Il fait partie des plus grands champions de tous les temps. L’ancien lutteur Abdourahmane Ndiaye dit Falang a réalisé un impressionnant palmarès de 152 combats pour 150 victoires contre 2 défaites. Grâce à sa vivacité technique, sa puissance athlétique, sa rigueur et sa témérité, il fut une légende, un virtuose de la lutte sénégalaise qui a marqué la décennie 1940-1950.
Abdourahmane Ndiaye dit Falang (qui signifie littéralement propulser au loin) est né en 1912, à Diender, petit village lébou, situé entre Mbayaax et Mboro, dans la région de Thiès. Fils de Alé Fall Ndiaye et de Téning Tina Ndoye, il avait un charisme de champion-roi et était comparé à un véritable fauve. Cette figure emblématique fut, dans les années 1940, considérée comme le meilleur lutteur de sa génération. Pour le journaliste Gallo Thiam, c’était un délice de voir ce grand combattant à l’œuvre, attaquer ses adversaires et leur faire mordre la poussière avec une dextérité extraordinaire. Opposé à n’importe quel protagoniste, le combat était gagné d’avance par Falang qui possédait ce don inné des grands champions et alliait souplesse, agilité, combativité et courage. La lutte pure était dans ses veines et il avait une force technique incroyable, poussée à un rare degré de raffinement, pour signer autant de prouesses dans les arènes sénégalaises.
Falang a écrit ses exploits en lettres d’or dans les annales de la lutte à Dakar, Rufisque, Thiès, Pout, Saint-Louis, Diourbel, Kaolack, Banjul, etc. Tout petit, il a quitté Diender pour Kaolack, où il ne connaissait personne. Jeune ouvrier, il passait la nuit au marché où il gagnait sa vie. Et c’est à Kaolack que cet ancien lutteur a fait ses premières armes. Il y a été encadré par un ami libanais qui a, très tôt, décelé chez lui des talents de futur champion. C’est ce Libanais qui lui a d’ailleurs offert sa première voiture.
Falang a eu 11 enfants. Mame Mor Ndiaye est le seul de sa progéniture qui a essayé de suivre ses traces. Il était pensionnaire de la défunte écurie Ndakaru, aux côtés de Yékini et sous la coupole de l’ancienne gloire Amadou Katy Diop, de 2004 à 2012. Ce jeune athlète a été pénalisé par un manque de soutien, mais surtout par sa nonchalance naturelle due à sa timidité native.
Le super champion légendaire de Diender a eu un fils intellectuel du nom de Djibril Ndiaye. Ingénieur agro-alimentaire à la retraite, il était en France, puis en Italie. Quand il est revenu au pays, il s’est installé à Diender avec toute sa famille. Djibril était un exploitant agricole et s’activait dans le développement de Diender. « On peut avoir la corpulence que mon père avait sans pouvoir réaliser ce qu’il a fait dans la lutte», a-t-il avoué. Selon Djibril Ndiaye, on n’hérite forcément pas des qualités de son paternel et aucun de ses fils n’était intéressé par la lutte mais plutôt par les études. À l’époque, la lutte était comme une sorte de déviation.
Fidèle ami de Falang, le vieux Dame Gadiaga peut disserter des heures durant sur la carrière du porte-drapeau de toute la zone de Diender. Selon lui, Falang a démarré par les « mbapatt » au village de Séguèl. À en croire le patriarche, une jeune femme du nom de Sagal Niama Bèye lui a donné une chèvre en cadeau à Séguel. Falang a ensuite été à Keur Mbir pour faire des « bakk ». Là-bas aussi, une jeune femme l’a honoré en lui offrant un chèvre. Il a poursuivi sa tournée jusqu’à Gadiaga et partout où il passait, il était célébré pour ses exploits peu communs.
Les exploits des Premiers ministres
Bassirou Diagne Marème Diop, ancien Grand Serigne de Dakar, est allé chercher le lutteur à Diender. Ce notable de la communauté léboue voulait que Falang gagne bien sa vie avec son métier de lutteur. Le « Grand Serigne » savait qu’il était pétri de qualités techniques et humaines et qu’il pouvait bien vivre de son talent. Le vieux Dame Gadiaga a raconté que depuis que Falang a commencé à lutter aux arènes sénégalaises, il était devenu plus célèbre qu’avant.
Dans son parcours, le champion du Drapeau de l’Afrique occidentale française (Aof) a battu Soulèye Ndoye, Modou Diakhaté, Cadior, Alioune Nar, Ngor Thiaguine de Diourbel, Modou Kane de Thiaroye, Bateau Diola, Talla Diagne, Moussa Ndiaye, Djiby Ndiaye, Mbèkhe Ndoye, Sampère, Gott Mbao, Sa Ndoulo, Édouard de Saint-Louis, Abdoulaye Diop de Yeumbeul, Coumba Hoyane, etc. Au total, le légendaire porte-étendard de Diender a enregistré 152 combats pour 150 victoires contre seulement 2 défaites concédées contre Soulèye Ndoye et Modou Diakhaté, deux champions lébous.
Falang a disputé le dernier combat de sa carrière contre Soulèye Ndoye. Il a marqué la décennie 1940-1950. Mieux, toutes les personnes associées à son sujet ont affirmé qu’il était le lutteur le plus populaire de sa génération. « Falang était un véritable phénomène de l’arène de 1945 à 1958, époque où le cachet atteignait difficilement 100.000 FCfa », disait le regretté Doudou Diagne, superviseur de lutte.
« Au lendemain de sa première défaite contre Soulèye Ndoye de Yoff, lors d’un mois de ramadan, Falang, médusé devant les milliers d’amateurs, avait improvisé un « bakk », dans une raillerie mordante, à son tombeur du jour et dans cette épreuve difficile », a relaté Gallo Thiam, ancien journaliste de la radio 7Fm. Après un parcours prestigieux, Falang s’est rendu compte qu’il n’avait plus de force physique. Il savait aussi que son palmarès était déjà hyper glorieux, ainsi, il avait décidé de mettre un terme à sa carrière ; une manière d’enseigner qu’il faut savoir s’arrêter à temps.
Combat historique contre Ngor Thiaguine
Selon les témoins, Abdourahmane Ndiaye n’avait pas d’entraîneur et s’entraînait avec un hilaire, cet instrument qu’on utilisait pour cultiver la terre. Il s’est aguerri au cours des séances de lutte traditionnelle sans frappe. Aucun adversaire n’a réussi à le battre dans les « mbapatt ». Le vaillant lutteur a livré son plus difficile combat contre Ngor Thiaguine, un Sérère natif de Diourbel, téméraire et très difficile à battre. Leur affrontement avait été organisé aux Arènes sénégalaises de Fass (Dakar). « Ngor Thiaguine m’a confié qu’il était invaincu dans le Ndiambour lorsqu’il croisait Falang », nous informe Mbaye Dia Diop de Diender. Quand leur combat était scellé, ses marabouts lui avaient mystiquement assuré la victoire. De son vivant, Mbaye Dia Diop de Diender nous a révélé que Ngor lui a raconté qu’au coup d’envoi, Falang lui a dit : «Viens que je te bastonne et te terrasse ». Poursuivant l’histoire, le « Lion » de Diender nous a fait savoir que Ngor Thiaguine lui a raconté qu’il ne savait pas qu’il avait affaire à un champion pur jus. Et qu’au coup d’envoi de l’arbitre, Falang lui a donné trois violents coups à la figure. Avant qu’il ne réfléchisse, Falang l’avait attaqué par une vivace entrée en jambes. La suite, c’est que quand Ngor avait voulu le soulever. Il n’avait malheureusement pas réussi son coup et s’est retrouvé à terre, sans rien y comprendre.
Si le vieux Dame Gadiaga a accepté de briser son silence habituel, c’est pour parler d’un combattant qui l’a toujours marqué. Il a revisité l’histoire sans aucune dose de mystère. « Falang nouait son « nguimb » (petit pagne traditionnel noué autour de la ceinture) chez lui, dans sa propre chambre. Après sa préparation mystique, il portait un caftan (boubou traditionnel mystique) », témoigne-t-il. Quand le grand champion sortait de chez lui, selon Dame Gadiaga, personne ne pouvait se rendre compte qu’il avait déjà noué son « nguimb ». Difficile de retracer la carrière d’Abdourahmane Ndiaye Falang sans parler du vieux Bouna Basse, son grand tambour-major.
Ce statut de lutteur correct, admiré par tous, avec ses «bakk célèbres»: « Massamba Méri Ndaw Bey du raas déémi guddi (Ndlr ! La chèvre ne récolte de jujube la nuit). Avec ses traits de grand lutteur aux traits héroïques doublés d’un caractère extraordinaire, Abdourahmane Ndiaye Falang avait des talents poétiques qui délectaient les amateurs de lutte. Le doyen de la presse sportive sénégalaise et ancien du quotidien national, Le Soleil, feu Serigne Aly Cissé, avait écrit, dans un de ses articles : « La lutte sénégalaise possédait en Falang un lutteur-poète dont l’éloquence mise au service de la vie intelligente a charmé les foules, ses « bakk » étaient d’une poétique proverbiale, unissant son inspiration fertile et laissant entrevoir des évocations éblouissantes, du bien dire ». Des personnalités, comme le président Abdou Diouf, n’hésitaient pas à faire preuve de largesse à son endroit. Il lui avait installé un téléphone fixe chez lui pour pouvoir lui parler assez souvent. Avant de livrer son tout dernier combat contre la mort, le 10 juillet 2005, il était responsable politique du Parti socialiste (Ps) et chef du village de Diender. Le vieux Abdourahmane a terminé sa carrière par la politique qu’il a épousée sur le tard. Son objectif était de pouvoir sortir sa localité de sa pauvreté constante. Falang disait que si le village parvenait à être électrifié, il aurait accompli sa toute dernière mission sur terre et pouvait tranquillement mourir d’une belle mort. Quelques jours après l’électrification du village, il est décédé le 10 juillet 2005, à l’âge de 93 ans. Mais il est resté ce champion éternel, qui a marqué son époque, la lutte sénégalaise !
PAR Abdoulaye DEMBélé