Lorsque Thione Seck fonde le Raam Daan au milieu des années 1980, il ne s’agit pas seulement d’un tournant musical. C’est la naissance d’un univers, d’une esthétique nouvelle dans le mbalax sénégalais. À ses côtés, des compagnons de route de talent tels Daouda Gassama, transfuge du Super Étoile, son frère Mapenda Seck et son ami Mountaga Koïté.
Ensemble, ils posent les premières pierres d’un édifice sonore qui allait marquer des générations. Le groupe fait rapidement sensation avec deux premières cassettes sorties coup sur coup Ballago et Diongoma. Ces deux albums jetteront les bases d’un style identifiable entre mille, un mbalax maîtrisé, nuancé, porté par une voix chaude et des arrangements soignés. Mais c’est avec l’album « Yaw », fruit d’une collaboration avec le brillant Adama Faye, que Thione atteint une forme de maturité artistique. L’album s’ouvre sur le sublime « Mbarodi » et enchaîne des titres d’une rare pureté : « Sax yi », « Xaré bi », « Apartheid », « Mass Ndiaye », « Jirim » et enfin « Yaw », titre-phare qui donne son nom à l’opus. Un projet cohérent, dense et d’une musicalité remarquable. En 1984, Thione rend hommage à ses racines dans « Aïda Sukka », un album traversé par la fierté d’appartenir à la caste des Gueweul. Entre les soirées dansantes animées à Dakar et les concerts endiablés, Thione devient un phénomène scénique. Il est soutenu par Moussé Pathé aux percussions et Adama Sarr, surnommé « Thiebou Jeun », son fidèle guitariste. En 1987 paraît « Unesco », un album charnière, fort de son engagement.
Le Raam Daan, la fabrique d’une œuvre magistrale
Puis vient « Le pouvoir d’un cœur pur », produit par le Béninois Félix Anagonou, l’homme qui organisa la toute première tournée internationale de Thione. Cet album est souvent considéré comme l’un de ses plus profonds, tant sur le plan musical que spirituel. Les années 1990 s’ouvrent sur une compétition artistique intense avec Youssou Ndour. Thione répond par une cadence de production impressionnante : « Pur Mbalax » (1991), « Papa » (1992), « Numéro 10 » (1993), dédié au président Abdou Diouf, puis « Tann sa bula neex » (1994). En 1995, il revient aux sources avec « Demb », rendant un vibrant hommage à Abdoulaye Mboup, avant de sortir en 1996 l’album « Daaly », unanimement salué. En 1997, il s’associe à son cousin Assane Ndiaye pour enregistrer « Diiné », un duo marquant. Cette même année, il foule pour la première fois la scène du Diapason à Dakar, invité par Moïse Ambroise Gomis. Il y réinvente son tube « Yay Booy » sous le nom de « Mathiou », dédié à son ami Ismaëla Fall.
En 2000, Thione participe à l’aventure d’Africando avec « Mandali », où il reprend « Seuy », un classique revisité. Il enchaîne ensuite avec d’autres albums dont « Allo Petit » et « Bul Dof », avant d’entamer un projet d’envergure : Orientissime. Pendant quatre années, entre Dakar, Paris, Le Caire et Madras, il travaille d’arrache-pied sur cet album hors norme, dirigé par François Bréant. « Orientissime », qui paraît à l’international en 2005, fusionne mbalax, musique arabe, indienne et occidentale. Pour Thione, qui fête alors ses 50 ans, c’est une seconde naissance artistique. L’œuvre est saluée comme l’aboutissement d’une quête musicale et spirituelle. Son génie continue de s’exprimer à travers des chansons inédites et bouleversantes comme « Diaga », dédiée à Kiné Diouf, la femme de sa vie. Mais en 2008, une page se tourne. Thione Seck commence à passer le flambeau à son fils, Wally Ballago Seck, jeune prodige promis à une brillante carrière.
Dans sa riche et longue carrière, Papa Thione, comme l’appellent affectueusement ses fans, a glané plusieurs distinctions. Thione reçoit en 1998 un disque d’or honorifique de la part de la famille Jackson. Cette ouverture lui a également permis de décrocher un disque d’or en 1999 en duo avec Disiz La Peste avec leur tube « Gnibi ». En outre, c’est dans ce même sillage qu’il renoue à la consécration avec l’obtention d’un autre disque d’or en 2000 pour son morceau « Sëy » avec Africando. Si Thione Seck s’est éteint en 2021, son œuvre avec le Raam Daan reste vivante. Elle résonne encore dans les rues de Dakar, dans les taxis, les cérémonies, les concerts. Elle est le témoignage vibrant d’un artiste qui a su conjuguer tradition et modernité avec élégance, rigueur et inspiration.
A. KÉBÉ