Certains diront que l’arène n’a pas besoin de rivalités, d’autres les réclament vivement. Mais un constat s’impose : depuis Mbaye Guèye – Robert Diouf jusqu’à Balla Gaye 2 – Modou Lô, la lutte sénégalaise a vécu au rythme de ces antagonismes électrisants.
Savoureuse et bénéfique, la rivalité donne à la lutte ses plus belles pages. Chaque génération a ses « frères ennemis ». Au sommet actuel, Balla Gaye 2 de Guédiawaye et Modou Lô des Parcelles Assainies ont perpétué cette tradition. Entre eux, tout respirait la compétition : regards lourds, provocations, défiance. Deux monstres physiques, deux tempéraments de feu, deux leaders charismatiques qui polarisent toutes les passions. Tout commence par des tournois de lutte traditionnelle, ces fameux « mbapatt » où les jeunes champions affûtent leur technique et leur mental. Vers 2005, Balla Gaye 2 organisait un tournoi à Guédiawaye. Parmi les participants figuraient les futurs grands noms de l’arène : Modou Lô, Dolf, Mitrailleuse, Super Diamono, Khadim Gadiaga, Less 2, Elton, entre autres. Ce jour-là, un incident opposait les camps de Guédiawaye et des Parcelles Assainies. Les avis divergent encore sur l’issue de la finale entre Less 2 et Modou Lô, arbitrée par le regretté Moussa Dioum de l’écurie Parcelles Mbollo. Pour certains, le «Roc» des Parcelles avait triomphé. Pour d’autres, c’est l’héritier de l’ancien lutteur du Walo, Daouda Fall, qui l’avait renversé. Les témoins racontent que des jets de pierres avaient éclaté, obligeant les organisateurs à interrompre la compétition. Cette tension, née dans la poussière des arènes traditionnelles, allait devenir une hostilité durable. Quelques années plus tard, le 3 février 2009, lors d’un face-à-face organisé par le promoteur Gaston Mbengue, au Centre aéré de la Bceao, elle électrisera l’arène pendant plus d’une décennie. Ce jour-là, Balla Gaye 2 (Balla Gaye) et Eumeu Sène (Tay Shinger) étaient à l’affiche d’un grand gala prévu le 8 février 2009, dans le cadre du Championnat de lutte avec frappe (Claf) du label Gaston Productions. En lever de rideau, Modou Lô (Rock Énergie) devait affronter Balla Diouf (Fass). Mais, lors de la signature des contrats, les tensions explosaient. «C’est ce jour-là qu’il m’a insulté pour la première fois», affirmait Balla Gaye 2, lors d’un entretien. Max Mbargane, alors coordonnateur de Gaston Productions, a confirmé les échauffourées qui ont marqué cet événement sportif. À partir de ce jour, plus rien ne sera comme avant. Balla Gaye 2 affirmera plus tard que ces provocations l’avaient déstabilisé lors de son combat contre Eumeu Sène, perdu quelques jours après. «Ce jour-là, j’étais perturbé. J’ai été insulté et déconcentré avant même d’entrer dans l’arène», confiera-t-il après. Modou Lô, de son côté, relativisait : «C’était des affaires de jeunes. Nous avons grandi maintenant». Mais le mal était fait : le public venait d’assister à la naissance d’une rivalité durable et spectaculaire.
Les années suivantes, les provocations se multiplient. Le 25 avril 2011, lors du combat entre Zarco et Sa Thiès au stade Demba Diop, les deux rivaux, présents pour soutenir leurs poulains respectifs, s’insultent devant les caméras. Le ton monte, les mots fusent. «Si Modou Lô est un homme, qu’il signe un combat avec Sa Thiès !», lâchait déjà Balla Gaye 2. Le cadet de Double Less avait finalement gagné le combat devant Zarco, à l’époque lieutenant de Modou Lô à l’écurie Rock Énergie. L’actuel Roi des arènes répliquait calmement : « Qu’il demande d’abord les prières de ses parents ». Cette tension alimentait les débats dans les maisons, les quartiers et les médias. Guédiawaye et les Parcelles Assainies devenaient deux bastions opposés, deux pôles d’une même passion. Leurs fans jouaient un rôle déterminant dans l’entretien de ce feu. Chaque événement, chaque déclaration, chaque photo devenait prétexte à des polémiques. Après leur premier face-à-face officiel du 5 août 2018, en prélude à leur seconde opposition de janvier 2019, les réseaux sociaux s’étaient enflammés : caricatures, montages, moqueries… tout y passait. Leur rivalité dépassait alors le cadre purement sportif pour devenir un véritable phénomène social et médiatique.
Abdoulaye DEMBÉLÉ

