Elles sont liées à la mort, la côtoient presque au quotidien. Ce sont des femmes qui ont choisi le lavage mortuaire comme sacerdoce.
Dans cet acte de purification chargé de valeurs spirituelles précédant l’enterrement, elles jouent un rôle central. Comme les hommes, elles s’impliquent, elles aussi, dans la préparation du corps des défuntes avant leur voyage éternel. Une expérience à la fois émouvante et apaisante pour ces laveuses de morts qui travaillent bénévolement dans le seul but d’obtenir exclusivement l’agrément d’Allah, Sa récompense dans l’au-delà.
Après la vie, il y a la mort. C’est un cycle, avec des évènements qui, telles des saisons, se succèdent. On naît, grandit, vieillit, puis la mort vient parachever notre séjour sur terre. Sa certitude fascine, mais son destin post-mortem reste cependant l’éternelle équation qui taraude les esprits et qui ne trouve pas de véritables réponses. Elle est inéluctable, la mort et dans toutes les sociétés, elle est accompagnée de rites. Aussi belle ou difficile que soit la vie, elle comporte une fin, et lorsqu’une personne décède dans la communauté musulmane, la religion lui confère des droits dont elle doit obligatoirement jouir. La toilette mortuaire en est le premier. C’est un devoir qui incombe envers le défunt. Une grande responsabilité. Elle prépare son âme pour son voyage vers l’au-delà. Ce rituel sacré peut être effectué au domicile du défunt, à l’hôpital ou à la morgue de la mosquée. Il est exécuté par des personnes dignes de confiance, suivant la règle de la non-mixité. En effet, ce sont les hommes qui effectuent le lavage pour les hommes décédés, et les femmes s’occupent de celui des femmes. Cependant, une femme peut assurer la toilette mortuaire de son mari et vice versa et les parents, une mère ou un père peut toiletter son enfant de sexe opposé jusqu’à l’âge de sept ans. Dans ce métier qui ne manque pas de préjugés, les femmes, actives aux deux extrémités de la vie, naissance et mort, perpétuent le culte. Elles s’occupent des corps des défunts pour les purifier et les honorer avant leur retour vers leur Créateur.
Pour nombre d’entre elles, cette expérience marque, donne envie de vivre autrement. En pratiquant le lavage mortuaire, elles contribuent, elles aussi, à préserver une tradition religieuse millénaire pour la transmettre aux générations futures. Un métier et ses préjugés La cinquantaine, Fouleymata Cissé, plus connue sous le nom de Diarra Cissé, ne se rappelle plus de l’année où elle a démarré la pratique du lavage mortuaire. Ce dont elle est sûre c’est qu’elle est loin d’être novice dans ce cercle. Dans sa localité, à Waoundé, dans le département de Kanel, son nom est associé au toilettage des défuntes. « À l’école coranique, le maître nous expliquait l’importance des bains rituels, de la toilette mortuaire surtout. J’étais très intéressée et je me suis engagée sur cette voie pour me rendre utile envers ma communauté », renseigne-t-elle. Ce travail, indique-t-elle, exige du courage, du sérieux, mais aussi de la discrétion.
Une de ses grand-mères était laveuse de mort, mais le déclic s’est produit avec le décès d’une de ses sœurs, explique-t-elle. « J’ai proposé mes services à ma grand-mère, qui a accepté. Je lui ai alors prêté main forte en dénattant les tresses de la défunte et en effectuant certaines tâches. C’est ainsi que je me suis intéressée, je ne sais, par quelle magie, à la toilette mortuaire », confesse-t-elle. Depuis, il y a pris goût et est sollicitée toutes les fois qu’il y a décès dans sa ville. Originaire de Sagné-Lobali, en Mauritanie, Salimata Djiré, qui vit à Waoundé depuis quelques années, est entrée dans le métier par effraction. « Il n’y avait plus de laveuses dans le quartier. J’accompagnais souvent ma mère qui me donnait des notions en matière de toilette mortuaire. C’est de cette manière que j’appris et maîtrisé le métier. Après son décès, j’ai pris la relève et perpétué cette tradition, aidée par ma fille », confesse-t-elle. Des laveuses très sollicitées La septuagénaire ne regrette pas d’avoir emprunté cette voie. « Je me sens bien dans ce travail et tant que je serai en vie, je continuerai à me rendre utile », fait-elle savoir. À Bokiladji, toujours dans le département de Kanel, Awa Konaté est également bien connue dans le milieu. Elle a été influencée par sa mère qui, elle aussi, s’activait dans le lavage mortuaire.
« Il y a des années, je fréquentais la Medersa de notre ville. Notre maîtresse, qui nous a initiée à la langue arabe et à la mémorisation du coran, m’a poussé à m’intéresser aux bains rituels. Elle m’a enseigné les arcanes. Quand ma mère est tombée malade, j’ai dû abandonner les études pour m’occuper d’elle. Elle a finalement rendu l’âme et puisqu’elle était très impliquée dans le lavage mortuaire, je l’ai remplacée, assistée par mes sœurs », renseigne Awa Konaté. Depuis, on fait appel à elle quand une femme décède dans la localité. Awa n’exerce pas seulement à Bokiladji, elle est aussi sollicitée dans les villages environnants. « Parfois, on me réveille tard dans la nuit pour m’informer d’un décès. Je n’ai d’autre choix que d’y aller. Même si je suis malade ou seule, je fais tout pour honorer mes engagements », assure-t-elle. Lors de son baptême du feu, il y avait eu deux décès dans leur quartier. Khadija Fofana a proposé ses services à sa mère Awa Konaté. Depuis, elle n’a plus arrêté. « Chaque fois qu’il y a un décès, j’accompagne ma mère. Pour moi c’est un acte très noble et c’est comme une obligation. Tant que je serai saine et bien portante, je continuerai sur cette voie », promet-elle.
Par Samba Oumar FALL, Souleymane Diam SY (textes) et Mbacké BA (photos)