L’actuelle région de Sédhiou a joué un rôle essentiel dans la pénétration française en Casamance. Autrefois terre des Baïnounks (ou Alounaye), pour des causes politiques, économiques et religieuses, ces autochtones ont été dépossédés de leur espace au détriment d’autres peuples qui, avec l’appui du colonisateur, se sont massivement installés dans cette partie du pays.
Pour des raisons d’ordre naturel (climat trop humide, sols marécageux, maladies, etc) et stratégique (rivalité avec les anglais et les portugais, positionnement à l’embouchure du fleuve), les Français remontèrent le fleuve et atteignirent la moyenne Casamance (actuelle région de Sédhiou). Ils ont trouvé sur place, les Baïnounks, peuple autochtone appelé aussi « Alounaye ». Originaires de l’Est de Tombouctou (Mali) d’après certains, les Baïnounk ont ensuite émigré vers l’ouest, à cause des conditions de vie difficiles. « Ils arrivèrent en Gambie, puis en Casamance dans le Balantacounda actuel et enfin en Guinée-Bissau. D’ailleurs, ils ont laissé leurs empreintes partout où ils sont passés dont plusieurs villages avec des noms se terminant par « or » pour la plupart (Djibélor, Pacoboor, Djifanghoor, Toboor, etc). Le nom de leur capitale, Birkama, en Casamance se retrouve aussi en Gambie », explique Aminata Rose Diallo, une historienne qui a fait des recherches sur le fort de Sédhiou, dans le Boudié. Les Baïnounks sont la première souche de la population de la Casamance en général et du Boudié en particulier. Ils s’étaient installés à Bintang-bolong, en Gambie ,jusqu’au Rio Cacheu, en Guinée-Bissau. « Pacifiques, les Baïnounk avaient cette prédilection d’habiter les zones de culture pour se lancer dans des activités agricoles (surtout la riziculture), de foresterie pour l’exploitation du palmier (fruits, vin eu égard à leur religion païenne, feuilles, troncs…) », relate l’historienne. Ces populations animistes avaient reposé leur foi sur un dieu tout puissant matérialisé par le « Koumpo » (masque fait de feuilles de rônier).
Le peuple Baïnounks vivait sous l’influence d’un roi dont le dernier Ngana Sira Banna Biaye avait installé sa capitale à Birkama (aujourd’hui dans le département de Goudomp). Son royaume était divisé en cantons : Yassin ou Jasin, Sonkodou, Brasu, Suna-balmadu, Dara et Mandwar, Boudié… D’après des sources, Ngana Sira Banna Biaye exerçait son autorité de manière impitoyable. Au cours de son règne, il aurait sacrifié vifs des jeunes gens dans une case fermée pour maintenir et consolider son trône, à la suite des conseils de devins. Outrée et indignée, la communauté Baïnounk, fomenta un complot contre lui. Les sages invitèrent alors Ngana Sira Banna à la place publique sur une natte étalée sur une fosse. C’était un guet-apens. A peine prit-il place qu’il se retrouva au fond du gouffre. Aussitôt, il fut lapidé avec un flot de cailloux et de sable, indique Aminata Rose Diallo. Mais avant d’être enterré vif, il avait demandé une dernière faveur à son peuple : l’autorisation de lui parler une dernière fois pour une ultime bénédiction. Mais en lieu et place, il le maudit par des vœux d’extinction de l’ethnie, de recul social. En somme, il lui souhaita des malheurs de toutes natures.
Ngana Sira Banna Biaye, le souverain déchu
Après la disparition de Ngana Sira Banna Biaye, son successeur Bunkily Danfa, transféra la capitale du royaume à Bakoum, à deux kilomètres de Sédhiou. Il fonda le village de Ngoré en Guinée-Bissau. Quelques années après, le fils de Bunkily Danfa, Simbi Djimbi est intronisé puis remplacé par Bodian Danfa.
Arrivés dans la zone, les Français demandèrent aux autochtones Baïnounks un espace pour s’y installer. A l’issue des pourparlers, un accord fut trouvé pour une étendue de terrain équivalant à la « peau d’une vache ».
Le 24 mars 1837, Bodian Danfa signe le premier traité de Bakoum avec Dagorne, commandant particulier de Gorée. « En cadeau, les Français avaient offert trois caisses de savon, trois caisses de bleu pour le linge, trois caisses de vin de palme et de l’argent en métal blanc d’une valeur de 1.000 F », indique Aminata Rose Diallo. Transformée en fines lanières par les Français, ladite « peau de vache » devait servir à délimiter les dimensions de l’espace choisi pour leur projet futur. Restés longtemps sans nouvelles des étrangers, les Baïnounk décidèrent de leur rendre visite et se rendirent à l’évidence que l’espace occupé dépasse largement celle d’une superficie égale à la peau d’une vache. Ils voulaient renvoyer les Français, mais se ravisèrent vite en raison du « respect de la parole donnée ». Ils les rappelèrent pour les laisser continuer leurs travaux. Le nouvel espace acquis (250 m sur 100) marqua le point de départ de l’implantation des Français en moyenne Casamance dans le but de se faire une nouvelle place dans cette partie du pays afin d’y exploiter les ressources locales. Cette installation rencontra, cependant, beaucoup d’obstacles : intempéries, maladies, hostilités des voisins du Suna Karantaba et du Jasin sous l’influence des Mandingues, pillages des marchandises des Français, interdiction de couper du bois pour la construction et le chauffage, etc. Entre Français et Baïnounks, il y eut la bataille de Pacoboor et ses conséquences. A la mort de Bodian Danfa, son fils Mani Danfa, fondateur du village de Pacaboor, prend les rênes du pouvoir. Ce fut la période des querelles intestines : Pacoboor se heurta d’abord aux Mandingues musulmans (fin 1839 début 1840) avec la victoire de ces derniers, les Baïnounks païens, deviennent de plus en plus minoritaires et pas craints chez eux.
La chute de Pacaboor
Puis ce fut contre les Français pour les raisons suivantes : voulant imposer la culture de l’arachide, les colons s’appuyèrent sur les étrangers, les Sarakolés à qui, ils offraient une protection contre l’hostilité des Baïnounks mais aussi leurs terres. Ensuite, un soldat du fort fut arrêté par des gens de Pacoboor pour des raisons indéterminées. Ce fut le prétexte déclencheur pour des affrontements armés. Les Baïnounks sont soutenus par les gens des villages de Badiary, Buno et Bakoum et les Français par les Mandingues (hostiles déjà vainqueurs des autochtones) en plus d’un renfort envoyé par Gorée au commandant Pelletier en poste à Sédhiou. Face à une telle force, ce fut une nouvelle défaite des Baïnounks de Pacoboor. A la suite de ces deux affrontements soldés par des défaites, ce fut la chute du village de Pacaboor. Mani Danfa et sa communauté quittèrent la zone pour s’installer dans le Fogny sur les conseils probables d’autres Mandingues. Le marabout mandingue, Doura Kamara, profita de la situation et fit connaître ses ambitions en s’accaparant des terres vacantes et en s’érigeant en médiateur entre les populations locales et les commerçants. Par la même occasion, il se fait nommer par les Français, « chef du Boudié » par le traité du 23 mai 1849 qui semblait rencontrer « l’accord » des autres chefs du Boudié. Il reçut aussi des cadeaux, se soumit au gouvernorat français au détriment des païens. « Ce fut le début de l’intégration des chefs locaux dans l’administration coloniale », souligne Aminata Rose Diallo. L’effondrement de la communauté des Baïnounk est provoqué par le manque d’organisation politique solide et le faible nombre de leur population. Les Baïnounks de Pacoboor partis, ils furent remplacés par les envahisseurs qui s’installèrent sur les terres laissées vacantes. Pourtant, les Mandingues, musulmans étaient reçus par les Baïnounks à leur arrivée en terre du Boudié. « Fanatiques et guerriers, ces Mandingues qui venaient de l’Est s’étaient organisés autour de leur chef Doura Kamara « l’alkali », chef de guerre, chef civil et chef religieux.
Julescounda-Dagorne
Il aurait émigré en Casamance avec sa communauté depuis plusieurs années. Fort de tout cela, Doura vendit des terres aux traitants et autres négociants pour éviter que de nouvelles compagnies commerciales viennent s’établir à Sédhiou et créer la concurrence. Le Fort considérant cette gestion foncière de Doura comme illégale, comme une usurpation, borna toutes les terres vacantes. Ils rappelèrent les païens déplacés afin de relancer le commerce et la culture de l’arachide pour faire de Pacoboor une zone de peuplement par des populations étrangères qui seraient régies par des lois françaises, en faisant d’elles des auxiliaires surtout en cas de conflits quand ils deviendraient plus tard les maîtres de la Casamance.
Doura demanda l’autorisation d’obtenir des concessions mais il rencontra le refus des Français qui virent de nouvelles menaces des Mandingues qui chercheraient à les submerger. Ainsi, Le Fort créa en face de son édifice militaire le quartier Dagorne ou Mansacounda en1849 avec une population hétérogène libre.
Doura s’allia alors à la Maison Grifon représentée par un mulâtre, Jules Rapet qui donna son nom au deuxième quartier de Sédhiou : Julescounda ou Sounoucounda pour les Mandingues, habité par les Sarakolé, de bons agriculteurs excédés par les lourds impôts de Doura, haïs par les Mandingues réfractaires et aimés par les colons pour le travail et le commerce.
Avec le bornage des terres conquises et acquises, Le Fort étendit ses possessions, réalisa des réfections et constructions belles et solides, renforça la sécurité générale. Avec le Commandant Meskel, Sédhiou devint le seul et grand centre commercial autorisé, réglementé et contrôlé dans le Boudié sous peine de sanctions. « Doura Kamara mourut en 1864 », relate Aminata Rose Diallo. Sa disparition a fragilisé les relations entre les Mandingues et les Français dans le Boudié. Son fils Sounkari Yiri Kamara qui a pris le pouvoir n’a pas su établir une relation pacifique avec les colons. Son refus de s’acquitter de l’impôt et son opposition à l’autorité coloniale vont provoquer la guerre de Sédhiou. Les Français choqués par l’attitude de Sounkari Yiri Kamara s’attaquent à son Tata dans le Moricounda, aujourd’hui situé à la sortie de Sédhiou sur la route de Marsassoum. Ce conflit va occasionner le bombardement de plusieurs villages du Boudié.
Par Jonas Souloubany BASSENE (correspondant)