« On est en demies ! » enchaine le petit stade Pierre-de-Coubertin de Cannes (sud de la France). L’important, c’est de gagner. Joueurs, staff technique et dirigeants suivent Cheikh Ndoye, leur capitaine, pour un tour d’honneur devant un public aux anges. Le Sénégalais de 38 ans a montré́ résilience et abnégation face aux difficultés : des empreintes indélébiles dans sa carrière.
C’est un festival avant l’heure : Cannes s’est qualifié́ mardi pour les demi-finales de la Coupe de France en battant Guingamp 3-1. Au-delà̀ de la victoire d’une équipe de National 2 contre une formation de Ligue 2 (deux divisions d’écart), c’est le triomphe d’un homme pour qui le rebond est une seconde nature – comme il l’est pour les kangourous.
À 38 ans, il a disputé́ l’intégralité du match au milieu de terrain, apportant une précieuse contribution à son équipe. Déjà̀ en 2015, lorsqu’on l’avait rencontré́, il nous avertissait : « Ce sont les autres qui évoquent mon âge avec scepticisme, mais je sais que je peux évoluer au haut niveau plusieurs années encore. » Aujourd’hui, à l’aube de ses 39 ans (dans un mois), Cheikh Ndoye vise désormais le trophée, aussi circulaire qu’un dôme du Stade de France, avec l’espoir de décrocher une qualification en finale de la Coupe de France. Un objectif qui semblait bien lointain en 2009, lorsqu’il était encore menuisier à Rufisque. Il a touché́ du bois avant de saisir sa chance dans le football et de réaliser son rêve.
Trio d’Epinal
Au début de sa carrière, Cheikh Ndoye jongle entre le cuir et le bois. Footballeur à mi-temps et menuisier à plein temps, un métier qu’il maitrise parfaitement, il nourrit pourtant une passion inébranlable pour le ballon rond. Il rejoint la CSS, un club de l’élite sénégalaise, à 17 ans, avant de revenir à Yakaar de Rufisque, sa ville natale, où il évolue de 2006 à 2009. En 2007, Salif Diao, ancien international sénégalais et quart de finaliste de la Coupe du monde 2002, lui offre une opportunité́ en l’envoyant faire des essais à Stoke City, en Angleterre. Mais après quinze jours, l’essai n’est pas concluant.
De retour au Sénégal, Cheikh Ndoye reprend son quotidien de footballeur à mi-temps. « Je ne lâche jamais, sur et en dehors du terrain », martèle-t-il sans cesse. Une nouvelle chance s’offre à lui fin 2008, cette fois dans un club d’Arabie saoudite. Les dirigeants, séduits par ses qualités, sont prêts à le recruter. Mais, juste avant de signer, il se blesse gravement et se retrouve plâtré pendant trois mois. L’affaire capote. Retour à la case départ.
Le troisième essai sera le bon pour jouer en professionnel. Salif Diao, qui continue à suivre son parcours, le fait venir en France, à Épinal, en septembre 2009. Cheikh Ndoye débarque en compagnie de deux amis : Ibrahima Seck et Christophe Diédhiou, formant ainsi « le trio des Sénégalais » d’Épinal. « L’adaptation fut difficile au niveau des exigences tactiques », concède Ndoye. Mais pas seulement. « Quelques semaines après notre arrivée, nous avons découvert la neige », se souvient-il avec le sourire. Sur le terrain, les trois acolytes sont les grands artisans de la montée d’Épinal du monde amateur à l’antichambre de l’élite française (Ligue 2).
Mais rien n’est simple. Le trio se souvient de quelques interdictions linguistiques à Épinal. En match comme à l’entrainement, il leur arrivait de parler en wolof. « Mou gui nieuw » (il arrive), « Guestoul » (retourne-toi), « Gawaal » (fais vite) … « C’était plus un réflexe », explique Christophe Diédhiou. A contrario, cela « ne dérangeait personne » à l’US Créteil Lusitanos, selon Jean-Michel Le Sage, l’un de leurs coéquipiers dans le club de la banlieue parisienne qu’ils avaient rejoint en 2012.
Statistiques impressionnantes
Après trois ans à Créteil, la success story des trois Sénégalais prend fin. Alors que Christophe Diédhiou poursuit l’aventure avec Créteil et qu’Ibrahima Seck est transféré́ à l’AJ Auxerre (Ligue 2), Cheikh Ndoye, avec ses statistiques impressionnantes (32 buts pour un milieu défensif en trois ans), franchit un cap. Il est recruté́ par Angers, club promu.
Les jours qui ont précédé́ son premier match en Ligue 1, Cheikh Ndoye avoue avoir repensé à son parcours, ses parents et amis. « Je n’ai pas l’habitude de me retourner sur mon chemin, mais découvrir le championnat de France en tant que capitaine était très particulier. » Son passage à Angers fut particulièrement réussi.
Entre 2015 et 2017, il a joué́ 71 matchs pour 16 buts, ce qui lui ouvre les portes de l’Angleterre pour une expérience contrastée avec Birmingham (42 matchs pour 0 but). Angers se souvient de ses beaux jours et lui offre une pige d’un an en 2019-2020 (29 matchs, 0 but). Puis vient le Red Star, où il brille aux côtés d’un autre Sénégalais : Habib Bèye.
Désormais à Cannes, ce n’est pas la Croisette qui l’attend, mais une palme avec une nouvelle finale en ligne de mire. Cheikh Ndoye, l’homme aux multiples rebonds, saura encore dépasser ses limites avec un nouvel énorme bond en avant.
Moussa DIOP