Née en 1879 à Saint-Louis, Soukeyna Konaré occupe une place singulière dans l’histoire du Sénégal. Un temps épouse du Bourba Djolof, Bouna Alboury Ndiaye, et cousine de Me Lamine Guèye, elle est aujourd’hui citée comme la première femme politique sénégalaise. À une époque où les femmes sénégalaises étaient exclues des débats politiques, elle n’avait pas hésité à bousculer les mentalités. Aujourd’hui, son nom est régulièrement avancé dans les recherches sur la participation des femmes à la vie politique, en particulier leur droit de vote. Le Dr Adama Baytir Diop, historien à l’Ucad à la retraite, spécialiste du Sénégal sous la colonisation, ne pense pas elle ait eu comme préoccupation exclusive les droits politiques des femmes. « Parce que dans le contexte historique de l’époque, en France métropolitaine, on n’envisageait pas le droit de vote des femmes », explique le Dr Diop. Il a fallu attendre 1945 pour cela. Mais Soukeyna Konaré s’est engagée bien avant. En 1945, de retour d’une entrevue avec le général De Gaulle en Algérie, Me Lamine Guèye va organiser un meeting à Yaax Jeuf, un des douze Pinthie de Dakar, tout près de l’actuel Sandaga. C’est à cette occasion que le patron de la puissante Sfio locale a annoncé le droit de vote pour les femmes. En effet, le 6 juin 1945, les femmes des Quatre Communes obtiennent ce droit. Et encore, ce droit ne concernait au Sénégal que les femmes françaises, au prétexte de l’illettrisme des sénégalaises et de l’opposition des marabouts. A force de manifestations, les citoyennes françaises finirent par avoir gain de cause et purent aller voter aux élections de 1945. L’association Soukeyna Konaré, dont elle était la présidente, mobilisa l’électorat féminin en organisant à St-Louis des soirées de mobilisation suivies de séances de thé. Dans son mémoire de DEA intitulé « Contribution à la réflexion sur la participation des femmes sénégalaises à la vie politique de 1945 à 2001 », Seynabou Ndiaye Sylla rapporte une célèbre anecdote : Soukeyna Konaré n’hésitait pas à provoquer son cousin Lamine Guèye pour qu’il s’engage davantage. Lors d’une réunion en 1930, elle lui lança publiquement : « Si tu es le digne descendant de Bacar Waly Guèye, tu ne devrais pas avoir peur… Si tu recules, donne-moi ta place et tu verras comment une femme se conduit ». Son influence dépassait largement le cadre familial. En présidant l’Association Soukeyna Konaré, elle mobilisait l’électorat féminin de Saint-Louis par des événements sociaux, notamment des soirées dansantes suivies de thés. Ces initiatives, bien qu’inscrites dans un cadre festif, portaient un message politique clair : les femmes devaient participer activement à la vie publique. L’héritage de Soukeyna Konaré demeure vivant à Saint-Louis, notamment à travers l’école qui porte son nom dans le quartier de Balacoss.
Samboudian KAMARA