« Sera puni de l’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 20.000 à 100.000 FCfa ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque aura participé à une transaction commerciale ayant pour objet l’achat ou la vente d’ossements humains ou se sera livré à des pratiques de sorcellerie, magie ou charlatanisme susceptibles de troubler l’ordre public et porter atteinte aux personnes ou à propriété ». C’est tout ce qu’en dit le Code pénal en son article 234. Un article qui sanctionne les pratiques de sorcellerie, sans pour autant prévoir de protection pour ceux qui en sont accusés. En outre, aucun article spécifique du Code pénal ne définit directement cette pratique de sorcellerie.
Selon le professeur Ndiack Fall, spécialiste en droit pénal, la seule voie juridique ouverte aux victimes repose sur des dispositions connexes, notamment la diffamation, définie par les articles 248 à 258 du Code pénal comme une atteinte à l’honneur ou à la réputation : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. Lorsqu’elle a été faite par l’un des moyens visés en l’article 248, elle est punissable même si elle s’exprime sous une forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.» Toutefois, ce recours suppose que la victime dépose une plainte, condition préalable à toute action publique. Il faut que l’action soit « publique ». Or, dans cette croyance, les accusations de sorcellerie circulent rarement par voie de presse ou dans des déclarations officielles : elles se propagent à bas bruit, par des rumeurs dans les villages, rendant difficile la constitution de preuves tangibles.
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Un problème peu documenté
Ce décalage entre la loi et la réalité sociale révèle un vide juridique. « La législation sénégalaise actuelle est quasi inexistante pour encadrer ces situations et protéger les personnes vulnérables », déplore M. Fall. Cette lacune, renchérit-il, ouvre la porte à des injustices répétées : les victimes sont abandonnées à elles-mêmes, tandis que les auteurs d’accusations infondées échappent le plus souvent à toute sanction.
Pour lui, face à ce constat, plusieurs pistes sont avancées. Le législateur pourrait adopter des dispositions spécifiques pour réprimer sévèrement les accusateurs, tout en menant des campagnes nationales de sensibilisation. « Il faut déconstruire les croyances erronées et les pratiques discriminatoires qui nourrissent la peur et l’exclusion », plaide le professeur.
« Au Sénégal, contrairement aux autres pays comme le Ghana, la Rdc et le Burkina Faso où l’accusation se fait publiquement et où on chasse les soi-disant sorciers, c’est la rumeur qui constitue la source du mal et certaines personnes accusées préfèrent se déplacer ». Ces propos émanent de Seydi Gassama, directeur exécutif de Amnesty international/Sénégal, trouvé au siège de la structure sis à Sacré-Cœur.
C’est pourquoi, dit-il, la situation n’est pas facile à documenter au Sénégal et il n’existe pas encore un rapport de Amnesty sur cette question. Ce que confirme le rapport du Parlement panafricain. « La prévalence des Pratiques néfastes liées aux accusations de sorcellerie (Pnasar) en général n’est pas bien documentée et le phénomène est généralement considéré comme sous-déclaré », renseigne le document. Selon le rapport, une récente étude a trouvé des milliers de cas de Pnasar en Afrique subsaharienne, sur la seule base des cas signalés. La même étude a prouvé que, de 2009 à 2019, on a observé dans plusieurs pays entre 300 à 1.000 accusations de sorcellerie, les chercheurs ayant admis que ces chiffres ne sont qu’un pâle reflet de la véritable situation.
Lorsqu’une femme est accusée de sorcellerie, plusieurs violations graves des droits humains sont généralement en jeu. Le rapport cité plus haut et les directives ont été élaborés par le Parlement panafricain (Pap) et l’Experte indépendante des Nations unies (organisation) sur la jouissance des droits humains dans le but de développer des stratégies pour contrer les pratiques néfastes liées aux accusations de sorcellerie. Les chercheurs exposent, entre autres, les violations du droit à la vie et à l’intégrité physique, droit à la dignité humaine, droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence, droit à la liberté et à la sécurité, droit à la non-discrimination et du droit à la santé.
Graves violations des droits humains
Dans le Protocole A de La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp) relatif aux Droits de la femme en Afrique, 11 juillet 2003, on a adopté plusieurs protocoles y compris le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo) entré en vigueur en 2005 et qui élargit les protections de la Cadhp à l’égard des femmes.
Le Protocole de Maputo protège les droits civils et politiques ainsi que les droits économiques, sociaux et culturels. Il souligne plusieurs dispositions « particulièrement importantes » dans le cadre de la lutte contre les accusations de sorcellerie. Par exemple, indique le Protocole, les États « interdisent et condamnent toutes les formes de pratiques néfastes qui affectent négativement les droits humains des femmes » ; […] à sensibiliser la population aux pratiques néfastes et à apporter un soutien aux victimes (article 5).
Adama NDIAYE