La capitale sénégalaise s’éveille dans une atmosphère de sérénité. L’air est doux, lavé par la pluie fraîche tombée à l’aube. Le silence est une bulle rare, tissée par le grand exode des fidèles vers Touba. Dakar respire, du moins en attendant le retour effectif des populations. Et dans ce répit singulier, une réalité s’impose : le petit-déjeuner de la grande majorité de la population est devenu un rituel de pain et de café.
Ce duo, pain et café, est désormais le nouveau rituel du matin. Un tandem inséparable qui a conquis les rues et les foyers, marquant un tournant dans les habitudes d’une nation entière. En cette matinée du 14 août, le soleil humide fait scintiller les façades encore mouillées. Au coin des rues, les boulangeries sont les premières à donner le ton. De leurs entrailles s’échappe un parfum enivrant de pain chaud qui envahit les narines et promet un début de journée agréable. Dans les petites gargotes improvisées, le son des cuillères qui s’agitent dans les bols de sauce et le cliquetis des verres se mêlent aux conversations matinales. La scène est omniprésente et témoigne de la domination de ce rituel du petit-déjeuner. Pour beaucoup, ce choix n’est pas qu’une simple préférence : c’est une nécessité.
Sur la rue 7 de la Médina, Pape, 28 ans, conducteur de mototaxi Jakarta, se prépare pour sa première course de la journée. Baskets bien lacées et lunettes noires sur le nez, il s’appuie sur le pain et le café pour tenir une bonne partie de la journée. « Le matin, c’est la course. Je me lève tôt, je prends un café très fort avec du pain, accompagné de mayonnaise et de petits pois, et c’est parti. C’est rapide et ça tient au corps. On ne peut pas se permettre de perdre du temps », explique-t-il, une baguette à la main.
Sur une table bien rangée, où sont superposés deux grands bols, des tasses, un bocal de mayonnaise et un sac rempli de baguettes, Awa, une mère de famille, s’active à la vente de petit-déjeuner depuis quelques années. L’effluve du café chaud chatouille les narines de loin. « C’est grâce à cette activité que je nourris mes enfants et que je réponds à mes besoins. Honnêtement, pour moi, ça marche. Le petit-déjeuner est très important pour la suite de la journée, alors les gens viennent acheter », déclare-t-elle en essuyant le bord de son bol avec une serviette.
Le roi incontesté du petit matin
Un peu plus loin, Fatou, une étudiante de 22 ans, sort de la boutique, trois miches de pain dans les mains. Pour elle, le pain n’est pas seulement pratique, il est aussi un symbole du quotidien. « C’est l’habitude, c’est ce que j’ai toujours connu. On peut le manger de tellement de façons différentes : avec du fromage, du chocolat, des omelettes, ou même du haricot… C’est simple et ça correspond à notre mode de vie », affirme-t-elle avec un grand sourire.
De l’autre côté de la ruelle, Alpha Diallo, la quarantaine, s’affaire à l’intérieur de sa boutique. Il observe cette tendance depuis des années. « Avant, le pain ne se vendait pas autant. Mais maintenant, dès l’aube, c’est la première chose que les gens viennent chercher. Il y a ceux qui vont dans les petites gargotes, et ceux qui viennent dans les boutiques pour s’en procurer. C’est le premier repas de la journée pour la majorité des foyers, et on le trouve partout », fait savoir Alpha, chapelet autour du cou.
Pourtant, loin de cette effervescence, une autre réalité plus discrète persiste. Dans l’intimité de quelques rares foyers, souvent dans le « Sénégal profond », des familles maintiennent vivantes les traditions. Autour d’un bol de bouillie, de fouty (riz au bissap), ou de sombi, la chaleur de la communauté l’emporte sur l’efficacité. Ces rituels ancestraux, autrefois le cœur du petit-déjeuner sénégalais, résistent encore, bien que leur place soit de plus en plus marginale. Leur avenir est incertain, mais leur souvenir demeure, tel un lien fragile et précieux avec l’époque où le rassemblement autour du bol et le partage étaient les saveurs principales du matin.
Djibril Diao