Deux constitutionnalistes, Ndiogou Sarr et Dr Mamadou Salif Sané, analysent la décision du Conseil constitutionnel. Selon eux, même si le juge constitutionnel a rejeté l’article premier de la loi interprétative, il a en profité pour clarifier le champ d’application de la loi d’amnistie en ce qui concerne les crimes de sang.
La décision du Conseil constitutionnel a suscité de vives réactions depuis sa divulgation et est au cœur des débats. Chacun y va de son commentaire. Maître de conférences à l’Ucad, Ndiogou Sarr analyse cette décision sous deux angles. D’abord, il estime qu’elle est positive, car elle montre que les juges constitutionnels n’ont pour mission que de vérifier la conformité à la Constitution des textes. Selon lui, le Conseil a rappelé qu’une loi interprétative a pour but de clarifier ou de préciser, mais qu’elle n’ajoute ni ne diminue. « Le juge constitutionnel a été saisi dans les règles et il s’est prononcé en respectant les procédures, en affirmant que cette loi interprétative, en tentant de restreindre le champ des faits visés par la loi d’amnistie, n’a pas interprété, mais a, au contraire, modifié. Cette modification risquait de créer une inégalité parmi les justiciables », a-t-il expliqué.
Il ajoute : « C’est une bonne décision qui montre que la loi interprétative a violé la Constitution, à la fois au niveau du principe de légalité et au niveau du principe de non-rétroactivité, notamment en ce qui concerne la loi pénale ». Concernant la deuxième analyse, il précise que la loi d’amnistie mettait dans un même sac toutes les infractions. Mais, dit-il, « Elle a précisé que les crimes de sang, les actes de tortures, de barbarie ne peuvent être couverts par une loi d’amnistie ». Selon Dr Sarr, le juge constitutionnel, en rendant sa décision, a profité de l’occasion pour clarifier et préciser le champ d’application de la loi d’amnistie.
« Aujourd’hui, les victimes peuvent saisir le juge pénal pour demander que les auteurs de ces crimes de sang soient punis par des sanctions pénales. Celui qui a gagné dans cette affaire est, en fin de compte, celui qui a initié le dépôt de la loi interprétative, car même si le Conseil a rejeté la loi pour violation de la Constitution, il en a profité pour clarifier la loi d’amnistie, offrant ainsi aux victimes la possibilité de saisir le juge par rapport aux auteurs des faits », a-t-il souligné. Pour sa part, Dr Mamadou Salif Sané, enseignant-chercheur en Droit à l’Ugb souligne : « Cette juridiction a affirmé que la loi interprétative n’était pas nécessaire, car les crimes, les actes de torture et de barbarie commis sur des personnes sont des infractions imprescriptibles ». Il renchérit : « Le Conseil a lui-même précisé le champ d’application de la loi d’amnistie en indiquant clairement que les infractions relatives aux biens et aux matériels relèvent du champ de la loi d’amnistie ».
Aliou DIOUF