Le beignet fait désormais partie du décor des rues de Dakar et de sa banlieue. Présent dans les différents coins, il se décline à l’infini pour le plus grand bonheur des papilles. Il n’est pas au bonheur des gourmets ou amoureux de ces boulettes aux farines que les femmes se lancent dans ce commerce. Il est devenu un véritable business, constituant un levier économique pour ces dames.
Tôt le matin, des femmes armées de gaz, cartons, seaux ou bassines remplies de farine rejoignent leur petit coin, fidèles au rendez-vous avec leurs clients. Après la mise en place, la vente est ouverte. Bineta Diallo, une jeune femme de vingt ans, foulard bleu noué sur la tête, a quitté la Médina à 6 heures. Elle est vêtue d’une longue robe multicolore en coton, favorable à un simulacre de chaleur dès 8 h 51 mn, sous un ciel nuageux ce lundi 22 septembre 2025. Au fur et à mesure que les cars rapides stationnent sur l’avenue Cheikh Anta Diop, plus précisément à l’entrée du célèbre « couloir de la mort » de l’université du même nom, les passagers s’arrêtent pour acheter des beignets.
Près du fil des clients, Dieynaba Diallo, petite sœur de Bineta. Elle est chargée de la vente au même moment où les gracieuses mains de sa sœur puisent de la pâte de farine dans un grand seau blanc posé sur une palette noire pour maintenir l’équilibre avec le grand bol qui sert de marmite. Entre Dieynaba et les clients, il y a un large plat où Bineta dépose les beignets « dugup » (mil) tout comme ceux de farine simple. Un bocal rectangulaire contient du sucre fin, au plaisir des personnes qui aiment en prendre avec les beignets farine. Ce qui n’est pas de la préférence de Mme Sèye, une dame de plus de 60 ans qui contourne la file de clients attendant la sortie d’huile des beignets farine. Sur le plat, il n’y a que quelques beignets « dugup ». « Je préfère les beignets « dugup » parce qu’il n’y a pas assez de sucre », fait-elle savoir. Quant à Aminata Diop, une doctorante à la faculté des Sciences juridiques et politiques à l’Ucad, elle patiente pour les beignets de farine, ses préférés pour le petit déjeuner, laisse-t-elle entendre. « Dakar, Dakar ! » Scande un apprenti de car en maillot rouge tacheté d’huile de moteur, à l’instant où certains de ses passagers allongent le flot de clients devant Dieynaba. Il les accompagne du regard et lance : « Dakar, Dakar ! », espérant de nouveaux clients.
Abdel Kader Badiane est l’un d’eux. « Depuis un an, j’achète ici ces beignets pour le petit déjeuner et c’est très bon », déclare-t-il dans sa tenue d’agent de l’Unité de coordination de la gestion des déchets solides (Ucg). La farine, le lait, le sucre donnent un goût de beignet simple et digeste qui a traversé les temps d’après les explications de Bineta Diallo. Leur texture, à la fois croustillante à l’extérieur, moelleuse ou fondante à l’intérieur, en fait un véritable délice. Non seulement, les beignets de cette vendeuse sont agréables et d’un bon goût naturel sans l’artifice d’aucun ingrédient d’arôme, mais aussi ils ne sont pas chers. Les beignets de farine et les beignets « dugup » sont vendus à 25 FCfa au moment où chez plusieurs vendeuses c’est à 50 FCfa. « Des beignets à 25 FCfa n’existent plus. Je vends mes beignets à 50 FCfa parce que j’y mets beaucoup de frais. Et ils ne sont pas comparables aux autres. Je prépare la pâte avec des œufs, de la muscade, du lait, du sucre vanillé, du beurre entre autres ingrédients », renseigne Maïna Ndiaye, qui fait le marketing de ses galettes de beignets.
Le coco, allié des vendeuses de beignets
Une odeur chatouillante de vanille que dégagent ses beignets envahit la terrasse de sa boutique d’habillement, « Maïna Fashion », ouverte sur la Route du Service géographique de Hann Bel-Air. Une fois dans la bouche, l’odeur de la vanille est accompagnée par un agréable goût que les narines embaumées ne parviennent pas à qualifier ni la senteur ni, la douceur. Une douceur bien réelle à 18 heures passées d’une trentaine de minutes à l’entrée du marché Castors s’il n’y avait pas la présence tapageuse des Jakarta prêts à vous frôler si vous manquez de vigilance. Faisant fi du décor du secteur animé des boutiques cosmétiques, l’odeur des beignets vous transporte dans une nature verdoyante remplie de cocotiers. « Je préfère mettre du coco râpé sur la farine. Comme ça, on sent plus le goût du coco », explique Aïda Ciss, entourée de beignets de farine et « dugup » bien cuits, et de clients jugeant du regard ces galettes.
La préparation de ces beignets est une véritable alchimie. Assise devant la résidence Sokhna Diarra Mbaye, Aïda enrôle la farine avec le coco et la dépose dans l’huile, d’un geste ancré dans plus de cinq ans d’expérience. « Il y a des cocos », interpelle Rose de Garnier à sa compagne Shelsea. « Oui, ce qui est blanc sur les beignets, c’est du coco », répond la gabonaise. « Faites-nous pour 300 FCfa de beignets de farine et 100 FCfa de mil », enchaîne Rose à l’endroit de la vendeuse. Au même moment où cette dernière, à l’aide d’une fourchette, met des beignets teintés de cocos sur une large feuille beige, Shelsea confie : « Nous préférons ces beignets. Et tant que c’est un endroit propre, nous aimons ». El Hadji Bâ, un autre client qui achète 1000 FCfa de beignets farine pour sa famille confie : « Je peux dire que je fais partie des personnes qui aiment les beignets ». Un business bien structuré La vente des beignets est devenue un business bien structuré pour certaines femmes. Elles ont bien excellé dans l’art de commercialiser ces pâtisseries très prisées dont elles ont le secret.
D’ailleurs, chez Bineta Diallo, c’est un commerce familial. La jeune femme souligne qu’elle est leur seule activité économique. Elle a été initiée par leur mère, Malado Diallo, qui tient sa place depuis 2021. Les après-midis, c’est sa grande sœur qui la supplée et elles s’en sortent financièrement. Bien que les vendeuses n’aiment pas aborder leur gain au quotidien, Maïna, la commerçante, explique que les beignets s’écoulent facilement et sont rentables. « C’est avec l’argent de la vente de beignets que je cotise pour mes tontines qui s’élèvent à 300 000 FCfa, par exemple, ou les tontines hebdomadaires ; ce qui me permet de connaître concrètement où j’ai dépensé mes bénéfices », indique-t-elle. La vente de beignets est aussi une seconde activité économique chez Aïda Ciss. Femme de ménage à la résidence Sokhna Diarra Mbaye, elle la considère comme une source d’investissement. Le même avis est partagé par la patronne du restaurant « Deeg Diamm » sis au marché Sandaga. Tablier vert autour de sa taille, elle argue : « je ne saurais que faire si ce n’était pas la vente de beignets. Vous savez, je ne vends que le petit déjeuner, entre le paiement du loyer, de mes factures et de ma bonne, il ne me reste presque rien ».
Par Aïda GUEYE (stagiaire)