La fête de Tamxarite célébrée aujourd’hui, 10e jour du mois de Muharram, est symbolisée par le traditionnel «ceeré» (couscous de mil en wolof), plat symbolique du dîner. À quelques heures des dégustations, les femmes s’activent dans les foyers entre roulage de la farine de mil, cuisson à la vapeur, tamisage du couscous… Au quartier de la Médina, quelques-unes rencontrées chez elles, perpétuent à force de bras et de savoir-faire cette tradition culinaire.
Il est 10 heures, ce vendredi 4 juillet, à la rue 17 de la Médina. En cette veille de la Tamkharit, aussi appelée Achoura dans la tradition musulmane, l’effervescence gagne déjà les foyers. Si certains restent occupés par les affaires courantes du quotidien, d’autres sont particulièrement occupés par les préparatifs du traditionnel ceere (couscous de mil) en vue du dîner du soir. Quelques dames, assises en tailleur devant les vérandas de leur maison, calebasse entre les jambes, s’affairent à rouler la farine de mil (mooñ en wolof), avec un pot d’eau posé à proximité de leurs pieds. À force de bras, elles roulent la farine dans un geste empreint de dextérité. Les va-et-vient de leurs mains, qui frappent doucement le mil, transforment peu à peu la poudre blanche en minuscules boules semblables à des grains de sable. À intervalles réguliers, elles saisissent le pot d’eau et versent quelques gouttelettes sur la farine déjà humidifiée, afin de la rendre plus malléable.
C’est le cas chez Rokhaya Cissé, vendeuse de couscous de mil, connue dans ce quartier de Dakar comme la vendeuse attitrée du fameux mets. Trouvée dans l’antre de son commerce, elle s’affaire à pétrir avec soin le ceere, les bras couverts de farine. Secrets de cuisson du ceere… De larges marmites posées sur des fours artisanaux chauffés à grand feu cuisent le couscous moulé dans de la toile plastique. Elles laissent monter une fumée particulièrement chaude et parfumée. « Le secret d’un bon ceere, c’est d’abord la qualité du mil.
Il doit être bien nettoyé, bien moulu et surtout bien tamisé. Ensuite, il faut le rouler avec conviction pour avoir de gros grains. Pour couronner le tout, il faut travailler afin d’avoir un goût un tantinet fermenté, ou autrement amer (« ceere bou forokh » en wolof). Mais pour cela, il faut des astuces dans la préparation », confie-t-elle, sérieuse dans sa compétence. Ainsi, abordant le processus de préparation du couscous de mil, Rokhaya Cissé fait savoir que derrière cette tradition culinaire, un labeur fastidieux entre en jeu. Selon elle, il faut d’abord se procurer du bon mil à temps, bien le laver, payer le moulin avant d’entamer le processus de préparation proprement dit avec le moulage.
« Pour éviter d’avoir un couscous désagréable à manger avec du sable dedans (ceere bou khajam en wolof, il faut bien laver, car le mil peut contenir parfois beaucoup de sable et de cailloux », fait savoir Rokhaya Cissé, plus de 15ans dans le métier. En ce moment, la bassine de farine mise sur le feu auparavant a désormais atteint le temps de cuisson requis. La farine, jadis blanche, a complètement changé de couleur, tirant vers le marron. Avec l’aide de deux de ses collaborateurs, Rokhaya Cissé la retire du feu et la déverse dans une grande calebasse. La chaleur intense et l’épaisse vapeur s’échappant du couscous enveloppent son visage qui ruisselle désormais de sueur. Ensuite, à l’aide d’un pilon, Rokhaya brise le bloc de couscous en petits morceaux, qu’elle réduit peu à peu en une fine poudre. Le couscous, ainsi fin prêt, est réparti entre les filles sur des bols et chacune d’elles, à l’aide d’un tamis, s’évertue à le rendre plus fin.
« Pour avoir un bon ceere, il faut bien le cuisiner en respectant le temps de la cuisson qui varie généralement entre 10 et 15 minutes. Il est également important de bien tamiser pour avoir de gros grains », dit-elle. Et d’ajouter : « C’est seulement après qu’on peut le malaxer avec de émollient fait à base de poudre de feuilles de baobab (laalo : en wolof ») afin de le lubrifier et le rendre plus comestible. Un art qui se perd Cependant, pour Rokhaya, la tradition du ceere se perd peu à peu, car les gens n’ont plus le temps pour la préparation. Ainsi, selon elle, à l’occasion de la Tamxarite, ils viennent en masse. « Il y a celles qui n’ont pas le temps de rouler, d’autres qui ne savent pas comment faire. Alors, nous on est là », ajoute-t-elle, les mains toujours en mouvement. À quelques pas de là, chez Seynabou Diouf, l’ambiance est tout aussi animée. Des bassines remplies de céréales s’alignent à l’ombre de sa véranda.
La vendeuse en est à l’étape du moulage de la grande quantité de couscous qu’elle prépare pour ses clients. « Là, c’est 50 kilogrammes de mil que j’ai fait moudre », dit-elle en montrant, de ses doigts blanchis par la farine, les bassines pleines. D’un geste précis, elle ajoute un peu d’eau, fait tourner les grains, les fait glisser entre ses paumes. « Trop mouillé, ça colle. Pas assez, ça s’émiette », explique-t-elle, forte de ses 30 années dans le métier. Comme Rokhaya Cissé, Seynabou Diouf insiste : la cuisson doit prendre le temps qu’il faut si l’on veut un bon ceere. « Le temps normal de cuisson, c’est entre 10 et 15 minutes. Si le couscous est bien préparé, il peut se conserver 4 à 5 jours sans se gâter. Mais dans le cas contraire, il tourne très vite », assure-t-elle.
Cette dame sérère considère que les femmes doivent apprendre à préparer le couscous de mil, car selon elle, le ceere est bien plus qu’un simple plat : « il incarne notre tradition, en plus d’être un aliment sain », martèle Seynabou Diouf. Poursuivant son propos, elle critique les méthodes modernes de préparation du ceere, notamment en période de Tamxarite, marquée par la tendance du « couscous enrichi » (Bomb Ceere). « Quand on met du Laalo, ce n’est plus nécessaire d’ajouter du beurre, de l’huile ou tous ces autres ingrédients. Ça dénature le goût du ceere. Le vrai, le bon ceere, c’est le ceere simm », insiste-t-elle. À bon entendeur.
Reportage de Souleymane WANE