En cette période estivale, les plages deviennent des lieux incontournables de divertissement. Chaque week-end, les plages des quartiers Yoff, Ngor, Virage ou encore celle de Malibu accueillent des centaines de personnes. Cette situation oblige les maîtres-nageurs à être sur le qui-vive afin d’éviter les noyades, assez récurrentes à pareil moment de l’année. Cependant, la ruée vers les plages ne profite pas pour le moment aux vendeurs.
18 heures, plage du centre aéré de la Bceao. Le soleil, qui est sur le point de terminer sa course derrière la mer, darde ses derniers rayons qui perdent en force à la surface luisante de l’eau, offrant ainsi un joli spectacle aux visiteurs des lieux, bercés dans une atmosphère joyeuse rythmée par le clapotis des vagues. « C’est le lieu indiqué pour regarder le coucher du soleil. Je suis venu ici rien que pour cela », lâche Ibou en se tortillant la barbe. Sur cette plage de sable fin qui ne désemplit pas, malgré l’appel imminent du muezzin, la brise marine caresse la peau et l’odeur du sel marin titille les narines.
Des garçons bien bâtis déambulent torse nu et en short, exhibant leurs muscles saillants. Tandis que certaines filles, aux formes généreuses, ayant troqué leurs jeans ou jupes contre des bikinis, se jettent à l’eau sous le regard à la fois curieux et indiscret de spectateurs qui semblent se délecter de ce spectacle quelque peu érotique, digne d’un film brésilien. Cette scène ne déplaît pas à certains, loin s’en faut. S’amuser et se divertir, le leitmotiv Pieds ensevelis dans le sable, Pape Dieng, la mine sémillante, papote avec ses amis dans une ambiance bon enfant. Il est manifestement happé par ce « contagieux brin d’amusement » qui ne laisse personne indifférent sur cette plage bigarrée.
À l’en croire, il est venu à la plage pour se détendre et s’amuser avec ses amis après une semaine de travail bien chargée. « Je profite du week-end pour me détendre un tout petit peu. Je passe mes journées à trimer. Il y a beaucoup de personnes avec qui je peux m’amuser à longueur de journée. Et il y a également de jolies filles. Ici, on ne s’ennuie presque jamais parce que nous avons tout ce qu’il faut pour être heureux », explique le commerçant, qui préfère ne pas se baigner. Et cette attitude circonspecte, confie-t-il, se justifie à plus d’un titre : « Je ne sais pas nager, qui plus est, l’eau est froide. J’ai la thalassophobie », lâche-t-il laconiquement, le sourire aux lèvres. À quelques encablures du restaurant « Kadia C’bon », un couple, confortablement installé sous un parasol de plage, surveille étroitement ses deux enfants qui s’évertuent à construire un château de sable. « Mes enfants sont turbulents.
Comme vous le voyez, la marée est montée cet après-midi. Je ne veux pas qu’ils s’approchent trop près des vagues », explique la maman, dont la voix est aguichant Selon Gora, le père des enfants, ces derniers adorent venir jouer à la plage, surtout quand il y a une forte affluence. Le cadre convivial et plein de vie leur convient beaucoup. Un endroit pour se changer les idées « Nous avons passé de bons moments en famille. Et je pense que le fait de venir à la plage ensemble n’est pas du tout anodin ; ça permet de raffermir les liens familiaux. On a lézardé toute la journée dans une ambiance festive », explique Gora qui s’apprête à plier bagage, car, dit-il, « la prière du crépuscule ne va pas tarder ». Si pour certains la plage est le lieu idéal pour se divertir et passer de bons moments en famille ou entre amis, pour d’autres, elle peut également être un lieu de méditation et d’inspiration.
Accroupi sur un banc de sable surplombant la plage, le regard hagard fixé sur l’horizon infini de la mer, Aziz Diassé contemple, dans une indifférence totale malgré l’animation autour de lui, ce bleu profond qui apaise les esprits « perturbés ou agités ». « Je ne suis pas venu pour le fun et autres. Je suis là pour me changer les idées et me rafraîchir la mémoire. Je profite de ces instants pour m’évader et me libérer, entre autres, de mes soucis extrêmement pesants », confie Aziz Diassé, qui habite les Parcelles Assainies. Le comptable affirme qu’il vient assez souvent à la plage, car, dit-il, « cet endroit constitue un tremplin pour trouver la clé de voûte des énigmes qui m’entourent ». Éviter à tout prix les baïnes Nonobstant son joli paysage, son eau fraîche et son sable fin et glissant, la plage Bceao est truffée de dangers, à l’image de celle de Malibu qui enregistre beaucoup de cas de noyades, selon les dires du maître-nageur Abdou Khadre.
Bien assis sur une chaise, Abdou Khadre balaie sporadiquement, d’un regard lent, l’horizon de la plage. Sifflet pendillant au bout d’une ficelle nouée autour du cou, bouée posée sur les cuisses, il se dit prêt à intervenir à tout instant. « Je suis inlassablement sur le qui-vive à chaque fois que je monte la garde. Il y a des baïnes. Ce sont des trous d’eau qui se forment dans le sable de la côte avec l’action du courant côtier. Ce sont des pièges mortels pour les baigneurs », lâche-t-il sans daigner lever son regard sur la myriade d’enfants qui se baignent près de la plage.
À en croire le maître-nageur, il passe une journée plutôt calme comparée à la période des grandes vacances. « Je travaille sans problème majeur depuis ce matin. Il y a bien évidemment des récalcitrants qui, par vantardise, nagent dans les zones interdites. Je les rappelle aussitôt à l’ordre. Certains comprennent vite, mais d’autres sont d’une opiniâtreté extrême », explique Abdou Khadre qui affirme avoir un secret pour éviter les cas de noyade : « Je travaille ici depuis 2004, je maîtrise un petit peu la psychologie des gens qui viennent s’amuser à la plage. À chaque fois qu’il y a une forte affluence, j’organise des moments de sensibilisation pour leur montrer les zones à ne franchir sous aucun prétexte », déclare le maître-nageur qui dénonce toutefois le manque criant de matériel de sauvetage. « Si on me signale un cas de noyade à 100 mètres de ma position, j’aurais du mal à intervenir rapidement. Il me faut un quad pour le faire ou bien un jet-ski », renchérit le maître-nageur sur un ton serein.
L’activité commerciale au ralenti, malgré la forte affluence Avec sa démarche rapide, Aïssatou Diallo, une vendeuse de café, se faufile parmi les baigneurs et autres vendeurs. Elle tient deux thermos de café et affirme toutefois que la vente est au ralenti malgré l’affluence. « Il y a certes beaucoup de monde, mais les gens ne sont pas friands pour le moment à l’idée d’acheter du café », déclare Aïssatou qui continue d’arpenter la plage en slalomant entre les gens. Même son de cloche du côté des vendeurs de friperie, installés près de l’un des nombreux restaurants de la plage, jouxtant la mer qui continue de distiller une brise de plus en plus froide.
Cheikh Dionne, le visage las, est accoudé à sa table. Il guette l’arrivée de potentiels clients. « Je pensais pouvoir faire du profit en venant ici, mais je me suis très vite rendu à l’évidence : il n’y a presque pas de clients. Cette situation est peut-être due aux préparatifs de la fête de la Tabaski. Les gens ont d’autres préoccupations beaucoup plus pressantes », explique le vendeur qui précise tout de même qu’il est venu occasionnellement vendre de la friperie, car il a un autre métier. « Je suis apprenti carreleur, c’est la conjoncture qui m’oblige à être un slasheur », confie Cheikh Dionne sur un air pensif.
Pathé NIANG