Au cœur du département d’Oussouye, entre les rives calmes d’un bras de mer et la frontière invisible avec la Guinée-Bissau, le royaume d’Assaout ou Essaout préserve un pan rare de la tradition casamançaise. Sous le règne de Sa Majesté « Maan » Silondébile Sambou, deux femmes règnent à ses côtés : Madiobi Diatta et Assénolouyane Diédhiou. Différentes par leurs parcours et leur âge, mais unies par une même mission, elles incarnent l’élégance, la dignité et la force des reines du « Kassa ».
Royaume aux racines profondes, Essaout, situé à 10 kilomètres de la station balnéaire du Cap Skirring, ne se raconte pas en quelques phrases. Ce village ancestral, l’un des foyers royaux les plus anciens de Casamance, se niche dans un écrin de verdure où palmiers, rizières, anacardiers, manguiers et mangroves se partagent l’horizon. L’air y porte le parfum salin venu des eaux proches. Les pas des habitants foulent encore les sentiers qui mènent à la place publique, théâtre des grandes cérémonies et des luttes traditionnelles pendant l’hivernage.
Ici, la royauté ne se limite pas à un titre. Elle peut être considérée comme une institution qui rythme la vie collective. Le palais royal, sobre, mais imposant, se dresse à quelques mètres de cette place centrale. C’est là que le roi Silondébile Sambou, désigné par les esprits et confirmé par le Collège des Sages, veille sur son peuple depuis le 4 avril 2014. À ses côtés, deux reines partagent le poids et la grandeur du trône, chacune portant en elle une histoire singulière.
Madiobi Diatta, la première épouse devenue reine
Née en 1976, à Essaout, Madiobi Diatta est la première femme à partager la vie de Silondébile Sambou, bien avant qu’il ne devienne roi. Quand ils se sont mariés, il n’était encore que « Justin Sambou », un homme du village, sans couronne, mais déjà respecté. Quinze années de vie commune s’écoulent avant que, le 4 avril 2014, son mari ne soit porté sur le trône d’Essaout. Ce jour-là, Madiobi ressent une étrange lourdeur physique, comme un signe prémonitoire.
« Ce n’était pas facile, au début, de voir son homme s’éloigner du foyer familial et des enfants. Mais, on finit par s’habituer », confie-t-elle avec un sourire doux. Pour pénétrer dans le cercle restreint des reines du « Kassa », elle doit passer par un rituel initiatique organisé le 12 juin 2014. Ce passage lui ouvre les portes du palais royal et l’inscrit définitivement dans la lignée prestigieuse des reines d’Essaout.
Femme de terrain, Madiobi n’a jamais renoncé à ses activités : maraîchage, transformation de fruits et légumes, accueil des visiteurs étrangers. La charge lui impose une disponibilité immédiate. « Être reine, c’est aussi soutenir le roi. Ici, on reçoit beaucoup de monde et je dois contribuer à cette hospitalité », explique-t-elle. Sa liberté de voyager, rare dans certaines traditions, lui permet de se rendre à Dakar ou à l’étranger, toujours avec l’aval du roi.
Assénolouyane Diédhiou, la reine cadette aux rêves interrompus
Si Madiobi a connu la royauté après un long mariage, Assénolouyane, elle, y a été projetée brusquement, presque par surprise. Née le 12 avril 2000, à Essaout, cette fille de Joachim Diédhiou et d’Euphraise Diatta poursuit paisiblement sa scolarité au Collège d’enseignement moyen (Cem) de Boukitingho lorsqu’en février 2016, à 16 ans, on vient la chercher à l’école.
Ce jour-là, elle apprend qu’elle devient la deuxième reine d’Essaout. Issue de la concession Batéfousse, l’une de celles où l’on choisit les reines, elle ne s’était jamais imaginé un tel destin. Les premiers temps sont difficiles, mais la jeune demoiselle s’adapte.
« Il faut prendre avec philosophie tout ce que le destin nous offre », dit-elle, aujourd’hui, avec maturité. Assénolouyane voit son rôle comme celui d’une régulatrice sociale, une médiatrice entre le roi et la population. Elle travaille main dans la main avec les femmes du royaume, même si certaines traditions limitent son accès à certains cultes. Elle contribue aussi aux dépenses royales et, malgré sa jeunesse, se dit comblée.
« C’est vrai que je n’ai pas vécu pleinement ma jeunesse, mais je ne suis pas nostalgique. Mon mari est quelqu’un de très attentif et nous avons une petite fille », souligne la reine-cadette d’Essaout. Sa fonction ne l’empêche pas de voyager. Elle est même récemment partie en Afrique du Sud, preuve que la royauté d’Essaout s’adapte à la modernité sans renier ses fondements.
Dans leurs parures traditionnelles, coiffées de leurs couronnes et tenant la queue de cheval, symbole de pouvoir royal, Madiobi et Assénolouyane sont adulées bien au-delà d’Essaout.
Deux visages, une même mission
Leur énergie, leur sens du devoir et leur humilité inspirent le respect. Pour Clarisse Diédhiou, secrétaire générale du Groupement d’Intérêt économique (Gie) des femmes d’Essaout, elles sont indispensables dans la société joola.« Ce sont nos reines, les grandes dames de ce royaume. Elles jouent un rôle essentiel dans la bonne marche du village et ses environs », informe la jeune dame trouvée dans leur unité de transformation de fruits.
Au-delà des cérémonies, elles représentent une mémoire vivante et un lien concret entre le peuple et son roi. Ensemble, elles font d’Essaout non seulement un bastion de la tradition, mais aussi un royaume où les femmes tiennent une place centrale dans la gouvernance et le rayonnement culturel.
Par Gaustin DIATTA, Seydou KA (textes) et Ndèye Seyni SAMB (photos)