Pape Serigne Diène, Directeur technique national (Dtn) a, de son côté, exprimé des préoccupations majeures concernant le manque de moyens dont souffrent les athlètes. D’après lui, cette situation entrave la capacité du Sénégal à produire une élite compétitive sur la scène internationale. Le Dtn indique que les athlètes doivent souvent se débrouiller pour se procurer leur équipement, comme les chaussures de compétition, ce qui représente un défi pour ceux issus de clubs pas bien nantis. Il appelle à un soutien accru de l’État pour permettre aux athlètes de réaliser leur potentiel et d’améliorer les performances du pays dans les compétitions internationales.
« Les athlètes sénégalais, pour la plupart des élèves et étudiants sans ressources, se trouvent souvent dépourvus de moyens financiers pour subvenir à leurs besoins et pratiquer l’athlétisme dans des conditions sereines. Issus majoritairement de milieux défavorisés, ces jeunes talents font face à des défis importants, tant sur le plan personnel que sportif ». En plus, les clubs manquent de ressources et peinent à leur offrir un accompagnement efficace. Et, ni l’État ni la Fédération n’ont mis en place une politique structurée pour soutenir les sportifs en général, et les athlètes en particulier. «Cette absence de stratégie d’accompagnement est aggravée par le manque de compétitions régulières, notamment de meetings d’athlétisme qui pourraient permettre aux athlètes de progresser et de vivre dignement de leur discipline », fait remarquer Diène.
Quant à Fatou Diabaye, la directrice technique régionale (Dtr) de Dakar, elle plaide également pour une révision des primes et indemnités versées aux athlètes pour mieux récompenser leurs performances et leur engagement. Les infrastructures sportives dédiées à l’athlétisme, souvent insuffisantes ou mal entretenues, limitent les possibilités d’entraînement des pratiquants. Pour Diack Thiaw, entraîneur national, le manque d’infrastructures est notoire à Dakar. « Les stades Iba Mar Diop et Léopold Sédar Senghor étant en réfection, il n’y a pas du tout de lieu d’entraînement ni pour les clubs, ni pour la ligue de Dakar, ni pour la fédération. Nous sommes en train de squatter des espaces pour pouvoir au moins entraîner les athlètes », se désole-t-il.
Pour la directrice technique régionale (Dtr) de Dakar, Fatou Diabaye, l’ouverture, dans les meilleurs délais, du stade Léopold Sédar Senghor, est devenue une urgence pour sauver la saison. « Nous avons les Jeux olympiques et les championnats du monde seniors en ligne de mire, des compétitions qui ne se préparent pas en une année », rappelle-t-elle. Afin de pallier ces différents problèmes, plusieurs solutions ont été proposées. Il est crucial, selon le Dtn Pape Serigne Diène, de créer un fonds national de soutien et d’accorder des bourses sportives. Les clubs doivent bénéficier de subventions pour leur renforcement. Le développement des compétitions, notamment par l’organisation de meetings nationaux et la facilitation de la participation internationale, sont également souhaités. Un accompagnement social et éducatif, incluant des bourses académiques, est nécessaire. Enfin, une politique sportive nationale avec des incitations fiscales pour les entreprises doit être mise en place pour soutenir ces initiatives.
Les primes de la discorde
Aux Jeux olympiques de 1968, à Mexico, Amadou Gakou avait réalisé une prouesse qui lui avait permis d’entrer à tout jamais dans la légende. Avec un chrono de 45s 01, il avait établi un record (celui du Sénégal) sur le 400 m, en finale, au Stade olympique universitaire de Mexico. Ambassadeur du Sénégal à ce rendez-vous olympique, le sprinteur n’avait perçu que 100.000 FCfa, soit 25.000 FCfa pour chacune des quatre courses qu’il avait livrées. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et la situation est restée en l’état. Les primes octroyées continuent de semer la discorde et les athlètes ne cessent d’exprimer leur amertume. Champion d’Afrique du 110 m haies en juin dernier, à Douala, au Cameroun, Louis François Mendy n’avait pas caché sa frustration après avoir reçu la prime pour récompenser sa performance. Il avait donné un coup de pied dans la fourmilière. « Être champion d’Afrique pour gagner une prime de 50.000 FCfa de la part du ministère des Sports ; une autre somme de 30.000 FCfa rajoutée à cette dernière par le président de Fédération, mieux vaut aller jouer au football, car Sadio Mané ou Gana Guèye n’auraient jamais accepté cette somme… Il est temps que ça cesse », avait-il écrit sur son compte Instagram.
Un coup de gueule qui avait créé une polémique devenue virale et qui avait poussé le ministère des Sports à réagir et à promettre de rectifier le tir. Pour Louis François, les primes demeurent un sujet complexe et l’essentiel pour lui, c’est de rester concentré sur ses performances et ses objectifs. « Mon énergie est surtout orientée vers ce que je peux contrôler : mon entraînement, ma préparation, et l’impact que je veux laisser. Cela dit, j’ai confiance aux efforts de ceux qui travaillent à valoriser notre discipline et ses athlètes ». Championne d’Afrique 2024 du triple saut, en juin dernier, à Douala, Saly Sarr ne cache pas son scepticisme. « On n’apprécie pas les primes qu’on nous paie. C’est même un manque de respect de donner à un athlète qui décroche une médaille aux championnats du monde une prime de 80.000 FCfa. Ça ne couvre même pas ses frais de déplacement et ne peut même pas acheter des chaussures d’entraînement ».
Pour la sauteuse, le Sénégal doit soutenir davantage ses athlètes en les récompensant à leur juste valeur. «Le talent est là et les jeunes veulent prouver, mais on ne leur donne pas l’opportunité », râle-t-elle. S’il apprécie les primes venant du ministère des Sports comme une reconnaissance de leurs efforts, Frédéric Mendy soutient cependant que « celles-ci ne peuvent même accompagner un athlète sur une saison ».
De l’avis du spécialiste du 400 m plat, « la Fédération sénégalaise d’athlétisme, au-delà de son rôle fédérateur, devrait aussi essayer d’offrir des bourses financières pour encourager les athlètes performants et ceux du haut niveau et les aider à décrocher des sponsors ». Les athlètes qui expriment des attentes élevées concernant les primes, surtout lorsqu’ils investissent des années d’efforts pour atteindre l’élite, condamnent la discrimination et le fossé énorme avec les autres disciplines comme le football, le basket. Ils apprécient les efforts du gouvernement pour augmenter ces montants, mais soulignent également que cela doit être accompagné d’une régularité dans les paiements. Les primes doivent non seulement récompenser les performances, mais aussi soutenir leur développement continu dans le sport.
Le sponsoring, un défi majuscule
L’absence de sponsors est un défi majeur pour les athlètes d’athlétisme, en particulier ceux qui ne sont pas encore établis. Les entreprises sont souvent plus attirées par les sports à forte visibilité médiatique comme le football, le basket ou la lutte. Cela limite les opportunités pour les athlètes moins connus qui doivent souvent jongler entre un emploi à temps plein et entraînement. Aujourd’hui, la question des sponsors reste un défi pour les athlètes. De l’avis de Louis François Mendy, cela demande beaucoup de travail, de patience et de communication pour que les partenaires comprennent l’impact de notre discipline. « Malgré tout, je suis reconnaissant pour les soutiens que je reçois, qu’ils soient institutionnels ou privés. Chaque aide compte pour continuer à viser l’excellence », indique le champion d’Afrique du 110 m haies. Saly Sarr abonde dans le même sens. « Obtenir des sponsors est un véritable défi, ce qui complique souvent la préparation des athlètes pour les compétitions internationales. Le manque de soutien financier limite les opportunités pour les athlètes qui ne peuvent se concentrer pleinement sur leur entraînement et leurs performances », affirme Saly Sarr. La situation actuelle nécessite, selon elle, « une prise de conscience collective afin d’améliorer les conditions de travail des athlètes et d’encourager davantage les investissements dans le sport au Sénégal. Pour moi, l’absence de sponsors dans l’athlétisme sénégalais est dû au manque de visibilité, de compétition internationale, parce que l’athlète sénégalais est peu présent dans les grands rendez-vous internationaux ».