La commune de Mbane (département de Dagana) fait l’objet de toutes les convoitises, du fait de ses terres favorables à l’agriculture. Des agro-business aux particuliers, en passant par des hommes d’influence, la bataille entre populations autochtones et ces derniers autour du foncier n’est pas de tout repos. Suffisant pour les habitants de cette partie du Walo, longtemps sous la hantise de l’accaparement de leurs terres, d’interpeller l’État pour le règlement définitif de cette problématique.
DAGANA – À Mbane village comme pour la plupart des localités de cette commune, les activités principales tournent autour de l’agriculture, la pêche et l’élevage. Sa proximité avec le Lac de Guiers et ses terres arables font de cette commune une zone très convoitée par des tiers et autres industriels. Aujourd’hui, elle est composée 109 villages officiels et plus de 89 hameaux pour 78.443 habitants en 2021, pour une superficie de 147.712,1 ha selon les chiffres de l’Agence nationale de l’aménagement du territoire (Anat). Sous l’ombre d’un grand arbre, un groupe de jeunes, installé autour de la théière, discute.
Apparemment, ils semblent dépassés par les informations sur le foncier dans la commune. « Encore nous ! Apparemment, nous sommes l’agneau du sacrifice. On continue de dilapider notre seule source de survie », lance Moussa Diaw habitant du village. A l’image de ce jeune agriculteur, ils sont nombreux à dénoncer cette spéculation foncière.
Cet accaparement des terres a fait l’objet de nombreux débats au sein de l’opinion. Ainsi, plusieurs villages de la commune s’étaient érigés en bouclier pour fustiger cette prédation. Makhama Gueye était au cœur du combat. Ce jeune technicien en bâtiment demeurant au village de Temey Thiago est un membre actif du Mouvement «Mbane en marche», un regroupement de plusieurs villages qui défend les intérêts de la commune. Aujourd’hui, il ne manque pas de faire l’inventaire de la situation foncière, qui, à ses yeux, est à l’origine de tous les maux.
« A Mbane, les terres ont été octroyées à des particuliers depuis plusieurs décennies. D’ailleurs, elles ne sont jamais mises en valeur. On peut citer Rabi Faki qui détient, à lui seul, 1.700 hectares, Cheikh Hamidou Kane en possède 8.000 hectares, l’homme d’affaires Cheikh Lô 1.500 ha et la liste est loin d’être exhaustive », témoigne Makhama Guèye.
D’après lui, plus de onze villages sont situés dans ces zones. Suffisant pour ce défenseur des intérêts de la commune de crier au scandale. « Les 8.000 hectares dont parle la presse appartenaient à Cheikh Hamidou Kane. Ces terres ont été achetés par Tahirou Sarr. Et pour les mettre en valeur, il va falloir déloger plus de onze villages. Et cela pourrait créer des tensions », déplore-t-il. Baba Fall semble plus modéré dans ses propos. Pour ce responsable politique à Temey, ces personnes précitées possèdent des documents en bonne et due forme qui confirment leur possession. Selon lui, l’État doit les saisir pour renégocier avec ces propriétaires, afin de les redistribuer aux populations. « Ces 8.000 hectares appartiennent à Tahirou Sarr, j’ai suffisamment de preuves pour en parler. Ce qui est important, est que l’État trouve un compromis pour redistribuer ces terres aux populations. Moi qui vous parle, je sais que nos champs se trouvent dans ces zones», renseigne-t-il.
Mor Talla Mbaye habite à Diaglé, un village de la commune de Mbane, cette boulimie foncière est pour lui, source de désespoir pour bon nombre de jeunes de la localité. D’après lui, c’est l’avenir de cette frange de la population, qui est en train d’être hypothéqué à cause de la spoliation foncière.
« D’ici peu, beaucoup jeunes n’auront plus où habiter encore moins s’adonner à l’agriculture », déplore le jeune exploitant agricole. Cette problématique autour du foncier dans la commune avait fait réagir beaucoup de leaders d’opinion, ainsi que la classe politique. L’idée était d’attirer l’attention du Gouvernement sur les tensions que peuvent provoquer cette situation, à l’exemple des évènements de Fanaye en 2011, qui ont occasionné la mort de deux personnes suite aux violentes manifestations pour dire non à l’attribution de 20.000 hectares à des investisseurs italiens, pour un projet de production d’éthanol.
Fantoye Niang est la présidente de l’association « femmes battantes » de Mbane, une organisation qui regroupe plus d’une soixantaine de membres. Selon elle, cette spéculation qui sévit à Mbane renseigne à suffisance sur l’ampleur de la boulimie foncière. D’après elle, le nouveau régime doit organiser des audits sur le foncier à Mbane pour rassurer les populations. « Si toutes les terres sont cédées aux industriels, les communautés n’auront plus où cultiver. L’État doit réorganiser le secteur foncier à Mbane », a-t-elle préconisé.
Dans la commune de Mbane l’éradication de la spoliation foncière est l’un défis majeurs à relever afin de redonner espoir aux populations souvent à la merci des « prédateurs fonciers », dont les conséquences seront difficiles à maîtriser.
Ibrahima MBAYE (Correspondant)