Elle pratique depuis plus de vingt ans et semble toujours invincible. Bineta Diédhiou est plus qu’une taekwondoïste de talent ; elle est un monument vivant du taekwondo. Une légende discrète. Son palmarès est vertigineux : plus de 100 victoires professionnelles. Ce qui fascine chez la quadruple championne d’Afrique, ce n’est pas le nombre de ses trophées, mais la qualité de sa présence. Bineta Diédhiou est partout : intelligente devant l’adversaire, lucide dans la défaite et inarrêtable dans la victoire. Portrait d’une grande championne toujours affamée de combats.
Porte-drapeau du Sénégal lors des Jo 2008 de Pékin, l’ancienne taekwondoïste, Bineta Diédhiou est source d’inspiration pour toutes celles et ceux qui cherchent à durer, à se réinventer et à résister avec le temps. Prodige précoce, celle qui a vu le jour le 8 janvier 1986, à Dakar, livre son premier grand combat à l’âge ou d’autres hésitent encore à pratiquer la discipline. Déjà, à 14 ans, la jeune combattante est championne du Sénégal de taekwondo. Elle devient, à 18 ans, la première combattante sénégalaise à remporter une médaille mondiale.
En fait, Bineta Diédhiou est douze fois championne du Sénégal, quatre fois championne d’Afrique et quatre fois championne du monde francophone. Elle est médaillée d’argent aux Jeux africains de 2003 à Abuja (-55 kg), médaillée de bronze des moins de 59 kg aux championnats du monde de taekwondo 2005, à Madrid, et médaillée d’argent des moins de 55 kg aux Jeux africains de 2007, à Alger. Elle reçoit également le prix du « Lion d’or » en 2007, attribué au meilleur sportif sénégalais de l’année. « Je suis la première Sénégalaise à avoir remporté une médaille mondiale de taekwondo. Je suis la première également à participer aux Jo et quart de finaliste en 2008. J’ai été aussi porte-drapeau », fait-elle savoir.
Née au camp Abdou Diassé, la quadruple championne d’Afrique a été initiée dans la pratique du taekwondo par son père, Me Ibrahima Diédhiou. « Policier à la Brigade d’intervention polyvalente (Bip), mon père est également un grand maître de taekwondo. Il m’a initiée très jeune dans la pratique de cette discipline et presque toute ma famille pratique le taekwondo. J’ai grandi dans ce milieu car petite, j’étais un peu turbulente. Le taekwondo m’a aidé à canaliser mon énergie », se rappelle Bineta Diédhiou. Force tranquille, elle a toujours cru en ses capacités de grande compétitrice. Infatigable, ultra-motivée et profondément engagée dans son sport, la jeune athlète rafle tout sur son passage. « Pour dire vrai, j’ai toujours cru que j’allais devenir une grande championne. Des médailles… et pas en toc Mon niveau était un peu plus élevé à mon âge parce que j’avais l’habitude de m’entraîner avec les hommes. J’ai compris que j’allais devenir une championne et tout le monde m’appelait aussi la championne », renchérit-elle.
Et d’ajouter : « Vu que j’avais un niveau élevé, je combattais en junior et je remportais tous mes combats alors que je n’avais que 14 ans. Par la suite, j’ai décidé de combattre en catégorie senior, malgré qu’elles étaient plus grandes que moi ». L’ancienne championne du Sénégal avait tellement confiance en elle qu’elle disait à qui voulait l’entendre qu’elle pouvait battre n’importe qui. « Tout le monde pensait que je n’allais pas tenir dans cette catégorie. Mais je m’en suis tellement bien sortie qu’on m’avait finalement sélectionnée dans ma catégorie en équipe nationale », raconte-t-elle avec fierté.
Résultat : Bineta Diédhiou brille très vite sur la scène internationale. La championne d’Afrique livre des prestations de haute facture dans la catégorie des -55 kg. Elle enchaîne les médailles… et pas en toc ! « Mon père m’avait cependant dit que, pour être une grande championne, il faut régner longtemps sur le trône. J’avais pris ces mots comme un défi. J’ai perdu mon premier championnat du monde en junior et senior. Mais je n’ai jamais lâché. J’ai remporté la médaille à ma troisième tentative à Madrid. Une première au Sénégal », explique Bineta Diédhiou.
La combattante est devenue de ce fait une incontournable de la discipline, squattant les tatamis d’entraînement sans relâche pour réaliser son vœu le plus cher : garder son statut de leader le plus longtemps possible. « J’avais toujours cru que je pouvais remporter une médaille pour le Sénégal et j’avais aussi un défi à relever : garder le plus longtemps possible mon titre de championne. À chaque médaille d’or, je faisais comme si je n’avais rien gagné et je reprenais les entraînements dans la même semaine. En plus, quand je partais en compétition, je ne visais jamais l’argent ou le bronze, je ne voyais que l’or », affirme-t-elle. Selon la championne d’Afrique, le sport n’est pas une question d’âge, mais d’élan intérieur. La victoire, dit-elle, est un état d’esprit.
En effet, une fois sur le tatami, Bineta Diédhiou démontre toute son explosivité et sa technique. « Mon premier championnat du monde remporté m’a beaucoup marquée et il y a aussi notre première qualification aux Jo en taekwondo. C’était intense et je n’avais que 20 ans. Mes derniers Jeux africains où j’ai remporté la médaille d’or en 2013 étaient aussi extraordinaires. Je voulais tellement gagner parce que je savais que c’était ma dernière prestation », se rappelle-t-elle. En plus d’être une compétitrice coriace, l’ancienne taekwondoïste est une source d’inspiration.
Elle est une athlète, mais aussi une ambassadrice naturelle de son sport. Elle a vu les premiers salaires précaires, les combats sous-financés, les calendriers raccourcis, sans jamais lâcher. Elle a porté les espoirs, les ambitions, les luttes sans discours tapageur, mais avec une régularité exemplaire. « Académie Bineta Diédhiou », l’autre défi à relever « J’ai eu un parcours difficile. J’ai perdu des combats parce que les conditions de préparation n’étaient pas réunies. J’ai encaissé beaucoup de choses et j’ai fait beaucoup de sacrifices. Mais c’est normal parce que cela fait partie du jeu. C’est ça aussi le sport », raconte fièrement celle qui a arrêté sa carrière brusquement avant les Jeux olympiques de Tokyo de 2021. « J’ai voulu faire mes dernières qualifications pour ensuite laisser la place aux jeunes. Je ne voyais pas en réalité quelqu’un qui pouvait prendre ma place à cette période. Je voulais en même temps préparer une athlète chez les filles pour la relève », explique Bineta d’un ton mélancolique.
Et d’ajouter : « J’ai fait des sacrifices pour bien préparer ces compétitions, mais une fois au Sénégal, on m’a dit que je n’ai pas été retenue, sans aucune explication, il n’y avait même pas de matches-tests. C’est dans cette même semaine que j’ai perdu mon grand frère et c’était un choc total. J’avais l’impression qu’on n’avait gâché ma carrière ». Le coup encaissé, Bineta Diédhiou a continué sa route, sans faire demi-tour. Elle a été préparateur physique de l’équipe de basket Académie les Estacades en 2023 avant d’obtenir son Masterclass en Management du sport.
Aujourd’hui, l’ancienne championne d’Afrique veut promouvoir l’éducation, la sécurité et le bien-être à travers le sport en mettant en place une académie au Sénégal. Selon elle, l’éducation des enfants, la sécurité des femmes et des enfants sont des sujets préoccupants. « Les enfants sont souvent privés d’opportunités d’apprentissage enrichissantes, tandis que les femmes et les enfants sont exposés à diverses formes de violence et d’agression, compromettant leur bien-être physique et émotionnel », explique-t-elle.
Et selon elle, l’Académie Bineta Diédhiou sera un sanctuaire dédié à l’éducation, à la sécurité et au bien-être à travers le sport. « Nous sommes également fiers d’offrir des programmes gratuits aux enfants des rues, leur offrant une lueur d’espoir et une alternative positive à leur situation actuelle. De plus, nous accueillons les femmes vulnérables, leur offrant un refuge et une communauté solidaire où elles peuvent renforcer leur confiance en soi et apprendre à se défendre », fait savoir Bineta Diédhiou. En attendant de concrétiser ses rêves, elle continue d’écrire sa légende en encadrant les jeunes talents en préparation en Chine pour les Jeux olympiques de la jeunesse (Joj) prévus en 2026 au Sénégal.
Absa NDONG