Militante des droits de l’Homme et sociologue, Selly Ba souligne, dans cette interview, la nécessité d’engager des concertations avec tous les segments de la société pour une modification du code de la famille.
Entretien
La révision du code de la famille, proposée par des mouvements féminins, suscite souvent des hostilités dans notre pays. Qu’est ce qui l’explique à votre avis ?
Je dois préciser que ce n’est pas uniquement le code de la famille qui doit subir un toilettage. Tous les codes posent problème au Sénégal. Je pense qu’au-delà des ratifications des lois et des conventions internationales, il y a lieu de faire un travail d’harmonisation. Il faut que les codes soient en adéquation avec les lois et les chartes qui sont signés. Qu’il s’agisse du code de l’environnement, du code pénal, du code du travail, tous doivent être révisés sur la base des principes d’égalité. Le code de la famille renferme plus d’enjeux dans la mesure où il légifère sur la famille, qui représente la société en miniature. Notre avenir est tributaire de l’état de cette famille. C’est ce qui justifie la complexité du dossier.
On parle d’un combat de longue haleine porté depuis des années par une Task force Qu’est-ce qu’il y a lieu de retenir ?
L’Association des juristes sénégalaises (Ajs), qui existe depuis 1974, a toujours été le fer de lance de ce combat pour la modification du code de la famille. Elle est le bras technique des organisations de femmes. Elles ont joué un rôle extraordinaire dans le cadre de la révision du code de la famille qui contient plusieurs dispositions traitant, entre autres, des personnes, des liens matrimoniaux, de la filiation, de parenté et alliance, des régimes matrimoniaux. Il est en déphasage avec les réalités actuelles. Un sociologue disait que les lois doivent sortir des entrailles de la société. Elle évolue et change. Le code de la famille, voté en 1972 et promulgué en 1973, contient des imperfections qu’il faut corriger. Si je prends l’exemple de l’article 152, qui parle de puissance maritale, il confère à l’homme le titre de chef de famille. Il accorde une dominance du mari dans les décisions familiales. Cette disposition doit être supprimée car elle ne cadre plus avec le contexte actuel, et avec les lois traitant de l’égalité des sexes. Dans le milieu informel, si vous prenez 10 sénégalais, 9 évoluent dans le secteur informel.
Ce sont les femmes qui dominent dans ce milieu. Elles gèrent des foyers à charge unique. Parce qu’étant polygame, l’homme ne dispose pas de ressources financières nécessaires pour subvenir aux besoins de la famille ou assurer la prise en charge et l’éducation des enfants. Donc, ce sont les femmes qui tiennent les cordons de la bourse. On ne peut plus nous dire que le dernier mot sur les décisions importantes doit revenir à l’homme en matière d’éducation, de gestion financière, de choix du domicile familial, cette époque est révolue. Il faudrait vraiment qu’on élimine complètement l’article 152. Il faut privilégier le consensus, les discussions, il faut toujours consulter, comme nous le recommande du reste la religion. Elle privilégie les consultations pour pouvoir prendre des décisions qui vont impacter positivement tout le monde.
Il est question d’adapter le code au contexte actuel dans l’intérêt de la famille sénégalaise, n’est-ce pas ? Exactement.
Dans l’intérêt de la famille sénégalaise, mais également dans le respect des principes et des engagements auxquels le Sénégal a souscrit au niveau international et au niveau sous régional. On doit réformer ces codes pour épouser l’esprit de ces engagements. Une harmonisation s’impose. Ne pensez-vous pas qu’il faut aussi harmoniser les positions qui ne sont pas toujours convergentes ? C’est le souhait de tous ceux qui portent le combat pour la modification du code. Il faut impérativement des consultations entre des religieux, des groupements de femmes, des acteurs de la société civile, du secteur juridique. Toutes les parties prenantes, aujourd’hui, doivent être consultées et associées aux concertations. On doit organiser un cadre de dialogue pour avoir des consensus forts pour voir quel type de famille nous voulons par rapport à ces mutations en cours. Les autorités religieuses, étatiques, traditionnelles, les organisations de femmes, les syndicats, les enseignants, tous ont leur mot à dire. Il faut qu’on prenne davantage la famille au sérieux, elle est à la base de tout processus de développement.
Il est question d’épouser l’état d’esprit qui a conduit à l’adoption d’un code consensuel en 1972 dans l’intérêt de la femme ?
Toutes les composantes de la société ont été représentées à la session parlementaire de 1972. Donc il faut aller vers ces consensus. Mais ce qui était vraiment marquant, on n’avait qu’une seule femme, à l’Assemblée nationale, pour participer à l’élaboration de ce code de la famille. Il s’agissait de Caroline Faye Diop. Mais le code s’adaptait au contexte de l’époque. Il était une symbiose des dispositions du code civil français, des croyances religieuses et des réalités socio-culturelles coutumières. Donc je suis sûre que si on devait procéder à des réformes, les choses allaient beaucoup changer. Nous avons aujourd’hui plus de femmes députés à l’Assemblée nationale. Elles sont estimées à 48%, les contextes ont beaucoup changé. Depuis que l’Ajs et d’autres organisations féminines portent ce combat, on a l’impression que les choses ne bougent pas, où se situent les blocages ? Oui, en fait, ce sont des questions qui, malheureusement, ne sont pas considérées comme des priorités dans notre pays mais le combat est mené depuis les années 1990. Les organisations féminines ont toujours fait face à des groupes religieux très conservateurs sur des questions concernant la famille sénégalaise. Donc, il est important qu’on continue à dénoncer toutes ces mesures discriminatoires, qui ne le sont pas pour certains. Donc l’idée, c’est de réfléchir ensemble sur ce qu’il faut mettre comme contenu, voir comment ces articles impactent et créent des inégalités sociales dans notre société. Avec des chiffres à l’appui, il faut aller vraiment vers un document de plaidoyer pour montrer comment ces articles impactent de manière discriminatoire notre quotidien. Il faut expliquer à ces nouvelles autorités les enjeux. Car il est difficile de travailler sur les questions de droits des femmes et de l’égalité. On est dans un système très conservateur, reposant sur le patriarcat. Il y a des combats qui sont portés depuis les années 1960, mais jusqu’à présent ne sont pas réglés. Le combat continue.
Quelles sont les avancées qui ont pu être notées ?
Oui, oui, des avancées ont été réalisées, je peux prendre l’exemple de la loi sur la nationalité. Depuis 2013, la femme sénégalaise a la possibilité de d’accorder sa nationalité à son époux et aux enfants issus de cette union. Nous avons pu obtenir l’égalité sur le taux d’imposition depuis 2008. Les hommes et les femmes payent les mêmes impôts. Ce qui n’était pas le cas dans le passé parce que le Code de la famille, en déléguant le titre de chef de famille à l’homme, considérait qu’il avait plus de responsabilités. C’est aussi valable pour les salaires. Les hommes et les femmes perçoivent maintenant le même salaire avec les mêmes postes et les mêmes fonctions. Je pense qu’il est nécessaire d’appuyer le processus de plaidoyer en partageant avec un grand public. Vu qu’on ne vulgarise pas nos lois, nombreux sont les Sénégalais qui n’ont pas cette information.
Pourquoi ces informations ne sont pas diffusées à grande échelle ?
Je trouve que les organisations syndicales ont une partition à jouer dans ce travail de sensibilisation. Il en est de même pour les médias. On doit pouvoir travailler ensemble. Il y a tellement de choses à diffuser, tellement d’émissions à organiser pour sensibiliser, sur l’éducation environnementale, les questions sécuritaires, les premiers secours, nos programmes scolaires. Si je prends l’exemple de la prise en charge médicale, une femme qui travaille dans le secteur formel, peut couvrir son époux si ce dernier ne bénéficie pas de couverture médicale. Il en est de même pour ses enfants. Donc c’est la famille qui en tire un large profit. Les mouvements de femmes parlent d’une réforme en profondeur du code de la famille alors que dans l’imagerie populaire, il est juste question de changer les dispositions qui remettent en question le titre de chef de famille.
Qu’est ce qu’il faut retenir ?
Je pense qu’il faut communiquer et clarifier. Il ne s’agit pas de transformer les hommes en femmes ni les femmes en hommes. Il faut juste rééquilibrer en termes de rôle et de responsabilité vu qu’on est dans une société qui évolue. Il ne faut pas non plus aujourd’hui nous dire qu’il y a une dominance du mari dans les décisions familiales. Nous proposons une co-gestion, une responsabilité partagée à la place de la puissance paternelle. Avec les articles 152 et 277 du code de la famille, la femme n’a aucune décision sur ses enfants et le fonctionnement de la maison. Ces deux articles sont liés. Je suis d’avis qu’il faut réformer l’article 277 et abroger l’article 152. Maintenant, communiquons, clarifions, organisons des concertations. Il faut repenser les relations entre les hommes et les femmes. Elles ne doivent plus être asymétriques.
Par Matel BOCOUM