et les deux autres m’aident à l’école », dit-elle. Des travailleuses qui donnent satisfaction, avec de très bonnes habitudes, d’après Mme Faye.
Corka Ndiaye Ndour est la présidente de l’Addad-Sénégal (Association de défense des droits des aides ménagères et domestiques du Sénégal). Cette association sous régionale, basée au Mali, est actuellement présente dans dix pays tels que le Mali, le Burkina Faso, le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Conakry, le Sénégal, la Gambie, le Ghana et la Mauritanie. La présidente soutient que les agences sont « une bonne chose » et peuvent être un atout si elles sont formalisées. Comme quoi, la réforme a du bon !
Arame NDIAYE