Serigne Mouhamadou Mourtada Mbacké, fils cadet de Serigne Touba, est l’un des précurseurs du mouridisme dans la Diaspora. Voyageur, ouvert d’esprit et au monde, il a su anticiper, en implantant dahiras et cellules dans plusieurs pays, favorisant même la conversion à l’Islam de plusieurs étrangers.
À Touba, son nom évoque des souvenirs et renvoie soit à l’émigration, soit au travail et à l’enseignement. Il s’agit bien sûr de Serigne Mouhamadou Mourtada Mbacké. L’homme à la légendaire barbe blanche toujours surplombée par une chéchia de la même couleur est né en 1927 à Ndame. Il est le fils cadet de Cheikhoul Khadim. Né dans une famille attachée aux valeurs islamiques, il a été tôt initié à l’apprentissage des savoirs coraniques. C’est ainsi qu’il s’est rendu en Mauritanie pour approfondir ses connaissances alors qu’il n’avait que 12 ans. Sa naissance fut accompagnée d’un mystère, selon Dr Khadim Bousso, puisqu’il est venu au monde avec le nom de Mohamed inscrit sur le bras. « Il était venu dire à Serigne Touba de changer son prénom, et ce dernier lui a répondu que son prénom c’est Mouhamed, et que le Mourtada n’était qu’un ajout. C’est quelqu’un qui a vraiment étudié, que ce soit ici au pays ou dans d’autres pays. Il a toujours voulu sortir et voyager. C’est un digne fils de Serigne Touba », raconte l’intellectuel mouride. Amoureux des sciences, Serigne Mouhamadou Mourtada Mbacké est l’un des propagateurs de la science mouride. Car partout où il allait, il se munissait des écrits et enseignements de son père. Selon Dr Khadim Bousso, un jour, il a dû retarder son départ lors d’un voyage à l’étranger pour emporter une valise contenant des livres du Cheikh. « Mon père m’a raconté qu’un jour, ils voyageaient ensemble. Quand ils sont arrivés à l’aéroport, il a dit à quelqu’un qu’il avait oublié son cartable où il mettait des écrits de son père à Touba. Il a ensuite envoyé quelqu’un pour aller la récupérer. L’avion a eu un problème technique pour décoller. Bizarrement, c’est au moment où le cartable arrivait que le problème technique a été résolu », témoigne Dr Khadim Bousso.
Un grand voyageur
Serigne Mouhamadou Mourtada Mbacké est un précurseur et un modèle pour les émigrés mourides. Il a quasiment fait l’ensemble des continents du monde. Sa mission était de mobiliser les disciples autour de plusieurs cadres. Et il profitait également de ses voyages pour faire connaître, emportant parfois avec lui, des effets du saint homme. « Là où il partait, il amenait des affaires de Serigne Touba. Et un jour, on lui dit que ses bagages ne pourront pas partir, et quand ils voulaient contrôler les valises, à chaque fois le courant partait. Et c’était en Côte d’Ivoire, je crois, et ils ont fini par le laisser partir, parce que lui, il a quelque chose en lui.
C’était un homme de Dieu », souligne Dr Khadim Bousso. C’est fort de cette démarche qu’il a favorisé l’implantation des « Keur Serigne Touba » dans la diaspora. « C’était le fils de Serigne Touba qui n’était pas Khalife général, mais tout le monde le connaît parce qu’il a parcouru tout le Sénégal. Parfois, on avait même de la peine pour lui parce qu’il était fatigué. Le dernier Bamba Day où il était venu, je crois que c’était en 2003, il est mort en 2004. On a demandé de se reposer parce que c’est dur et difficile, il a refusé. Car pour lui, le fait de convertir un seul étranger à l’Islam en valait la peine », dit Dr Khadim Bousso, la mine émue. Pour Serigne Mboussobé Bousso, imam à Paris depuis 25 ans, Serigne Mouhamadou Mourtada Mbacké a su anticiper, en installant partout des fédérations permettant d’enrôler même des étrangers.
Entrepreneur social
L’autre facette de Serigne Mouhamadou Mourtada Mbacké. C’est son sens de l’entrepreneuriat. C’est ainsi qu’il a créé les établissements coraniques « Al Azhar », créant de centaines d’emplois. « Il a ouvert des écoles et a réussi à tout bien gérer et former les gens. Il ne s’est pas arrêté à cela. Il a trouvé du travail pour ceux qui ne pouvaient pas avoir de bourses après pour sortir. Il a ouvert des boulangeries, des stations et des bus. Même ceux qui n’avaient aucun diplôme ni background, il leur disait de venir, et à la fin de la journée, ils étaient payés. C’était incroyable », se rappelle Dr Khadim Bousso. Ce qui lui fait dire que Serigne Mourtalla alliait religion et modernité. « Il t’apprenait ta religion et après te donnait un boulot. Il avait de grandes idées. Ceux qui avaient les bourses, quand ils rentraient après la fin de leurs études, il les employait. Et à cette époque, l’État ne recrutait pas beaucoup », ajoute-t-il. Aujourd’hui, si la Diaspora mouride brille et constitue une puissance financière, sociale et spirituelle, c’est en grande partie grâce à Serigne Mourtada Mbacké, qui a très tôt su s’ouvrir au monde, faisant du mouridisme, une confrérie internationale. L’héritage de Serigne Mouhamadou Mourtada Mbacké perdure bien après sa disparition en 2004. Les dahiras qu’il a implantés continuent de jouer un rôle central dans la structuration des communautés mourides à l’étranger, qu’il s’agisse d’accompagnement spirituel, d’entraide sociale ou de soutien aux projets collectifs. Son approche visionnaire, alliant foi et développement économique, a inspiré toute une génération de disciples.
À Touba, le nom de Serigne Mouhamadou Mourtada est encore synonyme d’engagement et d’ouverture. Chaque année, à l’occasion de commémorations ou d’événements religieux, de nombreux disciples de la diaspora reviennent au bercail pour rendre hommage à celui qui a su bâtir des ponts entre continents. Ses initiatives éducatives, sociales et entrepreneuriales continuent d’être citées en exemple dans les discours des guides mourides, rappelant que l’action sur le terrain est indissociable de la pratique spirituelle.
Par Demba DIENG