Le football sénégalais a toujours été une force vive sur le continent, mais la période allant de 2004 à 2015 a été une véritable traversée du désert. Loin des sommets de 2002, le Sénégal a connu des éliminations précoces et des déceptions amères. De ces échecs est née une résilience sans faille, propulsant les Lions vers une ascension fulgurante et un retour au sommet du football africain. Cette histoire est celle d’une génération qui a su transformer ses revers en force pour accomplir son destin.
Le parcours a d’abord été une suite de leçons douloureuses. Éliminé en quarts de finale par la Tunisie lors de la CAN 2004. Sorti en demi-finale par l’Égypte à la CAN 2006 (avec une non-qualification à la Coupe du monde 2006). Un revers à la CAN Ghana 2008 en sortant dès la phase de groupes. En 2010, c’était l’absence totale sur la scène du football : pas de CAN, pas de Coupe du monde. L’élimination précoce lors de la CAN 2012 (coorganisée par le Gabon et la Guinée équatoriale) a été une désillusion totale, alors que l’équipe, dirigée par l’entraîneur Amara Traoré, faisait partie des favoris après avoir séduit en éliminatoires (première avec 16 points sur 18 possibles dans un groupe composé du Cameroun, de la RD Congo et de l’Île Maurice).
Mais la frustration a atteint son paroxysme le 13 octobre 2012 lors du match de qualification pour la CAN 2013 face à la Côte d’Ivoire. Après avoir perdu le match aller à Abidjan (4-2 pour les Ivoiriens), tout le peuple sénégalais s’est mobilisé en remplissant le stade Léopold-Sédar-Senghor, espérant battre les Éléphants. Contre toute attente, en seulement 75 minutes, les Éléphants menaient 2-0 grâce à un doublé de leur capitaine, Didier Drogba. Ce scénario a provoqué de violents incidents : les supporters, n’acceptant pas ce résultat, ont saccagé des installations et lancé des projectiles sur la pelouse, entraînant l’interruption du match, la disqualification du Sénégal et une suspension du stade.
En 2015, sous la houlette d’Alain Giresse, le Sénégal a encore été éliminé dès la phase de poules de la CAN en Guinée équatoriale. Malgré un début prometteur avec une victoire contre le Ghana, l’équipe a ensuite concédé un match nul face à l’Afrique du Sud (1-1), grâce à un but de Kara Mbodj, avant d’être éliminée par l’Algérie (2-0). Cette contre-performance a coûté son poste à Giresse, qui a laissé derrière lui cette fameuse déclaration : « Les Sénégalais ont une haute idée de leur football, qui n’a jamais rien gagné. »
Aliou Cissé, l’architecte d’une génération dorée
Cet énième revers a marqué le début d’une période de reconstruction. Un tournant majeur est alors intervenu après la CAN. Le 4 mars 2015, Aliou Cissé a été nommé sélectionneur des Lions du Sénégal. Il connaissait déjà bien plusieurs joueurs de l’équipe nationale pour les avoir dirigés lors des JO 2012 en tant qu’entraîneur adjoint, puis en tant que sélectionneur des moins de 20 ans lors des Jeux de la Francophonie 2013, ce qui représentait un atout. Véritable Lion, cet ancien capitaine de la génération 2002 a su bâtir une équipe autour de valeurs fortes : discipline, cohésion et résilience.
Sa première mission a été de conduire les Lions à la CAN 2017, une mission réussie. Après un parcours parfait en phase de groupes, l’équipe a été éliminée en quarts de finale par le Cameroun, futur vainqueur du tournoi, à l’issue d’une cruelle séance de tirs au but (0-0 après prolongation). Sadio Mané, le joyau de l’équipe, avait alors manqué son penalty face au gardien Fabrice Ondoua. Un air de déjà-vu, puisque le Sénégal avait perdu la finale de la CAN 2002 face au même adversaire lors d’un scénario similaire. La malédiction contre les Lions indomptables persistait. Ce revers de 2017 a été une leçon cruciale, forgeant le mental des joueurs et confirmant que l’équipe était sur la bonne voie.

L’honneur retrouvé
En 2018, le Sénégal a fait un retour symbolique en Coupe du monde (en Russie) après 16 ans d’absence. Après une victoire contre la Pologne (2-1) et un match nul face au Japon (1-1), le parcours s’est achevé sur une note amère : une défaite contre la Colombie (1-0) et une élimination en phase de groupes due à un nouveau règlement de la FIFA, le critère du fair-play. À parfaite égalité avec le Japon (4 points chacun), les Lions ont été classés troisièmes à cause des cartons jaunes (6 pour le Sénégal contre 4 pour le Japon). Un critère peu fair-play pour les hommes d’Aliou Cissé.
Un an plus tard, en 2019, le Sénégal a de nouveau été confronté à un destin cruel en s’inclinant en finale de la CAN (en Égypte) face à l’Algérie sur le score de 1-0. Le but précoce de Bounedjah a suffi aux Fennecs pour s’imposer. Malgré la défaite, cette finale a prouvé que l’équipe avait atteint un niveau de maturité et était prête à conquérir le continent. Tout le monde a compris qu’il ne fallait pas limoger Aliou Cissé, mais au contraire l’encourager pour maintenir la dynamique. Ça sentait bon.
La consécration est finalement arrivée en 2021 (tournoi joué en 2022). Le Sénégal a été sacré champion d’Afrique. Le travail, la patience et la persévérance ont payé. Après un parcours solide, le Sénégal a remporté sa première CAN en terre camerounaise, face à l’Égypte, au terme d’une séance de tirs au but haletante. La coïncidence est frappante : le Sénégal avait perdu sa première finale de CAN en 2002 face au Cameroun, puis sa deuxième en 2019 face à l’Algérie. Cette fois, il a remporté sa première CAN sur les terres du Cameroun, face à l’Égypte. Toute une nation a attendu ce moment si longtemps. Ce sacre a été perçu non seulement comme une victoire sportive, mais aussi comme la récompense de longues années d’efforts, de sacrifices et de résilience.
La « colonne vertébrale » de l’équipe : les visages de la résilience
L’épopée des Lions ne peut se raconter sans évoquer les joueurs qui ont forgé son succès. Ils ont parcouru un long chemin, surmontant toutes sortes d’obstacles, des revers aux succès. On les surnomme la « colonne vertébrale » de l’équipe.
Sadio Mané, qui a honoré sa première sélection le 25 mai 2012, est aujourd’hui considéré par beaucoup comme le meilleur joueur de l’histoire du Sénégal. Comme El Hadji Diouf, Sadio a remporté deux Ballons d’Or africains (en 2019 et 2022), mais il a aussi remporté la CAN et a eu une carrière internationale plus aboutie, jouant dans de grands clubs et remportant de nombreux trophées. Après avoir terminé 4ᵉ du Ballon d’Or européen en 2019, Sadio a été classé 2ᵉ en 2022 derrière Karim Benzema. Tant sur le plan collectif qu’individuel, le natif de Bambali a eu une carrière plus complète que l’autre légende nationale, El Hadji « Dioufy ». Sadio Mané et ses coéquipiers ont offert au Sénégal son premier sésame historique.
Kalidou Koulibaly, véritable roc défensif, a été la « muraille » de l’équipe et un capitaine exemplaire. L’histoire retiendra que c’est le premier capitaine sénégalais à avoir soulevé la Coupe d’Afrique des nations. Il a apporté de l’assurance à la défense des Lions et s’est imposé comme indéboulonnable depuis sa première CAN en 2017, ce qui lui a valu le surnom de « Ministre de la Défense ».
Dans les buts, Édouard Mendy a apporté une assurance inébranlable. Son histoire avec l’équipe nationale a commencé en 2018, mais c’est à la CAN 2019 qu’il a participé à sa première compétition continentale, bien que frustrante puisqu’il a dû quitter le groupe après seulement deux matchs à cause d’une blessure à l’échauffement (avant le match contre le Kenya). Revanchard, « Édou » a été l’un des grands artisans du sacre à la CAN 2021. Il était au sommet de son art, désigné meilleur gardien UEFA 2021 après avoir remporté la Ligue des champions avec Chelsea, puis meilleur gardien de la CAN.
Au milieu de terrain, Idrissa Gana Gueye et Cheikhou Kouyaté ont été les « poumons » de l’équipe. Au four et au moulin, ces deux « jumeaux » ont parcouru un long chemin ensemble depuis les Jeux olympiques de 2012. Ils se connaissaient, se comprenaient, formant une paire intouchable au milieu de terrain. Ce n’était ni la paire Xavi-Iniesta ni Kroos-Modric, mais la paire Gana-Kouyaté, un duo infatigable et essentiel à l’équilibre du groupe.

L’héritage et l’avenir avec Pape Thiaw
Après le sacre de 2021, la même ossature a permis au Sénégal de se qualifier pour la Coupe du monde 2022 au Qatar, où l’équipe a atteint les huitièmes de finale. Cependant, la CAN 2023 a été une déception inattendue, avec une élimination précoce face au pays hôte, la Côte d’Ivoire, en huitièmes de finale. L’équipe du Sénégal, au sommet de son art, ne peut plus se permettre de sortir comme ça.
Cette élimination a marqué la fin de l’ère Aliou Cissé. Après de nombreuses années à la tête de l’équipe nationale, l’amour et la confiance entre Aliou Cissé et le public sénégalais commençaient à s’effriter. En octobre 2024, le ministère des Sports du Sénégal s’est officiellement séparé de lui après neuf années passées en tant que sélectionneur.
Aujourd’hui, sous la direction de Pape Thiaw (le nouvel entraîneur et ancien international), le Sénégal a entamé un nouveau chapitre. La récente victoire face à la RD Congo (3-2) prouve que les Lions ont gardé leur ADN de combativité. Ils continuent de s’appuyer sur l’expérience acquise pour bâtir l’avenir et relever de nouveaux défis. Pape Thiaw dispose d’un groupe plein de cadres comme Sadio Mané, Kalidou Koulibaly, Gana Gueye, Édouard Mendy ou encore Ismaïla Sarr, sur lesquels il peut s’appuyer pour faire grandir les jeunes joueurs. C’est maintenant le moment de la transition, le moment de Pape Thiaw, le moment d’écrire encore l’histoire.
Djibril DIAO