La lutte est le sport sénégalais qui a connu le plus de bouleversements au niveau structurel. Elle a longtemps connu une navette entre fédérations et structures d’exception.
C’est en 1960 que la Ligue nationale de lutte au Sénégal est mise en place, avant d’être rapidement rebaptisée Fédération sénégalaise de lutte (Fsl). Concernant l’historique des instances dirigeantes, on a connu la Fédération sénégalaise de lutte (Fsl), ensuite appelée Fédération sénégalaise de lutte et toutes disciplines associées (Fslda) entre 1960 et 1969 ; le Comité national provisoire (Cnp) de 1969 à 1974, la Fédération sénégalaise de lutte (Fsl) entre 1974 et 1979, le Comité national provisoire de 1979 à 1986, la Fédération sénégalaise de lutte (Fsl) de 1986 et 1990. Cependant, la première grande réforme est pilotée par l’ancien ministre des Sports, Abdoulaye Makhtar Diop, en 1990, avec la création de deux structures distinctes, l’une gérant la lutte avec frappe et l’autre la lutte sans frappe. Il s’agit du Comité d’administration et de contrôle de la lutte avec frappe (Caclaf) confié à Moulaye Idriss, doublé d’un Comité national provisoire de lutte amateur (Cnpla) confié à Cheikh Tallibouya Thiaré de 1990 à 1994. En 1994, avec la venue du ministre chargé des Sports Ousmane Paye, une journée d’étude fut organisée pour réfléchir sur les destinées de la lutte. C’est sur cette base que les techniciens conviés à cette rencontre ont suggéré un retour à une gestion de type d’exception (Cng). Pour choisir le dirigeant de ce Cng, le ministre Paye a porté son choix sur son camarade de promotion Alioune Sarr. Cette nomination a été officialisée par arrêté n° 2020 du 21 mars 1994. C’est ainsi que la lutte a été administrée par un Comité national de gestion (Cng), de 1994 à nos jours.
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Ainsi, entre 1960 et 1994, pas moins de sept structures différentes se sont succédé. Deux formes institutionnelles ont alterné pendant cette période : la fédération et le comité. Le modèle fédéral reposait sur la réunion de ligues régionales en une entité plus large, reconnue par les pouvoirs publics. Les ligues de lutte étant dominées par les directeurs d’arènes, ce modèle leur octroyait un pouvoir important. Ces derniers se révélaient toutefois incapables de « moraliser » eux-mêmes leur activité professionnelle. Julien Bonhomme est professeur d’université à Paris, sociologue et anthropologue qui a mené une enquête de plusieurs années sur la lutte sénégalaise pour écrire le livre titré : « Le champion du quartier, se faire un nom dans la lutte sénégalaise ». Dans ses recherches, il s’est rendu compte « qu’à chaque nouveau constat, le ministre décide de dissoudre la fédération pour la remplacer par un comité national, dont il nomme directement les membres ». Par rapport au modèle fédéral, celui du comité marque ainsi un contrôle plus étroit des pouvoirs publics. « Chargés de redresser la lutte sénégalaise, ces comités sont cependant conçus comme provisoires. Au bout de quelques années, lorsque le ministre juge qu’ils ont mené à bien leur politique d’assainissement ou, au contraire, qu’ils ont failli à leur mission, il autorise un retour au modèle fédéral, sous la pression des organisateurs de combats », note-t-il.
Trahissant les rapports de force à l’œuvre dans le champ de la lutte, l’alternance entre le modèle fédéral et celui du comité mettait en jeu deux types opposés de domination. Le modèle fédéral consacre la domination économique des hommes d’affaires qui investissent dans l’arène pour des raisons commerciales, tandis que celui du comité se fonde davantage sur une domination administrative, ses membres venant pour la plupart de la fonction publique, notamment des cabinets ministériels ou de l’enseignement.
Par Abdoulaye DEMBÉLÉ
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