Des hommes se sont illustrés à jamais dans le royaume du Sine. Parmi eux, Sann Moon Faye ou Salmone, selon l’appellation commune, ou encore Biram Codou Faye, son nom de naissance. Ce souverain emblématique, réputé pour sa bravoure, a marqué l’histoire du royaume sérère. Alors que beaucoup de théories font de lui un roi cruel et sanguinaire, on explique que le natif du village de Ndiongolor (Fatick) était un homme pétri d’humanisme et de valeurs. Il était un roi incompris, mais au courage légendaire. Protecteur infatigable du Sine, il est tombé sur le champ de bataille, à Xodjil (lire Hodjil), dans la commune de Diaoulé, laissant derrière lui une histoire controversée mais alléchante.
Fatick – Il n’aura passé que sept années sur le trône du Sine (1870-1877). Mais, bien que la durée de son règne soit relativement courte, Salmone Faye a laissé dans le royaume sérère une histoire encore vivante. À l’instar des grands guerriers, le natif de Ndiongolor, dans la commune de Diouroup (Fatick) est tombé sur le champ de bataille. À Xodjil (lire Hodjil), dans la commune de Diaoulé, où Biram Codou Faye (nom de naissance de Salmone) a rendu l’âme sous les balles de son neveu Sémou Maak Diouf. Les récits de ce passé trouble continuent de parler aux nouvelles générations. Ainsi, le roi intrépide mourut loin de sa terre natale, à des dizaines de kilomètres. Aujourd’hui, Birame Codou dort du sommeil des justes sous la terre de Xodjil. Son long sommeil qui a commencé en 1877 fait de ce village un lieu d’histoire et de mystères.
À deux kilomètres de la commune de Diaoulé (Fatick), se trouve le petit village de Xodjil. L’accès n’y est pas facile. La route sablonneuse est peu propice au voyage. Il faut beaucoup de courage en voiture ou en moto. Le conducteur est obligé de rouler à vive allure pour ne pas s’enliser. Ce qui n’est pas sans conséquence. La vitesse du véhicule soulève la poussière et limite la vision. Mais le chauffeur doit poser le pied sur l’accélérateur pour arriver à temps. Un voyage harassant. Le jeu en vaut la chandelle car le village à découvrir cache une histoire riche empreinte d’émotion, de marques de courage et de bravoure.
A Xodjil repose le roi
Quelques minutes ont suffi pour apercevoir Xodjil dont les maisons s’épanouissent sous l’ombre des arbres. Un village charmant par sa tranquillité à nul autre pareil. À l’entrée, des hommes se rafraîchissent au pied d’une palissade surplombée par deux jeunes arbres. En cette période de l’année où la saison pluvieuse s’approche à grands pas, le soleil darde ses rayons et enveloppe d’une chaleur d’étuve. Beaucoup d’habitants de Xodjil s’abritent contre les rayons brûlants du soleil. “La maison du chef du village se trouve là-bas. C’est l’homme assis sur la chaise’’, indique un jeune homme. Comme la plupart des villages reculés de la zone, Xodjil est constitué de maisons en case et clôturées par de jolies palissades. Au-delà du bonheur qu’elle procure, la grande quiétude du village de Xodjil constitue aussi une source d’inspiration. Ici, la nature, dans sa globalité, retrace les récits d’un passé douloureux. Le récit du chef du village suscite une vive émotion. Devant sa modeste maison, Mouhamadou Abdoulaye Bâ s’assoit confortablement sur une chaise, à l’abri d’un soleil loin d’être clément. Le temps de prendre de l’air.
À l’instar de ses ancêtres qui ont vécu à Xodjil, M. Bâ est dépositaire de l’histoire de ce village qui reçoit de nombreux visiteurs. Dans ce village, une bataille avait opposé le roi Salmone et son neveu Sémou Maak Diouf. Le récit de cette lutte y est encore vivace. Un récit glaçant. Presque inimaginable ! Déjà, entre le champ de bataille, à Xodjil et Ndiongolor, le village natal de Salmone, il y a une dizaine de kilomètres. La question qui vient à l’esprit est pourquoi les protagonistes ont choisi ce lieu pour livrer bataille ? C’était un choix bien réfléchi répond le chef de village. Une stratégie pour épargner la population des dégâts collatéraux et éviter un éventuel carnage qui pourrait emporter son village selon Mouhamadou Abdoulaye Bâ.
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“Il a choisi de mener la bataille loin de sa terre natale pour protéger sa population’’, insiste-t-il. Sûrement, il savait qu’il allait tomber sur le champ de bataille car, dit-on, que les rois d’alors étaient dotés de connaissances mystiques. Aujourd’hui, Biram Codou Faye est enterré dans un endroit de la brousse de Xodjil, à un kilomètre des maisons. Un site presque mélancolique ; un vaste espace bordé de part et d’autre par des arbres et des arbustes. Le lieu de la bataille est aujourd’hui transformé en champ de mil. M. Bâ indique que son grand-père qui cultive ce champ avait ramassé des balles tirées lors de cette bataille.
“La femme de mon grand-père en question garde toujours ces balles chez elle. Je les ai vues moi-même’’, confie-t-il, affirmant que ces objets témoignent de l’âpreté de la bataille. Les images et les objets illustrant l’atrocité de la guerre ont été aussi racontés au chef du village de Xodjil. D’après lui, l’une de ses arrières grands-mères a vu des vautours dévorer des cadavres humains alors qu’elle traversait le site des combats au lendemain de la bataille.

Un roi incompris
Mieux, Mouhamadou Abdoulaye Bâ fait part de signes dont lui-même est témoin oculaire. “J’ai vu de mes propres yeux le baobab troué par des balles et qui servait de protection au roi. L’arbre est tombé il n’y a pas longtemps’’, raconte-t-il, ajoutant que des puits étaient creusés par chaque camp. Après avoir combattu, les combattants allaient s’y désaltérer. Selon toujours ses explications, les troupes de Salmone avaient trouvé sur place son ancêtre du nom de Ngossor Débo alors qu’ils venaient pour préparer le terrain. C’est ainsi qu’ils l’envoyèrent auprès de la population pour l’informer de l’interdiction d’accès au terrain car la guerre était imminente. Beaucoup de mystères tournent autour de la vie de Salmone.
Aujourd’hui, le récit différent sur le roi guerrier. Si certains disent que ce dernier dirigeait le royaume d’une main de fer, d’autres, battent en brèche cette thèse, estiment qu’il était monarque juste et rigoureux. Mamadou Faye, historien le définit comme “un grand patriote engagé pour son territoire’’. Selon les témoignages de M. Faye, le roi aurait mené des batailles contre le blanc à Djilass, Logandéme… Des combats où le roi Salmone s’est illustré avec des victoires. Selon l’historien, Salmone a combattu durant les sept années de son règne. Et cela fait souvent qu’il est considéré comme un monarque belliqueux. Il assure que les récits qui décrivent le roi comme un chef impitoyable, cruel relèvent du fantasme. Au contraire, il était un souverain rigoureux, pétri de qualités humaines.
Toutefois, il détestait la paresse, la tricherie, l’hypocrisie. C’est pour cette raison qu’il ne pouvait pas cohabiter avec des feignants. Et comme il faisait toujours montre d’inflexibilité, on l’accuse à tort d’être un roi sanguinaire. Pour Mamadou Faye, le roi n’était pas jamais à l’origine des conflits et s’était assigné comme devise de diriger son peuple avec respect et loyauté. Par manque de discernement, certains l’ont taxé par exagération, de sorcellerie, voire de vampirisme. « C’était juste un guide, certes au tempérament très chaud, mais qui avait un amour profond pour son terroir », insiste l’historien. Aujourd’hui, de telles qualités ont fait qu’il reste l’un des plus illustres souverains du royaume sérère. Dans son Ndiongolor natal et dans le Sine, son nom et son histoire inspirent hardiesse et héroïsme.
Un homme d’État respectueux des lois
Figure complexe, connu pour son courage, le règne de Salmone a été marqué par des conflits internes et des tensions avec le colon, alimentant les légendes diverses sur lui. Mamadou Faye affirme que le souverain n’attaquait personne, mais il se défendait. “C’était un homme très respectueux qui a accepté le règne de ses frères. Il n’était pas jaloux. Mais il ne se laissait jamais faire. Mieux, il obéissait toujours aux lois qu’il a trouvées sur place. C’était un chef guerrier qui avait la confiance de son peuple’’, déclare M. Faye, insistant sur le fait que le roi Salmone était un homme d’État qui respectait le principe de la continuité. “ Non seulement il a suivi les lois trouvées sur place, mais il les a surtout renforcées. Par exemple, le roi Ama Diouf Gnilane avait signé un accord avec les blancs en 1835 pour introduire dans le Sine, la religion catholique. Salmone a consolidé ces textes et les a même renouvelés’’, rappelle Mamadou Faye.
Toutefois, en homme d’État, il verra amèrement sa dignité et son amour-propre touchés quand une mission arrivera du royaume voisin du Saloum sans qu’il soit informé. Cela était impensable et considéré comme une faute administrative lourde. Mais c’était un piège pour atteindre l’orgueil du roi Salmone ; une sorte de complot monté par son neveu Sémou Maak pour le pousser à la révolte et à la guerre. “Pour pousser Salmone à la bataille, on a envoyé chez lui cette délégation, sans prévenir le roi. Pire, au lieu d’aller trouver ce dernier dans sa capitale, comme cela se faisait entre les deux royaumes, la délégation a fait exprès d’aller directement à la résidence de Salmone à Ndiongolor. Ce qui est impardonnable aux yeux des rois.
Cependant, connaissant son homologue du Saloum, Salmone était convaincu que ce dernier n’était pas derrière une telle provocation’’, indique Mamadou Faye. Toutefois, il précise que pour marquer les esprits et attirer l’attention sur ce fait inédit, le souverain du Sine avait coupé les oreilles des messagers de son homologue. Et par naïveté, le roi du Saloum s’était senti humilié et décida de livrer bataille contre son ami et frère. Il s’était coalisé avec Semou Maack qui voulait coûte que coûte éliminer son oncle et reprendre la chaise royale. Avec ce subterfuge, il venait de réussir son complot qui serait fatal au roi Salmone. Trahi par son chef d’état-major qui s’était rangé du côté de Sémou, Salmone voit son armée s’affaiblir. Il est tué à Xodjil sur son cheval. Salmone mourut ainsi en héros et laissa à la postérité les qualités d’un « vrai patriote » qui protégeait ses administrés jusqu’à son dernier souffle, d’après Mamadou Faye.
Par El hadji Fodé SARR (Correspondant)