Meilleure nageuse africaine de l’histoire, première femme à la tête du sport mondial, la Zimbabwéenne Kirsty Coventry a brisé de nombreuses barrières pour devenir, à 41 ans, la plus jeune présidente du CIO depuis Pierre de Coubertin.
La septuple médaillée olympique de natation, qui a balayé ses six adversaires dès le premier tour en mars, porte un mystère : après une campagne dénuée de toute proposition concrète, quelle dirigeante sera-t-elle ?
« Le sport a radicalement changé ma vie », constatait Coventry jeudi, puisant dans son parcours une ligne politique: « garantir des opportunités égales d’accès au sport aux athlètes de tous horizons ».
Installée ce lundi aux manettes de l’instance de Lausanne, l’ex-championne a forgé son destin dans un Zimbabwe doublement périphérique, sportivement comme politiquement : loin du trio Australie/Etats-Unis/Chine, dominant en natation, et à plus de 10.000 km du CIO, toujours présidé par des hommes occidentaux.
L’enfant de Harare, dont les parents sont issus de la minorité blanche dirigeant une entreprise chimique, grandit cernée par les sportifs : sa mère et sa grand-mère jouent au tennis, son grand-père a présidé la fédération de natation, deux de ses oncles ont représenté la Rhodésie (en natation et boxe) avant l’indépendance en 1980.
– Du rêve olympique à l’exil –
« J’ai toujours été très compétitif, au point d’être interdit de jeux de cartes en famille parce que je n’aimais pas perdre », rappelle volontiers la grande blonde, carrure athlétique intacte et décontraction en bandoulière.
Initiée à la natation avant deux ans, en club à six, Coventry s’épanouit dans l’eau sans s’y limiter. Faute de piscine couverte dans le pays, elle passe « au hockey sur gazon, cross et tennis » pendant l’hiver, un éclectisme auquel elle attribuea plus tard sa longévité sportive.
Tombée en arrêt devant les JO-1992 de Barcelone, la fillette promet à ses parents « d’aller aux Jeux un jour et d’y décrocher une médaille d’or pour le Zimbabwe », alors uniquement titrée en 1980 grâce à ses hockeyeuses.
« Ils ont souri et m’ont dit qu’il devrait beaucoup de travail, de sacrifices, se lever très tôt. J’ai dit d’accord – j’avais neuf ans, qu’est-ce que j’y connaissais ? », plaisantait en mars l’ex-championne, demi-finaliste du 100 m dos à 16 ans aux JO-2000 de Sidney.
Comme tant d’autres nageurs, Léon Marchand en tête, l’accès aux sommets passe par l’exil : elle décroche l’année suivante une bourse pour l’université américaine d’Auburn, passe des entraînements solo à l’émulation d’un groupe de haut niveau, et découvre l’effervescence du championnat universitaire NCAA.
– Harcèlement et stades en ruine –
La consécration arrive dès les JO-2004 d’Athènes, avec l’or du 200 m dos, l’argent du 100 m dos (devant Laure Manaudou) et le bronze du 200 m quatre nages, avant quatre nouvelles médailles à Pékin-2008 (or du 200 m dos, argent du 100 m dos, 200 m quatre nages et 400 m quatre nages).
Entrée dès 2013 à la commission des athlètes du CIO, elle quitte les bassins après les JO-2016 de Rio et embrasse une carrière politique, appelée en 2018 comme ministre des Sports, des Arts et de la Jeunesse dans le gouvernement du président Emmerson Mnangagwa, successeur de Robert Mugabe.
Interrogée sur la nature autoritaire du régime, l’ancienne nageuse souligne qu’elle faisait partie des sept ministres « non affiliés » au parti au pouvoir depuis l’indépendance, le Zanu PF, et qu’elle s’est concentrée sur « ce qu’elle pouvait changer ».
A peine arrivée, elle s’est attaquée au harcèlement sexuel au sein de la fédération de hockey puis de football (contre des femmes arbitres), assumant la suspension décrétée par les instances internationales pour « interférence gouvernementale » – de trois mois pour le hockey, 18 pour le football – qui a privé les fans de leurs sélections.
« C’était la bonne décision (…) Il y a certaines choses qui me tiennent profondément à cœur et que je ne tolérerai jamais », promettait-elle en mars.
– Approche collaborative –
Elle n’a en revanche pas réussi la remise aux normes Fifa des stades du pays – au point que le Zimbabwe joue à l’étranger ses matches à domicile – et son grand projet de loi sur l’intégrité (dopage, harcèlement, manipulation des compétitions) reste à adopter plus de trois ans après son élaboration.
Partisane d’une approche collaborative résumée par son slogan « Ubuntu », cher à Nelson Mandela, Coventry a convié dès mardi la centaine de membres du CIO à cinq ateliers de réflexion, avant de consulter plus largement.
« Cela signifie essentiellement +Je suis parce que nous sommes+ », explique-t-elle, convaincue que les décisions doivent être partagées.
Sur la présence des sportifs israéliens comme sur la réintégration de la Russie, elle estime que le rôle du CIO est « de faire en sorte que tous les athlètes puissent participer aux JO ». Son avis sera particulièrement scruté sur la participation des athlètes transgenres et intersexes, sujet devenu explosif ces dernières années.
Cette mère de deux fillettes, dont un bébé de sept mois qu’elle allaitait encore au moment de son élection, insiste sur l’importance pour l’olympisme « de rester pertinent » pour la jeunesse, un défi quand les audiences vieillissent.
Rapatrier sa famille à Lausanne lui vaut une première transgression à la tradition olympique: elle ne s’est pas installée au Lausanne Palace, résidence de tous ses prédécesseurs depuis 1980.
« Je veux que mes enfants grandissent comme je l’ai fait : en faisant leurs lits et les tâches ménagères ».
AFP